Limbic Systems - le blog théorique

Où je donne des nouvelles de mes projets et publications

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 20 Déc 2015, 18:14

Hello Fabrice !
Merci pour ton approbation ! ;)

Je souscris à ce que tu dis : je me suis en effet davantage penché sur le théâtre classique plutôt que sur le théâtre d'impro sur les exemples de limites du JdR en posture d'Absorption. Je n'exclue pas pour autant ce que tu décris dans le théâtre d'impro, car au fond, les limites de l'Absorption en JdR que je veux pointer sont dans la recherche d'une connexion maximale avec le personnage. Je ne cherche pas à faire un tour d'horizon de ce que le théâtre permet (en et hors impro), car j'en serais incapable.

Ton commentaire est très éclairant sur une des approches possibles du mode Auteur (qui n'est pas vraiment mon champ de réflexion privilégié, bien que je tienne à le reconnaître comme faisant partie du JdR).
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Christoph » 11 Jan 2016, 02:32

Hello Fréd' !

Cet article m'a fait beaucoup réfléchir, car je me demande s'il ne te pousse pas à mettre LPCO dans une catégorie qui me semble le desservir. En effet, c'est un jeu qui nous paraît proposer un décentrement, c'est-à-dire essayer de comprendre les personnages en tant qu'autres personnes, plutôt que de chercher à restituer ce que c'est d'être ces personnes (ce ne sont pas des deuxièmes peaux).

Si je comprends ton article, tu te proposes de diviser l'immersion en combativité et absorption. C'est un choix qui se défend, mais il me semble que tu commets une erreur de logique en prétendant que puisque LPCO ne renforce pas la combativité (une observation qui me convient), alors il poursuit l'absorption. Cela revient à dire qu'un jeu de rôle est forcément question d'immersion, que ce soit sous une forme ou l'autre ou encore les deux. C'est une conclusion qui me semble réductrice et ça m'étonnerait que c'est ce que tu essaies d'exprimer (ne serait-ce que parce que ça n'aide pas à comprendre le rôle du MJ quand il y en a un).

D'ailleurs, notre jeu sert assez mal l'absorption. On peut, dans chaque souvenir, raconter beaucoup de choses sur l'autre personnage, et vice-versa, une bonne partie de son personnage est décrit par l'autre joueur. On doit explicitement se mettre dans une position de méta-jeu et juger les deux personnages après la plus grande portion de la partie, mais avant la fin. En plus, le mécanisme des souvenirs ne cherche aucunement la conciliation ni le consensus. Les souvenirs peuvent être parfaitement contradictoires, et le jeu ne permet même pas de résoudre cette situation (et c'est voulu) ! N'est-ce pas carrément destructeur pour l'absorption ?

On peut décider d'appliquer les règles dans une posture d'absorption (dans le sens où elles ne l'empêchent pas nécessairement), mais alors on risque de passer à côté de ce que nous avons cherché à faire avec ce jeu : la rencontre avec deux personnages, qui ne sont pas nous, porter un regard sincère, mais aussi très critique, sur leur relation, leurs défauts, leurs côtés pathétiques, ce qui les rend attachants aussi. Tout en admettant que nous ne saurons jamais le fin mot de l'histoire, car nous ne sommes pas ces personnages. Nous savons pour l'essentiel que ce dont ils se rappellent ou veulent bien nous dire, quitte à ce que le récit soit bancal ou lacunaire.

Ça me semble très éloigné de l'immersion, peu importe sous quelle facette on l'analyse.
Les Petites choses oubliées, avec Sylvie Guillaume, c'est arrivé !
.ınnommable: cuvées 2008-2010 en téléchargement gratuit.
Zombie Cinema, en français dans le texte.
Christoph
 
Message(s) : 471
Inscription : 09 Déc 2007, 04:26
Localisation : Yverdon, Suisse

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 11 Jan 2016, 03:07

Hello Christoph,
En effet, il y a un truc à élucider.
Pour moi, il y a une subtilité dans LPCO : on joue nos personnage qui fouillent leurs souvenirs.
Du coup, certes on n'est pas dans leur peau vis-à-vis des actes décrits, mais je pense qu'on a quand même une connexion avec eux.
Je ne pense pas que l'on soit en permanence en Absorption, mais je ne crois pas que l'on soit en permanence Auteurs. Pour moi il y a un mélange des deux assez subtil (que l'on trouve aussi dans Prosopopée, mais qui fonctionne différemment).

