par Brisecous (Mathieu) » 25 Mai 2015, 22:43
Bonsoir,
J'ai testé Prosopopée Dimanche avec trois amis, Alexandre, Benoît et Guillaume, des joueurs et amis avec qui je joue régulièrement au JDR depuis trois ans. Nous ne connaissions pas le jeu de rôle dit "narrativiste" ou "à narration partagée", et Prosopopée était pour nous un style de jeu nouveau que nous avons abordé sans a-priori.
Première partie
Lors de la première partie, nous choisissons comme paradigme une plage au clair de lune. Alexandre joue la nuance. Benoît joue celui qui a une queue de chat (couleur animaux, perception 5, sensibilité 4, sagesse 3). Guillaume joue celui dont la chevelure est faite de feuilles (couleur végétaux, science 5, sagesse 4, savoir-faire 3). Mathieu joue celui dont les pas ne laissent pas de traces (couleur vide, sagesse 5, sensibilité 4, science 3).
La partie se déroule en été. La nuance fixe la situation de départ : la plage est couverte de neige.
Rapidement un premier problème est posé : il y a de la neige en été (élément/2). Nous dissertons autour de ce problème et deux autres problèmes sont posés assez rapidement : Le soleil est caché par les nuages (harmonie/difficulté non notée). Malgré le lever du soleil, la lune ne disparaît pas (vide/difficulté non notée).
Nous nous rendons dans un village où les villageois sont enfermés dans une prison de glace. Un nouveau problème est posé à ce propos (éléments/4). Nous rencontrons dans l'auberge un homme qui irradie de l'ombre et semble aspirer la lumière. Celui dont les pas ne laissent pas de traces partage avec l'homme sa lumière et l'homme lui indique que le village des hommes poilus saura lui en dire plus.
A partir de là, le groupe commence à perdre pied. Nous sommes paralysés par la situation, qui nous semble absurde. Nous décidons d'arrêter la partie et de réessayer une nouvelle partie.
Durée de la partie : 30 minutes.
Deuxième partie
Lors de la deuxième partie, nous choisissons comme paradigme le mot "transparence". Benoît et Guillaume jouent les nuances. Alexandre joue celui qui chante juste (harmonie, sensibilité 5, sagesse 4, perception 3). Mathieu joue celui dont les pas ne laissent pas de traces (couleur vide, sagesse 5, sensibilité 4, science 3).
La partie se déroule en été. Les deux nuances fixent la situation de départ : Une grande bâtisse, une sorte de chateau de verre où tout est transparent. A l'intérieur, des gens visiblement affolés courent en tous sens.
Un premier problème est posé : les gens sont affolés car il manque un panneau de verre (vide/2). En discutant avec le portier, on apprend que l'absence du panneau de verre affole les gens car ils sont persuadés que l'air extérieur va les corrompre. Cette certitude que l'air va les corrompre donne lieu à un nouveau problème (éléments/4).
A ce moment là Mathieu (moi-même) se retrouve complètement paralysé. La partie s'éteint, les autres joueurs bloquent aussi et nous décidons d'arrêter. Nous commençons à analyser ensemble les causes de cet échec.
Durée de la partie : 20 minutes.
Troisième partie
Après nous être arrêtés pendant un moment, nous décidons de réessayer avec une troisième partie. Nous choisissons comme paradigme un champ de blé. Benoît et Mathieu jouent les nuances. Alexandre joue celui qui chante juste (harmonie, sensibilité 5, sagesse 4, perception 3). Guillaume joue celui dont la chevelure est faite de feuilles (couleur végétaux, science 5, sagesse 4, savoir-faire 3).
La partie se déroule en automne. Les nuances fixent la situation de départ : un champ de blé ondulant sous le vent, traversé par une route sinueuse.
Près du champ, il y a un lavoir, alimenté par une rivière. Sur cette rivière est présent en amont un barrage, un vieux barrage fissuré (problème possible volontairement évité par un joueur). L'eau de la rivière passe à travers et coule librement jusqu'au village. Le lavoir est à la sortie d'un petit village. Celui qui chante juste arrive en bateau par la rivière.
Celui dont la chevelure est faite de feuilles court après un enfant qui tient une bourse, sur la route sinueuse au milieu du champ. Cette bourse contient des pièces d'or qui s'échappent par un petit trou carbonisé. La bourse ne semble pourtant pas se vider pour autant. Ces pièces d'or s'échappent sur le chemin et glissent dans le champ de blé. Elles se transforment alors en ronces qui poussent et grandissent, corrompant le champ de blé et le faisant dépérir. Cela entraîne le premier problème (végétaux/2).
