J'ai du mal même à déterminer mes intentions pour ce projet, donc je vais exceptionnellement passer cette étape et présenter directement la partie. Pour dire les choses rapidement, j'aimerais créer un « Appel de Cthulhu » beau et transcendant.
A l'heure actuelle, ce « projet » est tellement tentaculaire qu'il n'y a qu'une faible probabilité que le jeu continue tel quel, ce que vous allez lire là n'est pas représentatif des suites que je vais y donner.
J'écris ce rapport à la suggestion de Fred, qui m'aide à développer ce jeu et à sortir du blocage dans lequel je me trouve depuis plusieurs mois. Donc ce rapport est surtout écrit pour lui, mais je le publie pour que d'autres puissent y contribuer ou se pencher sur le projet.
Enfin, c'est une première tentative, donc le jeu est « brut », beaucoup de choses n'ont pas encore été réfléchies, j'essaie surtout dans cette partie d'arriver à quelque chose de potable, même si je bricole beaucoup et que je me contente de peu.
Axiomes du jeu:
- la fiction se passe aujourd'hui, dans une grande ville occidentale (nous avons choisi Paris que nous connaissons tous les deux)
- il y a des éléments de fantastique flous qui existent, mais les personnages ne le savent pas au départ (les joueurs non plus) une grande part du jeu repose sur la découverte de ces éléments, dont aucune explication formelle n'est jamais donnée
- les personnages sont personnellement touchés par ces éléments de fantastiques, qui ont affecté leur vie et les ont fragilisés
Les règles de résolution étaient celles du Pool de James V. West (quelqu'un sait-il qui est le traducteur de la VF, d'ailleurs, je n'arrive pas à le trouver), qui a ses défauts mais a le mérite de fonctionner rapidement et d'être aisément modifiable en cas de besoin (notamment la création de personnage uniquement par Traits).
La partie a eu lieu il y a un mois, avec Natacha comme unique joueuse, merci à elle d'avoir accepté d'être mon cobaye
Je n'avais pas prévu d'écrire un rapport de partie à ce moment-là, donc je n'ai pas conservé de notes, mes excuses pour les imprécisions.
Création des personnages
Premier choix d'importance pour la partie: Natacha a choisi de jouer une policière, ce qui a énormément facilité l'enquête. Je voulais éviter le cliché d'imposer aux joueurs de jouer des flics ou des « détectives » alors que rien ne le justifie par ailleurs dans le projet; ma solution était alors d'impliquer les personnages directement dans les révélations (ex: la soeur d'un personnage a en fait été enlevée et élevée par une des factions occultes).
Justement, les joueurs doivent créer au moins un Trait dans chacune des catégories suivantes:
- l'Enigme est un mystère que le personnage n'a jamais résolu et qui l'a affecté personnellement, par exemple: la disparition ou la mort d'un proche, une amnésie ou une partie de sa vie, une expérience bizarre, un kidnapping, etc.
- la Faille est une faiblesse psychologique qui hante le personnage: une peur panique, une colère profonde, une tristesse insondable, un désir irrépressible de quelque chose, la conviction de l'existence de certaines choses
Le personnage doit aussi avoir des relations.
Ici, c'était la tenancière d'un bar en bas de chez elle ainsi que son plus proche collègue de travail.
La fiction
Pour commencer, je m'empare de l'amie du personnage de Natacha, pour introduire l'élément centrale de la partie: une nouvelle drogue.
Je raconte comment le personnage de Natacha se rend compte que le bar en bas de chez elle est fermé depuis plusieurs semaines. Elle fait le tour, parvient à la maison de la tenancière et voit par la fenêtre que l'intérieur est rempli de désordre. Elle entre en cassant un carreau. La maison est remplie de dessins d'arbres, de symboles abstraits et de grandes silhouettes conversant avec des humains.
Elle trouve son amie assise dans un fauteuil, manifestement abruti par une drogue. Des dessins sont étalés tout autour d'elle. Le personnage de Natacha trouve un pot d'une substance ressemblant à du miel.
Elle appelle une ambulance et fait boucler les lieux.