En fait, ce que je n'ai pas résolu, c'est : est-ce que le mode auteur est de l'Absorption ?
J'aurais parfois envie de dire oui, et parfois non. Raconter un truc pour tendre une perche à l'autre, comme le décrit Fabrice deux messages plus haut, ou pour montrer comme on raconte bien des scènes d'action, je ne mets pas ça dans l'Absorption. En revanche, décrire les personnages en pure contemplation, dans une scène du quotidien, sans enjeux, en train de se remémorer quelque chose, je n'ai aucun problème pour dire oui : Le joueur raconte l'état de son personnage, son attitude, ses paroles, ses interactions avec le décor et les autres personnages... il est en Absorption.

Disons qu'il y a pas mal de choses qui se chevauchent dans l'Absorption et l'on pourrait sans doute faire plusieurs sous-concepts. Du coup, je parle à la fois de l'Absorption comme "possession du personnage" (au sens de la possession par un fantôme ou un démon, où qui possède qui n'est pas toujours facile à savoir) et à la fois d'une certaine forme d'Exploration (au sens donné par Ron Edwards) où le personnage est dans une attitude contemplative, ou introspective (comme dans les scènes d'Exposition dans LCS). Et je trouve que LPCO est là-dedans (Happy Together aussi).

Est-ce que je dis des choses sensées ?

***

P.S. : J'ai un projet d'article à propos du MJ que j'omets dans la plupart de mes concepts, mais il faudra bien que je creuse dans cette direction à un moment.
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Thomas Munier » 11 Jan 2016, 16:30

Avec Eugénie, on réfléchissait sur ton article. En ce qui me concerne, je distingue trois façon de jouer au jeu de rôle ; le jeu tactique, le jeu moral et le jeu esthétique (en ceci que dans le jeu tactique, la tactique est prioritaire et les enjeux moraux esthétiques y sont inféodés, et ainsi de suite pour les deux autres formes de jeux). Sans vocation de ma part de faire du zèle autour de ces notions, qui me sont surtout personnelles et me servent à réfléchir sur mes jeux. Avec Eugénie, on était tombé d'accord pour se dire que Combativité et Absorption étaient avant tout deux facettes du jeu moral, et que le jeu tactique et le jeu esthétique échappaient aux considérations évoquées par la combativité et l'absorption.
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 11 Jan 2016, 16:53

Bonjour Thomas,
Je le conçois plutôt comme ça :
  • Le jeu "tactique" (on peut parler de démarche ludiste ou de step on up) est prioritairement fondé sur la Combativité (mais l'Absorption y a sa place, cf. Monostatos où l'on peut raconter beaucoup pour approfondir nos personnages avant de revenir à son Combat. Car plus on connaît son personnage plus son combat a du sens).
  • Le jeu "esthétique" (on peut parler de simulationnisme ou de right to dream ou de déni constructif) est prioritairement fondé sur l'Absorption (mais la Combativité y a sa place, voir l'exemple de Prosopopée où si elle est ténue, elle n'est pas pour autant absente, elle permet de donner de l'élan à la partie).
  • Le jeu "moral" (on peut parler de narrativisme ou de story now) est sans doute à cheval sur les deux. J'ai vu des jeux ou des pratiques prioritairement fondées sur chacune des deux attitudes : Dogs in the Vineyard incite beaucoup à la Combativité, Breaking the Ice incite beaucoup à l'Absorption).
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Thomas Munier » 11 Jan 2016, 17:02

Partant de là, est-ce que tu conçois qu'on puisse jouer en Auteur plus qu'en Absorption dans le jeu esthétique ? Est-ce qu'il y a une différence fondamentale entre jouer en Auteur et jouer en Absorption, et si oui, laquelle ?
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 11 Jan 2016, 17:20

C'est une excellente question à laquelle je n'ai pas encore tout à fait répondu.

Dans ma réponse à Christoph, je parle de ça :
En fait, ce que je n'ai pas résolu, c'est : est-ce que le mode auteur est de l'Absorption ?
J'aurais parfois envie de dire oui, et parfois non. Raconter un truc pour tendre une perche à l'autre, comme le décrit Fabrice deux messages plus haut, ou pour montrer comme on raconte bien des scènes d'action, je ne mets pas ça dans l'Absorption. En revanche, décrire les personnages en pure contemplation, dans une scène du quotidien, sans enjeux, en train de se remémorer quelque chose, je n'ai aucun problème pour dire oui : Le joueur raconte l'état de son personnage, son attitude, ses paroles, ses interactions avec le décor et les autres personnages... il est en Absorption.