L'enfant trébuche et plonge la tête la première dans le lavoir. Celui dont la chevelure est faite de feuilles lui prend la bourse en le grondant : "regarde ce que tu as fait !" Nouveau problème (objets/1) : l'enfant est triste de ne plus avoir la bourse. Cette bourse, il l'a volée à un sorcier (élément resté dans l'ombre lors de la partie) mais elle appartenait à son père. La bourse est maudite, ce qui entraîne un nouveau problème (harmonie/difficulté 2 ou 3).
Celui qui chante juste résout le problème du blé qui dépérit (végétaux/2) à l'aide de sa médiation de Perception et obtient une réussite parfaite : il explique aux villageois que ce ne sont pas des ronces, mais des framboisiers. D'ailleurs de grosses framboises énormes se mettent à tomber, mûres à point. Les villageois n'ont pas besoin du blé puisqu'ils peuvent se nourrir de framboises. La bourse n'étant plus un objet de danger pour le village, elle est rendue à l'enfant (résolution du problème objets/1 grâce à la réussite parfaite).
Des cochons sauvages sont attirés par les fruits qui chutent de l'arbre et commencent à les manger. Les villageois se lamentent devant l'agressivité et la gloutonerie des animaux (problème animaux/2). Par ailleurs, les fruits sont devenus dangereux à cause de leurs chutes intempestives, donnant lieu à un autre problème (végétaux, 2). La chute de fruits est rapidement résolue par l'installation de barrières protectrices de signalisation le long du champ par les villageois (résolue par la médiation Acceptation de la nuance).
Un autre problème est posé sur les villageois qui sont en colère contre le gamin et le chef du village, car les framboises vont pourrir cet hiver, ne vont pas se conserver. Les villageois n'auront plus rien à manger (harmonie/3). A un moment donné, une résolution d'action échoue, il me semble que c'était dans l'objectif d'utiliser les cochons sauvages pour se nourrir et calmer les villageois (médiation acceptation par une nuance). Ca a échoué mais le problème des villageois s'est réduit (passé de 3 à 2).
Ensuite une brume toxique a commencé à se former à cause de la colère des villageois (nouveau problème éléments/4), cette brume flottait au-dessus du village. Elle semblait attirée par les framboisiers et les faire dépérir.
A partir de ce moment le groupe ne parvenait plus à interagir, nous n'arrivions plus à rien et nous avons décidé d'arrêter la partie d'un commun accord.
Durée de la partie : 45 minutes.
Ressentis
Les trois parties ont été accouchées dans la douleur. Nous nous forcions, nous n'arrivions pas à proposer des choses, nous avions de la difficulté à rebondir les uns sur les autres. Dans la première partie, la nuance n'arrivait pas à se saisir du jeu et les médiums ont donc été relativement présents. Dans les parties suivantes, ce sont les médiums qui ont eu de la difficulté à agir et à raconter des choses. Les nuances meublaient et décrivaient, mais les joueurs n'y arrivaient pas. J'ai complètement bloqué sur la deuxième. La troisième partie était un peu moins difficile. Nous sommes à peu près parvenus à créer des situations et à résoudre des problèmes. Mais peu à peu (tout comme dans la première - la deuxième n'a pas duré assez longtemps pour ça) la situation est devenue de plus en plus abracadabrante jusqu'à ce qu'un des joueurs bloque totalement. Les autres n'ont pas tardé à bloquer aussi et la partie s'est arrêtée faute de parvenir à poursuivre.
J'en ai ressenti une grande frustration, car j'avais le sentiment que nous nous y prenions mal, ou que nous avions raté quelque chose. Je ne me suis pas amusé, à part un bref moment lors de la troisième partie. Deux de mes camarades ne se sont pas amusés et ont trouvé la partie pénible. Le troisième était plus mesuré dans ses ressentis.
Nous avons en revanche trouvé l'expérience très intéressante sur un plan intellectuel et théorique car nous ne connaissions pas cette manière de jouer. La réflexion que nous avons eue à propos de la partie était très sympathique.
Ressentis de Benoît
Je suis Benoît et j'ai d'abord joué celui qui à une queue de chat, puis deux fois une nuance.
J'avoue qu'en fait je n’éprouve pas forcément un grand intérêt à construire une histoire comme cela. J'aime découvrir des secrets, des mystères et que l'on me raconte une histoire. J'aime avoir de l'influence sur cette histoire, mais peut-être pas autant que ce que propose Prosopopée.