Natacha me demande ce qu'elle trouve dans le portable de son amie, ce qui me donne l'occasion d'introduire un deuxième personnage: la dealer qui lui a fournit le Miel. Le personnage de Natacha la contacte, elle lui propose de « la rencontrer à l'endroit habituel, sur le campus de Jussieu ».
Elle envoie les dessins à la documentation, pour savoir s'ils correspondent à quelque chose de connu.
Elle envoie le Miel aux analyses. Elle rencontre un collègue de la brigades des stupéfiants pour lui demander des informations sur le Miel. Il n'en a jamais vu.
Elle enquête sur le campus de Jussieu. Elle cherche les élèves absents depuis trop longtemps. Elle tombe sur l'un d'entre eux qui avait de bonnes notes mais a disparu subitement. Elle se rend à sa résidence étudiante où elle découvre la chambre de l'étudiant dans le même état (il a attaqué le béton des murs pour faire des bas-reliefs). Il est en train de malaxer de la terre glaise. Il s'enfuit, elle ne parvient pas à le rattraper, elle cherche sa chambre et récupère du Miel, une poudre brune qui ressemble à de la cannelle et des feuilles qui ressemblent à du thé.
Elle donne rendez-vous à la dealer à la chambre de l'étudiant, en se faisant passer pour lui (d'ailleurs a posteriori, je me demande comment elle a pu se faire passer pour lui ?).
Elle arrête la dealer et l'emmène au poste. Elle découvre qu'elle a un frère, qui est ébéniste.
Le lendemain ou le surlendemain, elle va chercher les résultats des analyses et des recherches qu'elle a lancé [note: on s'est mis d'accord avec Natacha que nous ne connaissions rien aux techniques d'enquêtes et aux procédures policières et que donc nous amenions les choses comme c'était le plus pratique pour l'histoire].
La personne qu'elle rencontre à la documentation est peu coopérative. Elle cherche à savoir si le personnage de Natacha fait partie de la même faction qu'elle (je ne le dis pas à Natacha, mais je le lui fais ressentir). En se rendant compte que ce n'est pas le cas, elle prétend que ces images ne correspondent à rien, qu'il ne s'agit que d'hallucinations dues à la drogue.
Le personnage de Natacha va rendre visite à son amie, la tenancière de bar, à l'hôpital, elle lui réclame du Miel, elle lui explique qu'il s'agit d'une forme de la drogue appelée la Sève, qui procure une grande sérénité et une créativité exacerbée (sous la forme de Cannelle, elle procure une grande aisance sociale; sous la forme de Thé, elle procure une grande agilité d'esprit et de compréhension du monde).
Dans la nuit suivante, le personnage de Natacha reçoit un appel sur son portable, d'une voix grave qui lui dit qu'elle est sur la bonne voie et qu'elle obtiendra de l'aide lorsqu'elle en aura besoin. Elle n'arrive pas à se rendormir et se rend aux premières heures de l'aube pour interroger la dealer. Celle-ci finit par avouer que c'est son frère qui lui fournit la Sève.
Après plusieurs approches, le personnage de Natacha obtient un rendez-vous un soir avec l'ébéniste, dans son atelier. Ce dernier est remplit de sculptures religieuses et d'icônes du christianisme orthodoxe. Une sculpture est sous un drap rouge.
Le personnage de Natacha finit par confronter l'ébéniste. J'avais préparé un dialogue à lire, à la manière de Sens:
« Dites-moi, osez me dire… est-ce vous rêvez ? […] Vous rêvez ? Quel est le rêve le plus profond et le plus fort que vous ayez vécu ? Racontez-le-moi ! […] Osez-vous me dire qu’il n’a pas changé votre vie ? Ou alors vous n’avez pas vécu… ou pas rêvé, ce qui revient au même. Nos vies s’écoulent mais nos véritables vies ne durent qu’un soupir, elles s’envolent au matin et nous avons l’audace de les prendre pour des songes. J’y viens, j’y viens ! La Bible dit : « Je vis un Taureau, qui avait six ailes et qui était plein d’yeux tout à l’entour et au-dedans ; et il ne cessait, jour et nuit, de dire Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu Tout-puissant, qui était, qui est et qui sera ! ». Je l’ai vu. Je l’ai VU ! Il a fait de moi son serviteur et m’a donné ce Rameau et m’a demandé de répandre sa parole. Je ne vous en veux pas de ne pas comprendre, mais je vous supplie à genoux de me laisser mes œuvres, je ne peux pas supporter l’idée de Le mettre en colère ! »
C'est un peu pénible à lire, mais ça passait bien durant la partie. L'ébéniste répand donc cette drogue parce qu'une apparition le lui a demandé et en récompense l'inspire à créer.