Disons qu'il y a pas mal de choses qui se chevauchent dans l'Absorption et l'on pourrait sans doute faire plusieurs sous-concepts. Du coup, je parle à la fois de l'Absorption comme "possession du personnage" (au sens de la possession par un fantôme ou un démon, où qui possède qui n'est pas toujours facile à savoir) et à la fois d'une certaine forme d'Exploration (au sens donné par Ron Edwards) où le personnage est dans une attitude contemplative, ou introspective (comme dans les scènes d'Exposition dans LCS). Et je trouve que LPCO est là-dedans (Happy Together aussi).


Donc il y a une frontière entre jouer l'Auteur en Absorption et défendre les intérêts de son personnage en Absorption que je n'ai pas encore élucidée.

Dans l'article, ce passage-là est important à ce sujet :
Quand on joue l’Absorption, défend-t-on les intérêts de son personnage ?

Agir conformément à ce que la condition du personnage présuppose peut être question de vie ou de mort, par exemple : si je joue un simple mercenaire, il est préférable que je fasse montre de déférence et de loyauté au roi, sans quoi je risque d’être jeté au cachot. Dans ce cas, le joueur défend les intérêts de son personnage en se comportant de manière attendue (y compris sans recours à des mécaniques). Dès lors que le comportement du personnage implique des enjeux fictionnels, sociaux, par exemple, on peut considérer qu’il concerne ses intérêts.

Mais, dès lors que le comportement du personnage est détaché de tout enjeu dans la situation de la fiction, ce que crée le joueur ne relève plus que de la Couleur et du Canon esthétique. Couleur et Canon esthétique sont fondamentaux à toute pratique de jeu de rôle, il s’agit du plus petit degré de participation possible pour un joueur, y compris en mode Auteur.

Un joueur se limitant à produire de la Couleur et à respecter le Canon esthétique de la partie ne défend pas les intérêts de son personnage. Cela doit impliquer un enjeu fictionnel, ce que la recherche de vraisemblance seule ne permet pas.

Les Petites Choses Oubliées de Sylvie Guillaume et Christoph Boeckle, Perdus sous la Pluie de Vivien Féasson (alias Mangelune) ou encore Happy Together de Gaël Sacré (en cours de création) ne renforcent que l’Absorption. Leurs règles ne renforcent pas la Combativité, car ces jeux ne disposent d’aucune mécanique de résolution et donc ils n’incitent ni n’encouragent à se disputer les enjeux de la partie via des moyens mécaniques de prise de contrôle ou de pouvoir. Ils proposent d’élaborer une histoire par des moyens plutôt apaisés, amicaux, contemplatifs, conciliés ou par concession ; donc non-combatifs. Ce ne sont pas pour autant des jeux en mode auteur, car les décisions qui sont prises au cours du jeu, le sont par et pour les personnages.

À noter que si l’Absorption peut fonctionner dans une pratique où les joueurs ont peu d’impact sur le déroulement de l’histoire, ces trois exemples ont la particularité d’offrir beaucoup de pouvoir narratif aux joueurs.


Il y a peut-être encore quelque chose à creuser de ce côté-là : peut-on jouer l'Auteur et être Absorbé dans son personnage ?
Il faut que je clarifie cette frontière qui pour le moment n'est pas claire dans ma tête.
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Thomas Munier » 11 Jan 2016, 17:26

De ce que je comprends, quand on joue en Absorption, on défend l'image de son personnage même en l'absence de circonstances extérieures : quand je joue une scène intime, je défends, sinon les intérêts de mon personnage, au moins son image. Je plaide pour lui, en le montrant sous un jour qui peut lui être favorable.

Si un jeu m'amène à décrire l'échec de mon jet de dé, est-ce que je suis encore concerné par la combativité ou l'absorption ?
Si je fais faire à mon personnage une action qui dessert son intérêt (descendre imprudemment dans la cave infestée de monstres, dire à haute voix à tout le groupe que mon personnage prépare une trahison, décréter que mon personnage échoue une action qu'il tente pour montrer que c'est un loser...), est-ce que je suis encore concerné par la combativité ou l'absorption ? (je suis conscient que mes trois exemples appellent peut-être des réponses différentes).
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 11 Jan 2016, 19:26

Encore d'excellentes questions ! Je suis content que tu les poses.