Du coup je pense que votre jeu n'est pas forcément adapté à mes attentes, mes préférences et peut-être est-ce pour cela que je n'ai pas réussi à rentrer totalement dans le cadre malgré mes efforts. Je pense pourtant avoir essayé de proposer des solutions, mais le côté incohérent et perché que prenait l'histoire au fur et à mesure m’a frustré.
Je suis intéressé par ce fait : toutes les parties développent-elles forcément un côté très conte de fée ou onirique et presque absurde, ou est-ce une particularité de notre manière de jouer ? En tout cas cette expérience était enrichissante même si extrêmement étrange et difficile pour moi ^^.
Ressentis de Guillaume
L'objectif de cette aprés-midi Prosopopée était pour moi de découvrir une nouvelle façon de jouer, une autre approche du jeu de rôle. De ce coté-là je n'ai pas été déçu :
- un jeu à visée collaborative, ce n'est pas un MJ qui apporte à la table un univers ou une histoire qu'il a assimilé et travaillé mais chacun autour d'apporter une touche couleur au tableau en cours de création
- un jeu où nul ne doit préparer la partie une fois que les règles sont assimilées, pas de création de perso de 12 plombes avec BG ni de gros travail pour le MJ
Maintenant pour ce qui est de l’expérience de jeu en elle-même c'est une autre histoire. Cela a été plutôt difficile.
La première partie a été assez proche de ce que j'avais imaginé. Chacun était à la recherche d'une chose a laquelle se rattacher, chacun essayait de petites choses pour faire évoluer la partie. Les médiums se cachaient derrière leurs médiums comme à un sacro-saint PJ et la nuance, dépossédée à la fois du rôle de MJ et de PJ, était complétement perdue. Sur cette partie j’étais médium et je n'ai pas pu me détacher de l'idée de personnage à incarner. C'était la première, on a fait des trucs, c'était pas génial génial, on verra sur la seconde.
Pour la seconde je décide d'endosser le rôle de nuance, et c'est moins difficile pour moi. Je peux laisser libre cours à mon imagination, je peux présenter de petites choses qui me plaisent. Un début de ping-pong se met en place avec la deuxième nuance, bref c'est plutôt cool. Le problème c'est qu'en face de nous on a deux médiums qui n'y arrivent pas, ils perdent pied, ils ne savent pas quoi faire pour débloquer les choses, pour s'inclure dans les descriptions et les événements qu'on met en place.
On en retente un troisième après pas mal de discussions. Je reprends le rôle de médium pour appliquer ce que j'ai compris. Prendre de la distance avec ce pseudo avatar qu'est le médium! Le début de la partie se passe plutôt bien, j'ai la sensation que les choses avancent doucement mais sûrement. Et puis d'un seul coup un élément est ajouté que je n'arrive pas à inclure avec le reste, on change de registre. Et puis cet élément prend de l'importance. Qu'est ce que je dois faire de cet élément ? Notre histoire semble prendre une tournure incohérente. Et puis les choses continuent à évoluer. On était passé d'un registre fantastique assez classique à du burlesque, maintenant on apporte des éléments horrifiques. Je ne sais plus quoi faire, je me décompose sur mon siège spectateur d'une partie à laquelle je ne peux pas me raccrocher. Pire les autres semblent plutôt satisfaits et poursuivent. La partie finit par s'arréter, je suis soulagé.
En clair j'ai passé une après-midi en dent de scie. J'ai trouvé ce que je cherchais d'un point de vue intellectuel. Par contre d'un point de vue ludique ça aura été plus que fastidieux. On va attendre que tout ça se décante, que l'on essaie d'autres jeux et puis on retentera peut-être l'expérience Prosopopée.
Ressentis d'Alexandre
On s'interroge s'il ne faut pas être plus restrictif qu'un simple paradigme : registre, limites, ce qu'attendent les joueurs de l'histoire ce genre de chose.
Cependant, moi je ne parlerais pas de fiasco, car si je n'ai vraiment participé que dans la troisième partie, les trois parties étaient intéressantes.
Je renouvellerais cependant que mis à part si on a pas compris les règles, les nuances sont justes inutiles de par leurs panels d'actions qui à chaque fois se sont révélées les mêmes que celles des médiums, mais amputés de la part d’interaction avec l'univers ainsi que de la part évolution du personnage.
Mais encore une fois moi je suis prêt à recommencer si on nous donnes de nouvelles pistes pour rentrer et centrer la partie
Hypothèses et réflexions
- Nous avions l'impression qu'il nous manquait quelque chose pour construire des situations intéressantes. Il nous semble que le paradigme devrait être plus construit, qu'il faudrait définir ensemble dans le contrat social, les limites ou le cadre à donner à la situation de départ. Cette absence de cadre nous semble un problème. Comme le disait Alexandre : registre, limites, ce qu'attendent les joueurs de l'histoire...
