Un dernier verre est l'un des finalistes du dernier GameChef. Un jeu écrit par Guylène, qui passe de temps à autre ici (je me permets de m'adresser à toi directement), et que Frédéric et moi avons pu tester avec deux autres joueurs que nous appellerons Maxime et Mathieu car tels sont leurs prénoms.
Nous avons utilisé la version soumise au concours, que l'on trouve ici, et la partie a du nous prendre un peu plus de deux heures, explications de règles inclue.
De quoi ça parle ?
Il s'agit d'un jeu où des inconnus se retrouvent dans un bar et vont commencer à se raconter des histoires. Pas n'importe quelle histoire : chacun d'eux était promis à une carrière brillante mais a finalement connu la chute, puis la reconversion (il faut bien gagner de quoi venir boire jusqu'à l'ivresse).
Comment on joue ?
Le jeu se déroule en 3 tours de table.
A chaque tour de table chaque joueur va raconter un Flashback sur l'histoire de son personnage. Un sur son ascension, un sur sa chute, un sur sa reconversion.
En fait le joueur actif (qui raconte l'histoire) se contente de cadrer la scène (il introduit la situation en quelques mots) et de nommer les PNJs qu'ils notent sur un bout de papier.
Il ne joue pas les PNJs : les autres joueurs doivent s'en emparer et venir jouer la scène avec lui (dans le rôle des PNJs).
En fin de tour on vote pour la meilleure histoire (je résume) en "payant un coup" à son orateur préféré (en fait on juge la scène et pas juste la performance du joueur actif).
Notre partie
J'ai lancé la partie en lisant l'introduction du jeu. Cela nous a permis de nous mettre immédiatement dans l'ambiance (il nous fallait une transition après le repas) et nous avons tous salué la plume de Guylène.
Nous avions trois personnages :
*Julie, ex future grande artiste de céramique (Mathieu)
*Jean, ex futur premier ministre
*Robin, ex future star de la chanson
*Damien, ex futur astronaute
Mathieu était malade depuis quelques jours, nous décidâmes qu'il était celui d'entre nous ayant passé la journée la plus pourrie ce qui, dans ce jeu, donne le droit de commencer.
Comme nous sortions d'une partie pesante du très sombre Poison'd et que la thématique d'Un Dernier Verre semble quand même bien close to home (proche du vécu des joueurs par certains points) nous avons immédiatement décidé de prendre le sujet de façon comique (et insisté entre nous pour éviter de dériver vers le traitement trop pathétique et sérieux du sujet (1)).
Il me semble d'ailleurs que l'idée du bar plaide clairement pour un traitement léger des histoires racontées.
La première scène
Mathieu cadre la scène : la première expo de son personnage. Il ne place qu'un PNJ sur la table, la galeriste, Anne dont je m'empare pour entrer dans la scène.
Remarque : quelques rapides imprécisions dans les mécaniques. A quel moment Mathieu doit il placer les personnage sur la table ? Doit-il lire le nom et la profession des personnages à tout le monde ? Qui stoppe la scène ?
Je décide de jouer la galeriste comme une petite femme surexcitée, qui saute au cou de tout le monde et demande à Julie de "dire des choses intelligentes" sur ses œuvres.
Mathieu n'avait posé qu'un PNJ et les deux joueurs restants mon immédiatement demandé s'ils pouvaient intervenir en prenant le contrôle de personnages mineurs et d'autres éléments de décors. Une modification substantielle des mécaniques qui nous a semblé tellement naturelle que nous l'avons adopté immédiatement.
La scène s'est terminé par des discussions en mode racontage de bullshit sur les œuvres entre plein d'intervenants prenant des regards pénétrés, mon personnage sautant au cou de tout le monde. Une critique pas bien fine de l'art contemporain mais une scène qui fonctionnait bien.
Il y avait du répondant entre les descriptions de chaque joueur, nous amenions chacun des éléments dans la scène sans nous marcher sur les pieds, les actions avaient des conséquences immédiates ce qui est la base du comique.
En une scène nous avions réussi à construire une dynamique entre nous qui marchait bien. Mieux, nous avons rapidement évité ce que je n'aime pas trop dans certains jeux à partage de narration : les digressions méta.