Je prépare un article pour expliquer en détail ce que je mets derrière "défendre les intérêts de son personnage", je pense que ça répondra à beaucoup de ces questions, il y a tellement à dire et beaucoup de nuances (trop pour un simple post de forum). ^^

  1. Si un jeu m'amène à décrire l'échec de mon jet de dé, est-ce que je suis encore concerné par la combativité ou l'absorption ?

    Selon la façon dont c'est fait, ça peut être l'occasion pour le joueur de préserver l'image qu'il se fait de son personnage (ne jamais être ridicule, par exemple) ou de gérer des conséquences qui l'arrangent (par exemple : qu'est-ce que je sacrifie dans cet échec). Du coup il y a moyen pour que le joueur continue de défendre les intérêts de son personnage. On le voit quand un joueur continue à essayer de s'avantager, même dans l'échec, par exemple.
    La grande question, c'est : quand je décris la conséquence de l'action d'un autre sur mon personnage, est-ce que je contrôle encore mon personnage ? Et là on se rend compte que la réponse est différente si l'on parle d'un conflit physique ou d'un conflit social.
    Pour être encore en combativité, il faudrait que le personnage raconte des événements négatifs pour son personnage avec des choix modifiant les conséquences possibles et lui permettant de se positionner moralement ou tactiquement, par exemple. Pour être en Absorption, je pense qu'il suffit que la narration de ces conséquences lui permette de creuser son personnage, de le faire vivre, de l'habiter, etc.
    Mais ces moments peuvent aussi être de purs moments d'Auteur. C'est difficile d'isoler un tel instant de jeu en le dissociant du reste de la partie, du système et de l'économie du jeu, qui peuvent modifier grandement la réponse à cette question. ;)

  2. Si je fais faire à mon personnage une action qui dessert son intérêt (descendre imprudemment dans la cave infestée de monstres, dire à haute voix à tout le groupe que mon personnage prépare une trahison, décréter que mon personnage échoue une action qu'il tente pour montrer que c'est un loser...), est-ce que je suis encore concerné par la combativité ou l'absorption ?

    C'est d'emblée contraire à la Combativité.
    En revanche, ça peut totalement entrer dans l'Absorption : si en tant que joueur, je sais pertinemment que la cave est infestée de monstre, mais que mon personnage n'est pas censé le savoir, j'agis comme mon personnage le ferait : je peux être carrément en Absorption (mais je ne défends pas les intérêts de mon personnage).
    Si en revanche, je le fais pour un but externe à cela : pour produire une scène cool, ou parce que j'ai envie de voir mon personnage souffrir, je passe en jeu d'Auteur.
    Je me focalise sur l'exemple de la cave qui est très clair et tout le monde l'a expérimenté un jour où l'autre.
    Cet exemple est excellent, car il permet de montrer que le simulationnisme et l'immersion ont un rapport bien plus complexe que ce que l'on peut croire de prime abord.

    Les autres exemples que tu donnes sont un peu différents : dire à tous les joueurs que mon personnage prépare une trahison : ça me semble très spécifique comme cas de figure. Si les joueurs ne sont pas séparés et qu'ils entendent un joueur échafauder une trahison dans une scène où son personnage est le seul PJ, le joueur est-il vraiment censé se poser la question de ce que les autres joueurs entendent ? Ceux-là doivent-ils faire abstraction de ces information ou peuvent-ils l'utiliser pour défendre les intérêts de leur personnage en justifiant hors personnage un court instant comment ils ont accédé à l'information ? Bref, là on est dans un cas de figure assez complexe, je ne sais pas s'il rendrait les choses plus claires si je me lançais dans une longue liste des cas de figure possibles.

Globalement, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a certes forcément une articulation entre des instants de distanciation et de rapprochement avec la volonté du personnage, voire "l'être" du personnage. Et la nature de ces instants et de leurs articulations me semble innombrable. Quand je parle d'un jeu en mode Auteur où dans lequel on défend les intérêts de notre personnage, c'est généralement un jeu qui permet ou ne permet pas de défendre les intérêts du personnage. Il devient en mode auteur s'il ne le permet pas et si le partage de Responsabilités est suffisamment large (sinon c'est le personnage qui devient un pion).
De même pour la Combativité et l'Absorption, ce sont des postures qui sont la plupart du temps articulées lune avec l'autre (et parfois on peut expérimenter des pratiques ou des jeux qui n'incitent qu'à l'une ou l'autre).

