par Epiphanie (Julien) » 28 Avr 2014, 00:05
Suite à une première partie en tant que joueur sur "Le Radeau des cimes" il y a quelques semaines, l'envie m'est venue de m'essayer à la maîtrise d'Innommable à mon tour à l'occasion d'un week-end entre amis (dont plusieurs pratiquants très occasionnels de JDR). J'ai joué à partir de la version 008, en rajoutant des cases représentant un certain nombre d'actions à réaliser pour "gagner" la confrontation, comme j'avais vu Fabien le faire lors de notre partie. Ce fut une excellente expérience Dont voici un petit compte rendu. La situation a été fournie par un scénario de Tristan Lhomme (dans le recueil "Sous un ciel de Sang" pour L'appel de Cthulhu). J'avais adoré l'ambiance dégagée à la lecture, mais je ne me voyais pas le jouer avec le système d'origine. L'occasion faisant le larron...:
- Décor: Une mine dans le nord de la France en 1905
- Source du mal: le réveil d'une Horreur fait s'effondrer la mine, alors que les personnages sont à l'intérieur. Il sera fait référence à l'Horreur sous le nom "Là où brillent les étoiles noires". Qu'est-ce précisément? mystère.
- Antagonistes: Robin, le chef d'étage, fasciné par la chose
Bertrand, l'ingénieur: un cultiste qui va les amener à se sacrifier tous, volontairement si possible
- Éléments esthétique récurrents: La mine, le charbon, de la poussière en suspension, l'air vicié, des étais endommagés, des éboulis.
- Rôle des PJ: les mineurs prisonniers
- Dés à utiliser: 6d20 / 4d12 / 2d8 / 2d4
Musique d'ambiance (pour la dernière heure seulement): Lustmord, l'album "Where the black stars hang »…
Symptômes:
1- L'effondrement de la mine (3d20)
2- La découverte d'un blessé grave encore conscient mais délirant (2d20)
3- La disparition d'un personnage et la découverte de son cadavre dans un lieu impossible (1d20 +1d12)
4- Un PNJ commence à se gratter frénétiquement et tombe progressivement en poussière (1d12)
5- Un téléphone d'urgence à manivelle: l'interlocuteur qui leur répond déraille et tient des propos de plus en plus terrifiants (2d12+1d8)
J'ai expliqué les règles deux fois (env. 10 min) et on a créé les persos:
- Bergerac, un grand homme chef d'équipe, syndicaliste. Attache: sa foi en l'humanité, et surtout en le communisme
- Marie Madeleine, cantinière vieille fille un peu rude. Attache: son grand amour, Jules, même s'il s'est marié avec une autre
- Le père Marel, vieux palefrenier bougon et désabusé. Attache: son cheval, Roland, qu'il considère au même titre qu'un mineur.
- Fanchon, une femme enceinte à la suite d'un viol qui, faute d'argent, pousse les wagonnets. Attache: son enfant à venir.
Phase de jeu (environ 2h00) :
- Après une rapide présentation des personnages dans leurs tâche quotidiennes, tout le monde se retrouve au fond pendant la pause-repas des mineurs. L'ingénieur descend féliciter les hommes de leur travail. Effondrement de la mine au moment où les hommes retournent à leur poste
- Tout le monde se réveille dans le noir. Le chef d'étage est à moitié assommé, il y a des cadavres partout, une partie de la galerie s'est éboulée. Bergerac prend rapidement les choses en main, le joueur décide que deux de ses hommes ont survécu: Totor et Eudes. Roland, le cheval est à terre, Marel essaie de voir s'il est en vie. Vailland, un gamin de douze ans qui pousse des charriots, est mort de trouille. Les femmes commencent à s'exciter et à désespérer. L'ingénieur essaie d'asseoir son autorité sur le groupe. Il brosse Bergerac dans le sens du poil et l'envoie en reconnaissance (histoire de s'en débarrasser). La cantinière va vérifier que tout le monde est bien mort dans la pièce, elle tombe sur Isidore,un mineur grièvement blessé. Elle tance l'ingénieur pour qu'il soigne sa blessure. Devant l'énervement de la femme, il accepte. Le cheval se réveille, ses hennissements font peur à tout le monde jusqu'à ce que le père Marel parvienne à le calmer d'un coup en lui caressant le museau.Fanchon a des sensations étranges et se voit morte. Eudes (pnj aux ordres de Bergerac) ramasse les cadavres et les entasse au fond de la galerie.