- Les imaginaires de chaque joueur étaient trop différents ce qui donnait aux situations de jeu un côté "What the fuck" qui nous paralysait. Nous manquions de règles pour interagir de manière cohérente
- Nous étions frustrés de mettre en place certaines situations et de les voir évoluer d'une manière qui ne nous convenait pas. Chaque joueur avait tendance à partir dans son sens, nous avions de la difficulté à rebondir sur les idées des autres. On a eu le sentiment au cours des trois parties que, globalement, un ou deux des joueurs à la table marquaient de leurs empreintes le tableau en cours de création (jamais les mêmes sur les trois parties que nous avons jouées) et qu'en réaction les autres peinaient à s'investir, accrocher ou interagir avec.
- Nous étions clairement perdus au niveau de la narration. Nous avions le sentiment de mal faire, ou l'incertitude quant à la manière dont nous devions nous y prendre. Nous aurions eu besoin de règles ou d'un cadre applicables qui nous permette de savoir comment développer la narration. Il me semble qu'il nous manquait des clés pour savoir comment interagir entre nous dans le cadre du jeu.
- Le rôle de médium nous a paralysés car il nous plaçait dans un rôle de personnage. Nous n'avons pas bien compris ou su comment agir dans ce rôle, nous avions tendance à être en réaction plutôt qu'acteurs de la partie. Le fait d'incarner un personnage nous renvoyait au rôle traditionnel du PJ dans une partie de JDR classique, et nous avions énormément de difficulté à comprendre ce que nous pouvions faire ou pas dans le cadre du jeu.
- Le système m'a personnellement paralysé lors de la deuxième partie : je n'avais pas assez de dO et ne pouvais donc pas résoudre les problèmes. J'avais l'impression que le seul intérêt de la partie c'était la résolution des problèmes et que toute la narration permettant d'obtenir des dO était plate et artificielle, ce qui me paralysait complètement. Nous avions l'impression que nous jouions dans le seul but de terminer/arrêter la partie.
- Nous avons eu tendance à jouer social, et nous avons eu a posteriori le sentiment que le jeu était fait pour jouer "action" (pour faire des choses) plutôt que pour interagir avec les PNJs du monde.
- Les règles du jeu nous indiquent que nous pouvons utiliser le "je" ou le "il". De notre point de vue, il vaut mieux encourager le "il" car cela permet de mettre une distance avec le personnage, et donc de ne pas sombrer dans le raccourci facile du "je joue mon médium comme je jouerais un PJ dans un jeu de rôle traditionnel".
- La médiation "acceptation" des nuances n'est pas très clairement expliquée dans le livre.
- Il n'est pas évident de comprendre comment médium et nuance se partagent la narration. J'ai l'impression que dans sa volonté de ne pas figer les choses, l'auteur est resté un peu trop vague. Le partage des tâches entre médium et nuance n'était pas clair pour nous.
- A propos de l'ouvrage lui-même : plaisant à lire, le ton sert bien le propos. En revanche, j'ai eu un peu de mal en première lecture à comprendre la manière dont s'articulaient les différents éléments. L'aspect poétique de la rédaction a un peu nui à ma compréhension. J'ai beaucoup apprécié l'idée de fournir en fin d'ouvrage un chapitre "guider la partie". Je n'aurais pas trop su comment introduire tous ces concepts aux joueurs sans ça. J'ai relevé une faute d'orthographe en p. 10 : déséquilibraient au pluriel car ce sont les actes des hommes qui déséquilibrent le monde. A noter également que la première page invite les lecteurs à se rendre sur le forum Silentdrift, qui est fermé.
En conclusion
La partie a été un fiasco pour 3 d'entre nous. Il nous est difficile en l'état de déterminer si nous avons raté quelque chose, si le jeu n'est pas adapté à des débutants, ou si nous ne sommes tout bonnement pas les bonnes personnes pour jouer à ce genre de jeu.
J'ai malgré tout le sentiment qu'il nous manquait des clés pour jouer correctement. Je me demande si nous n'avons pas été confrontés à une problématique similaire à celle qui se pose souvent pour le contrat social : des règles non formulées parce qu'allant de soi pour l'auteur et les testeurs, mais qui ne sont pas innées pour des joueurs ayant une expérience différente (ou n'ayant pas d'expérience du tout). Si vous avez déjà été confrontés à des groupes totalement novices en JDR ou en JDR à narration partagée (sans personne d'expérimenté pour les guider), je serais curieux de savoir comment ils ont ressenti le jeu.
Prochain jeu à tester : Monostatos.