Si je prends l'exemple Des Cordes Sensibles, les scènes de Développement peuvent rentrer rapidement dans la Combativité ou commencer en Absorption, avec peu d'enjeux et beaucoup de "role-play" et tourner à la Combativité (quand deux joueurs se mettent en Combativité, j'imagine qu'on devrait finir par en venir aux cartes). Mais j'ai déjà joué des scènes de Développement entières sans Combativité. Tout simplement parce que le Metteur en scène et le Protagoniste n'étaient pas dans une dynamique de conflit. Le jeu le permet.
Les scènes d'Exposition peuvent être intégralement en Absorption. C'est notamment systématique dans un flahback ou un rêve. Comme il est possible qu'un conflit se joue dans certains types de scènes d'Absorption, ça signifie aussi que l'on peut, passer en Combativité. Mais tout ça dépend bien sûr des joueurs. C'est à eux de se mettre en posture combative ou en posture d'Absorption.
Je n'ai pas l'impression que le jeu passe beaucoup par le mode Auteur, tant le personnage et ses intérêts sont au cœur du jeu.
Je vois la dynamique du jeu comme un va et vient entre les phases où l'on creuse son personnage, ses comportements, son histoire, son identité, ses relations, son être en somme (Absorption) et les moments où il se débat pour accomplir quelque chose, ou pour échapper à un problème ou un malheur (Combativité).

Mais je ne parle pas du Metteur en scène. C'est tout autre chose. Je pense que le rôle de MJ est quelque chose de très particulier et de fondamental si on se pose les questions de défendre les intérêts du personnage, Combativité et Absorption. Je pense que le MJ (ou le pendant du joueur, parfois temporaire) est celui qui nourrit tout cela. Et tant que je n'aurais pas écrit d'article à ce sujet, je ne pourrais pas être très pertinent là-dessus, même si j'ai une bonne idée d'où je vais, donc je ne creuserai pas trop le sujet.

Est-ce que mes réponses sont suffisamment claires ?
En tout cas, merci, ça m'aide à mieux définir ces subtilités. ;)

[EDIT] J'ai fait de toutes petites modifications après coup pour rendre certains passages plus clairs.
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Thomas Munier » 12 Jan 2016, 15:00

Merci, déjà ça me défriche bien le terrain.

Je rajouterai peut-être quelques questions :

A. Qu'est-ce que signifie pour toi défendre l'image de son personnage ? Que les autres joueurs aient une image positive de lui ? Que les protagonistes aient une image positive de lui ?

B. Défendre ses intérêts de son personnage, est-ce que c'est chercher à atteindre les objectifs que se fixe le personnage, chercher à défendre l'image de son personnage, ou les deux ?

C. Est-ce que quand on joue un personnage aux antipodes de ses valeurs morales de joueur et qu'on le joue à fond (allez, au hasard : un esclavagiste qui serait prêt à vendre sa propre maman), est-ce qu'on défend toujours l'image de son personnage ?

D. Est-ce que jouer en posture d'Auteur est compatible avec défendre l'image de son personnage ou chercher à atteindre les objectifs de son personnage ? Si oui, de quels critères se sert-on dans ce cas pour le différencier de la Combativité ?
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 12 Jan 2016, 16:24

  1. Il ne s'agit en fait pas tant de défendre l'image de son personnage que la respecter ou la consolider : Si je joue un héros puissant et courageux, mourir connement d'un chute de cheval (ou de dragon) peut être en rupture avec l'image de mon personnage. Derrière l'idée de Responsabilité sur un personnage, il y a une part de crédibilité : à la fois la crédibilité des décisions que je prends pour lui (et dont tout le monde à la table est juge) et à la fois la crédibilité de la résolution de ses actions, de son rôle dans l'histoire, etc.
    On se fait donc une image de notre personnage et tout ce qui a une influence sur le personnage doit respecter l'image en question (c'est un peu le but du "soyez fan des personnages" d'Apocalypse World). Si mon personnage est un glorieux et impavide héros, je n'ai pas envie qu'il passe pour un naze. Si mon personnage est censé être intelligent, je n'ai pas envie qu'il passe pour un jambon.
    Et donc, le fait de raconter ses échecs peut permettre au joueur de préserver l'image qu'il se fait de son personnage (mais il y a d'autres moyens).