Bah de "aaah ça serait bien si on emmenait la scène dans cette direction et que ton personnage fasse ça", nos descriptions étaient presque entièrement tournées vers la fiction.
Les autres scènes
Je ne vais pas raconter toute les scènes mais les scènes des deux premiers tours (ascension puis chute) fonctionnaient souvent très bien. Seul exemple peut-être un peu faible, une scène cadrée par Maxime qui partait dès le début dans l'excessif (son personnage réalisant un marathon sur un tapis de course tout en parlant aux autres personnages).
Finalement la scène n'a jamais vraiment dépassé ce gag initial, contrairement aux autres scènes (dont la seconde scène de Maxime) qui partait d'un postulat plus banal ce qui permettait de monter petit à petit dans le burlesque.
Notons que nous nous sommes amusé à croiser les scènes. Ainsi mon personnage était un politicien cynique ayant fait voter une loi (loi Dubois II) contre les musiciens du métro.
Dans une scène suivante, le personnage de Robin commençait sa carrière dans le métro et un vigile est venu lui dire que, suite à la loi, il fallait qu'il parte.
Remarque : tu ne mentionnes pas quels personnages (PNJs) sont sensés être utilisés dans le tour 2 (nous avons utilisé ceux de la question 3).
Manque une phrase à prononcer pour lancer les récits du tour 2.
Les intermèdes
Entre les récits nous nous sommes amusé à commenter les récits in character. L'occasion pour moi de développer le caractère méprisant de mon personnage.
Le jugement des scènes
A la fin de chaque tour nous devions juger (en "payant de coups") les récits des autres.
L'idée est de générer une compétition créative et pathétique pour élire le personnage racontant la meilleure histoire de loose.
Une idée qui ne fonctionne pas et nous a semblé superflue.
Lors des récits nous travaillions ensemble pour créer les scènes (vu que nous avions décidé que tout le monde pouvait intervenir même sans incarner un perso principal). Cela n'avait pas de sens de voter pour les scènes alors que nous y jouions un rôle.
Nous n'avions rien à foutre de la dimension compétitive et, quand on y pense, heureusement parce que jouer la win impliquerait logiquement de pourrir les scènes des autres joueurs.
La tour 3
Le tour 3, la rédemption, est finalement assez mal expliqué dans les règles : quels personnages y introduire.
Il nous aurait semblé anti climatique de jouer des scènes supplémentaires et nous nous sommes contenté de décrire en quelques mots la situation actuelle (souvent ironique) de notre personnage.
Notre conclusion
Le jeu cherche à concilier un dimension de création collective et une logique compétitive.
Il n'y parvient pas mais tout le monde s'en fichait à la table tant le premier aspect fonctionnait.
Le jeu nous évoquait la pratique du JDR freeform, terme que l'on utilise pour parler de mini-GN (chamber LARPs) mais aussi pour des jeux sans mécanique de résolution. C'est le cas de ton jeu qui n'a que des mécaniques pour intervenir dans la fiction (elles sont importantes).
Nous y avions joué visés sur nos chaises mais nous nous sommes rendus compte que nous utilisions énormément la gestuelle plus que la description de nos actions.
Je pense que nous aurions pu jouer physiquement les scènes en nous levant et en investissant l'espace.
Autre remarque intéressante : le joueur actif, qui cadre la scène, n'est pas forcément celui qui décide de la direction qu'elle prend. C'est heureux puisqu'on a vraiment l'impression de défendre les intérêts de nos personnages en laissant les autres joueurs amener la scène dans des directions surprenante.
En tous cas nous fûmes conquis par ton jeu qui nous a fait jouer ce qui était probablement la partie la plus drôle que j'ai joué depuis longtemps (ce qui est assez fort pour un jeu qui ne nécessite pas de préparation). Les récits de quatre personnages fonctionnaient tous très bien, emportés par une dynamique de groupe efficace.
Pour ma part je lève bien haut mon verre à ce jeu !
(1) Contrairement à un jeu comme Mars Colony qui propose exactement la même thématique sous-jacente (l'échec d'individu qui pensait pouvoir viser le soleil) mais le fait de façon beaucoup plus grave.