C'était l'occasion de tester une nouvelle approche des mécaniques de résolution que j'ai en tête depuis des années (que j'avais déjà tentée sans grand succès, sans doute parce que je n'en comprenais pas aussi bien les enjeux) et que j'ai enfin réussi à formaliser :
Jouer les conflits dans la fiction sans recours mécanique. Et n'utiliser la mécanique que pour forcer la fin.
Exemple de scène :
Céleste participe à un tournage amateur en tant que figurante. Lorsque l'équipe remballe le matériel, l'un des caméramans la prend à part et lui propose de participer à un "film pour adulte" qu'il réalise.
Céleste comprend vite qu'il a vu la sextape que son ex a répandu sur les réseaux sociaux pour se venger d'elle et qu'il pense qu'elle ne pourra pas refuser son offre.
Elle se montre réticente, mais il insiste. Il barre le chemin vers la sortie.
Ils argumentent (le personnage de Céleste a pour problématique d'assumer sa sexualité débridée malgré sa réputation de "salope" au lycée, ce qui a constitué le cœur de la discussion entre les deux personnages). Il joue un jeu ambigu avec elle. Au bout d'un moment Céleste tente de forcer le passage pour s'extirper de cette situation, voyant qu'il ne pliera pas.
À ce moment-là, on a recours à la mécanique de résolution.
On établit que l'enjeu pour le caméraman est d'obtenir son accord pour le tournage.
On pose les cartes, on n'ajoute pas de fiction jusqu'au résultat (le conflit dans la fiction a déjà été joué, on ne dispute que la fin).
Le caméraman gagne l'enjeu et inflige des répercussions à Céleste. Gaël a été tenté d'utiliser un "coup de théâtre" pour forcer la victoire au prix de conséquences plus graves. Puis il a décidé d'accepter l'issue.
Je raconte donc en guise d'épilogue de la scène, que Céleste accepte et prend son numéro de téléphone pour se débarrasser de lui.
Je lui ajoute le trait "le porno n'a rien de honteux".
Avec l'ancienne version des règles, dès que les deux personnages étaient en désaccords, on aurait rapidement engagé le conflit. La partie fictionnelle de ce conflit se serait résumée à une introduction avant d'établir l'enjeu et à une narration chacun, tandis que là, l'échange fictionnel étant libre (en "pur roleplay" diraient certains), on ne statue que sur la façon dont ça se termine, seulement si aucun des joueurs n'a concédé avant. Ça a mené à un échange assez long, avec une vraie évolution dans les postures des personnages. Au cours de la partie, de nombreux échanges qui auraient avant donné lieu à l'utilisation des mécaniques avec les anciennes règles se sont ici résolus d'eux-mêmes.
Cette nouvelle technique a plusieurs avantages :
- Tout d'abord, les scènes étaient plus naturelles, voire plus riches. Le fait de jouer les conflits en "interactions libres" permet de se laisser surprendre par leur évolution.
- Un grand nombre de scènes se sont jouées sans recours aux mécaniques ("freeform" ?), alors qu'avant les joueurs pouvaient être tentés d'employer les mécaniques un peu à tort et à travers.
- La mécanique de résolution devient une "épée de Damoclès" : chacun des deux joueurs se positionne selon ce qu'il suppose des désirs et intérêts de l'autre, avec le risque que l'autre en vienne à la solution mécanique pour forcer les choses, et que cela produise des conséquences potentiellement plus graves. Mon personnage s'est montré beaucoup plus arrangeant pour éviter de détériorer ses relations, grâce à cela.
- Les conflits peuvent se résoudre avant que l'un des participants décide d'en venir à la mécanique. Une des choses qui a achevé de me convaincre est la série d'articles d'Eugénie intitulés "Concéder". Ainsi, seuls les conflits véritablement importants en appellent à la mécanique, il n'y a pas de flou ou d'incertitude à ce sujet.