  2. Défendre les intérêts de mon personnage, c'est agir selon des objectifs, des causes (y compris altruistes), des croyances, des relations, une mission que je prête à mon personnage, ou pour échapper à des menaces. Mais comme le personnage n'existe pas, il s'agit de ce que l'ensemble des participants estime logique ou crédible pour lui. Si on a décidé à un moment donné que mon personnage était vénal, c'est défendre ses intérêts que de tout faire pour ne pas dilapider son fric. Si il a été décidé (sur la fiche de personnage, par ses paroles ou par sa manière d'agir) que mon personnage veut défendre la veuve et l'orphelin, c'est défendre ses intérêts que de le faire. Pareil pour échapper à un danger, capturer un criminel si mon personnage est un flic, etc.
    Si mon personnage est censé être un flic vertueux et que tout à coup il se met à faire du trafic de drogue, j'ai intérêt à avoir de bonnes justifications, sans quoi ça peut ne pas être considéré comme cohérent. En revanche, si le processus psychologique qui l'a conduit à se changement radical est clair pour tout le monde, qu'il est évident qu'il défend ses intérêts en faisant cela (par exemple mettre sa famille à l'abris du besoin), dans ce cas il n'y a aucun problème.
    Cependant, selon la démarche créative, si mon personnage est vénal, mais qu'il dépense son argent pour aider quelqu'un dans le besoin, ça peut signifier que le personnage est vénal, mais aussi compatissant. Et donc il peut y avoir conflit entre plusieurs intérêts (les êtres humains sont complexes) et donc le joueur est libre de choisir celui qui compte le plus au moment présent.
    Défendre les intérêts de son personnage, c'est ce qui permet de créer une connexion avec lui (combative ou absorbante, bien que l'absorption puisse se faire sans défendre les intérêts du personnage), ce n'est pas une contrainte, mais plutôt une dimension spécifique au JdR (mais pas obligatoire).

    Préserver l'image de son personnage, c'est aussi une question de cohérence et de crédibilité, mais principalement dans le sens où pour le joueur, si le système, ou le MJ ne la respecte pas, c'est une entorse à sa Responsabilité. Dans certains jeux, cette image est très malléable, donc il est plus rare que le joueur sente l'image de son personnage maltraitée. Dans d'autres, elle est primordiale. Par exemple, dans Space Rônin, les PJ sont un peu chevaleresques et un peu antihéros. Du coup, il peuvent accomplir des actions formidables d'abnégation et de courage, puis se cuiter la gueule et finir de dessouler dans le caniveau.
    En revanche, si je joue Aragorn, je n'ai pas envie de mourir tué par un gobelin.

  3. Oui, tu peux préserver son image sans problème (mais ça dépend du jeu et du MJ et des autres participants).

  4. Oui, quand on joue en mode Auteur, il est possible (et même préférable) de respecter l'image de son personnage (bien qu'encore une fois, il s'agisse plus d'une question de système et de ce que les autres en font). Pour ce qui est d'atteindre les objectifs du personnage, c'est une question nettement plus compliquée : si pour atteindre les objectifs de mon personnage, je prends beaucoup de décisions hors des intérêts de mon personnage, voire externe à la situation de la fiction, certes, je peux atteindre ses objectifs, mais je ne défends pas ses intérêts.
    Par exemple dans Capes, il y a toute une phase purement mécanique : on inscrit un enjeu sur un papier et on lance des dés, on dépense des jetons, etc. Ça nous donne un résultat, puis on illustre ce résultat dans la fiction. Certes, on joue pour atteindre les objectifs fixés pour notre personnage, mais comme c'est entièrement conditionné par une mécanique sans connexion avec la fiction, on ne prends pas de décisions dans la fiction en défendant les intérêts de nos personnages. La phase de narration est d'abord illustrative. Donc là on se contente de préserver et consolider l'image que l'on se fait de notre personnage.