Mes souvenirs de la fin sont un peu flous, mais d'une part, l'ébéniste a eu le temps de prévenir des hommes de mains (issus de toute une faction que je ne décrirai pas ici), qui empêchent le personnage de Natacha de quitter les lieux, d'autre part, elle parvient à forcer l'ébéniste à lui montrer la source de la Sève: un arbre enraciné dans le plancher d'une pièce, protégée par un rideau rouge à la manière d'un autel. Je demande à Natacha de faire un jet de dés pour parvenir à voir l'arbre, qui est un objet véritablement sacré: poser ses yeux dessus est difficile et dangereux, mais son personnage y parvient sans peine; cependant, j'utilise le fait de pouvoir raconter la victoire (Natacha me le permet et gagne un dé pour son pool, voir les règles) pour raconter que l'ébéniste s'enfuit.
Ses hommes de main sont sur le point d'entrer dans l'atelier quand une haute silhouette, drapée de noir, masquée d'or, se débarrasse d'eux. Le personnage de Natacha a le temps de lui parler, la silhouette lui explique qu'elle veut l'aider, mais qu'elle ne peut trop lui en dire; le personnage de Natacha obtient quelques informations (je ne sais plus lesquelles) en échange de quoi la silhouette emporte l'arbre qui ne devrait pas être là.
Les renforts de la police arrivent et la partie s'arrête là.
Discussion
Je n'ai pas grand-chose à dire de cette partie. Elle m'a surtout aidé à sortir du fantasme et à passer du projet écrit au projet concret et joué. Je manque encore d'énergie pour m'y remettre et le suivre, mais avoir franchi cette étape est en soi quelque chose de bien.
Natacha a assez apprécié la partie, d'après ce qu'elle me disait, notamment le fait d'être pris entre deux factions dont on essaie de saisir les enjeux. C'est une bonne chose, ça fait partie des choses que je recherchais.
En dehors de cela, je n'ai pas beaucoup d'enthousiasme pour cette partie. Elle m'a fait le même effet que toutes les parties d'enquête de jdr traditionnel que j'ai connues jusque-là: en tant que MJ je perds beaucoup d'énergie à mettre mes révélations sur le chemin des personnages pour que ça ait l'air naturel, à cause de cela je profite peu de la partie et j'ai l'impression de manipuler ma joueuse pour qu'elle fasse ce que je veux.
J'ai aussi eu l'impression (courante dans mes expériences de jdr tradi) que Natacha était surtout là comme support à mes révélations, qu'elle a peu apporté à la partie parce qu'elle n'avait que peu d'occasions. Ça aurait pu être n'importe qui d'autre, l'histoire se serait déroulé de même - et ce n'était pas compensé par la force de l'expérience pour elle, comme ce pourrait être le cas dans un bon jdr tradi genre Sens.
Il ne s'agit pas de faire le procès du jdr tradi, juste de constater que je retrouve les mêmes limites.
Fred m'a déjà suggéré d'essayer d'écrire mes préparations non pas sous forme de scénarios mais sous forme de canevas, c'est-à-dire 1. sans actions obligées de la part des joueurs 2. en ayant des révélations possibles quoi que fassent les personnages 3. en prévoyant des factions ayant chacune des intérêts autour de plusieurs enjeux.
Je m'étais déjà rangé à l'idée, qui me plaît par nature au point de vouloir écrire mon univers sous cette forme. Je n'ai juste pas encore pris le temps de m'y atteler.
Plus largement, j'ai un peu un problème d'énergie et de motivation, qui envahit toute ma création de jdr. C'est dû à pleins de choses, notamment la vaste période de transition que je traverse. Je le mentionne pour expliquer ma difficulté à avancer sur des éléments que je sais devoir faire mais pour lesquels je manque de volonté.