    Donc pour la Combativité, il faut d'abord défendre les intérêts de notre personnage (dans la fiction) et ensuite que la mécanique nous aide à obtenir ce que l'on souhaite et éviter ce que l'on ne souhaite pas.
    Là où un jeu comme Capes nous fait d'abord utiliser la mécanique pour savoir si on atteint ou pas l'objectif écrit sur un papier, sans positionnement fictionnel, et ensuite nous demande de raconter ce qu'il s'est passé en tenant compte du résultat des dés. La Combativité n'est pas possible car s'il y a des enjeux tactiques dans la phase mécanique, il n'y en a aucun dans la phase fictionnelle, car les enjeux sont déjà résolus en amont.

Dis-moi si tu veux creuser certains de ces points (et n'hésite pas à poser d'autres questions si tu le souhaites).
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Thomas Munier » 12 Jan 2016, 17:03

D1. Je comprends tout à fait le cas où une personne joue pour atteindre les objectifs de son personnage en maltraitant son image (par exemple, sur ma fiche c'est mis que je suis un flic intègre et que je veux coffrer un serial killer, et en jeu je fabrique des preuves pour le coffrer). Peux-tu s'il te plaît me donner un exemple où un.e joueur.se joue pour atteindre les objectifs de son personnage en prenant décisions hors des intérêts de son personnage ? Parce que là je sèche.

D2. Je me permets de te demander des développements sur la question de la cohérence mécanique/fiction parce que ce que tu appelles la posture d'Auteur semble survenir quand cette cohérence est faible. Pardonne-moi si ça prend une allure de marronnier. Plus exactement, j'aurais apprécié que tu m'expliques davantage la mécanique de résolution de Capes. Si je joue à Capes et que je veux capturer un méchant, j'écris "capturer un méchant" sur le papier, je jette des dés et je fais des mises ? Mais qu'est-ce qui me dit combien je jettes de dés, combien je mise ?

D3. En fait, si par hasard développer l'exemple de Capes t'ennuie, je vais reformuler la chose suivante. Prenons un jeu où toutes les actions se résoudraient à pile ou face. Je veux capturer le méchant, je jette ma pièce, face c'est réussi, pile c'est raté, et tout le jeu se passe comme ça. On est bien d'accord que le positionnement mécanique-fiction, mais est-il nul pour autant ? Je veux dire, si je joue un justicier, je défends les intérêts de mon personnage en annonçant que je veux capturer le méchant, n'est-ce pas ? Certes, que je décrive mon action à fond où que je me borne à déclarer mon intention ne fait aucune différence technique, donc on est OK, le jeu n'encourage pas à décrire autre chose que la Volonté de notre personnage, si je décris ses actions, c'est juste pour faire cool (Auteur ?), ou pour approfondir mon personnage (Absorption ?) (par exemple, je peux préciser que mon justicier fait tout ce qu'il peut pour capturer le méchant sans faire couler de sang). Mais qu'est-ce qui fait que dans cet exemple, j'ai manqué de Combativité, du moment que j'ai pris une décision dans les intérêts de mon personnage (capturer le méchant) et que celle-ci a un impact potentiel sur le jeu (ici, une chance sur deux quoi que je fasse, mais du moment qu'un jeu emploie de l'aléatoire et de la négo de fiction avec le reste de la table, j'ai rarement 100 % de chances d'impact quel que soit la force du positionnement, c-a-d le nombre de paramètres pris en compte pour influencer mes chances de réussite). Où est-ce que c'est juste qu'un jeu à positionnement faible est déceptif pour la personne qui joue en Combativité, parce que ses décisions tactiques ont peu d'impact sur l'atteinte de son objectif stratégique ? Et que dans ces cas-là les jeux à positionnement faible n'intéresseraient que les joueurs en posture d'Auteur, qui se satisfont de raconter ? Merci de me reprendre si il y a incompréhension de ma part concernant ce qu'est le positionnement.
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 12 Jan 2016, 18:29

D1. En fait ce n'est pas le joueur qui défend ou maltraite l'image de son personnage. C'est le système et/ou le MJ (et/ou les autres joueurs selon le fonctionnement du jeu). Puisque celui qui est le garant de l'image en question, c'est le joueur (du moins dans un cas de figure classique). Le joueur lui-même peut nuire à la cohérence de la fiction ou du monde, faire des actions non crédibles, mais l'image de son personnage lui appartient en quelque sorte (c'est à lui de râler si quelqu'un d'autre la bafoue).
Peut-être que d'autres participants peuvent être sensible à la cohérence d'un PJ d'un autre joueur, mais je pense que pour eux ça doit s'inscrire dans la crédibilité plus générale de la fiction (mais je me trompe peut-être, je ne suis pas complètement sûr de ce point).

D2. Malheureusement, ça fait plusieurs années que j'y ai joué et je n'ai donc plus le fonctionnement précis des mécaniques. Disons que la phase 1 est un jeu de plateau et la phase 2 une narration visant à illustrer le résultat des dés dans le jeu de plateau. Si tu retires les phases de narration, le jeu fonctionne quand même.

D3. Dans ma conception de la Combativité, la mécanique est là pour sanctionner une décision fictionnelle.
Si je décris que j'essaie d'attraper le cristal lancé par un allié avant mon ennemi, qu'on lance les dés et qu'après on raconte le résultat, toutes les nuances dans ma narration d'action peuvent influencer le résultat et donc l'évolution de la situation (si je dis quelque chose en plus, sur quel ton, est-ce que j'utilise la violence ou de ne pas blesser au contraire... Ce qui fait que l'on peut ressentir une prise sur la fiction, une synesthésie, même, c'est parce que les conséquences de nos actions sont sensibles à ces nuances (qui sont du domaine de l'infini des possibles), parce qu'elles sont jugées et transformées par des humains. Si je dis : je veux attraper le cristal et que je lance le dé et qu'ensuite je raconte, comme je n'ai pas formulé la façon dont je m'y prends, je brise la chaîne entre l'idée de ce que je veux faire, comment je veux le faire, est-ce que j'y arrive et quel est le résultat, qui permet une synesthésie avec le sentiment d'accomplissement (notons que c'est surtout important pour la Combativité).
Le problème est proche quand on donne à l'avance les résultats du jet de dés, avant d'avoir formulé comment on s'y prend pour obtenir ce que l'on souhaite. On rend inutile toutes les nuances en amont du jet de dés.
Si je dis : si je gagne, l'ennemi se met à genoux et me demande pardon, ça signifie que ma manière d'agir doit être complètement inféodée à cette fin prévue et si ce n'est pas celle souhaitée, ça signifie que les choses que j'ai dites peuvent être complètement négligées.
Tandis que si on raconte les conséquences du conflit après le "jet de dés" (ou après avoir lancé la pièce, ou quoi que ce soit d'autre), lui même après avoir raconté comment on s'y prend, même en cas d'échec, on peut prendre en compte toutes les nuances dans le Positionnement du joueur.

Pourquoi donc Capes ne renforce pas la Combativité ? Parce que la Combativité doit naître du Positionnement fictionnel, se résoudre avec des mécaniques et avoir des conséquences dans la fiction. Si l'action naît d'un pur Positionnement mécanique, il bride d'emblée la liberté d'action nécessaire à la connexion du joueur avec la volonté de son personnage qui n'est disponible que dans la fiction. Dans la fiction, je peux faire des tonnes de choses imprévisibles, car c'est un matériau propice à la créativité. C'est la condition sine qua non pour avoir le sentiment de libre arbitre. Les mécaniques sont plus rigides. Je ne peux pas me connecter à la volonté de mon personnage si mes seuls choix sont mécaniques et donc quantifiables (c'est le grand malheur des créateurs de jeux vidéo).
Il faut donc qu'ils soient d'abord des choix dans la fiction, dans toutes leurs nuances, transformés par des mécaniques.

Il faut se méfier des jeux les plus connus qui soutiennent une démarche ludiste à ce sujet, parce qu'il n'y en a pas tant que ça qui s'assument vraiment (un des biais de Monostatos) ou qui ne se transforment pas en pur jeu de plateau dès que les mécaniques sont engagées (cf. D&D4), alors qu'il y a tellement à faire dans ce domaine en créant de vraies interactions entre fiction et mécaniques !


Ais-je bien répondu à tes questions ?
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Thomas Munier » 13 Jan 2016, 16:57

Oui, je pense que ça clarifie vraiment tes positions. Je pense que je n'ai plus de questions pour le moment, ça fait déjà vraiment beaucoup à digérer. Merci d'avoir consacré tout ce temps à me répondre.
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Limbic Systems - le blog théorique

Message par Frédéric » 13 Jan 2016, 18:00

Merci à toi, il y aurait sans doute encore beaucoup à creuser sur ce sujet. Mais 10 pages de texte pour un article, c'est déjà beaucoup. ^^
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

PrécédentSuivant

Retour vers Actus Limbic Systems

LES JEUX DES ATELIERS IMAGINAIRES

cron