- Il est temps de sortir. Bergerac envoie Vailland en éclaireur par un boyau un peu étroit: tout a l'air ok de l'autre côté. Le blessé est chargé sur le charriot de la cantinière. Tout le monde passe, mais c'est juste à ce moment que le père Marel remarque qu'Eudes manque à l'appel. Au même moment, Bergerac découvre le cadavre de celui-ci, de l'autre côté du goulot. Pas d'explications, Bergerac panique. Le goulot manque de s'effondrer, Bergerac soutient le plafond le temps qu'on place un étai. Il perd l'usage de son bras droit (Son nom est coché 3x sur la liste du sort: le joueur a pas mal pioché sur ce début de partie et a déjà eu des échecs)
- Nombreuses hésitations, finalement Bergerac reprend la tête du groupe. Ils décident de se diriger vers le puis principal en faisant un détour pour atteindre une guérite avec des réserves et de la dynamite. Alors qu'ils repartent, la cantinière remarque que Totor, qui se grattait frénétiquement, s'est tellement attaqué la mâchoire qu'elle est partie en poussière. A ce moment, le chef d'étage, apathique depuis le début, se redresse et dit que la sortie de la mine se trouve désormais vers le bas, et qu'elle donne "là où brillent les étoiles noires". L'Ingénieur le prend par l'épaule et le guide plus loin. La femme enceinte a une hallucination: regardant par le trou de la mâchoire de Totor, elle a un aperçu de "là où brillent les étoiles noires" (Son nom est rayé deux fois sur la liste du sort). Isidore rend son dernier souffle dans un râle.
- Arrivé à la réserve, Bergerac s'équipe en dynamite et fait soigner son bras. Fanchon fait un malaise, Vailland prend soin d'elle. On bande la main de Totor pour qu'il cesse de se gratter, échec, Marie-Madeleine voit le bras du mineur partir en poussière entre ses mains (son nom est rayé deux fois sur la liste du sort, elle commence à sombrer). Nombreux bruits étranges, arrivée d'un léger courant d'air. Bergerac sombre dans le pessimisme et pense que le puits principal est bouché, que personne ne viendra les chercher (je raye son attache une première fois). L'ingénieur propose de se diriger vers un puits d'aération à peu de distance. Sur le chemin qui plus est, il y a un téléphone qui permettra peut-être de contacter la surface.
- Le téléphone : un contact s’établit avec un homme, une discussion s’engage. L’homme demande à parler à Madeleine : c’est Jules. Il lui avoue qu’il l’aime… la discussion s’enlise, il lui annonce qu’il la rejoindra « là où brillent les étoiles noires ». La ligne ne fait que grésiller, seule la lumière du téléphone clignote. Le Père Marel est comme hypnotisé par celle-ci. Elle délivre un Message en morse : K h a a… Il se rappelle d’une vieille qu'il a croisé, il y a de nombreuses années, lorsqu’il était palefrenier en Savoie, juste avant son départ pour la mine, qui lui avait dit qu’il crèverait pas dans la mine, qu’un dieu de la mort nommé Khaa viendrait le chercher (il pioche dans le bol 1D8 et acquiert un savoir occulte). Il marmonne dans sa barbe mais ne dit rien. Marie-Madeleine se sent partir, elle se croit faite de charbon et pense qu’elle peut arrêter la propagation en se coupant la main (son nom est rayé une fois sur la liste du sort). Bergerac est très atteint (je raye son attache pour la deuxième fois). Il ne croit pas que les secours viendront, on l’a abandonné… il perd son attache.
- La troupe se remet en route. Un éboulis se déclenche au-dessus de leurs têtes. Les lumières s’éteignent, chacun essaie de s’en sortir. Bergerac, en tête, essaie de tirer Fanchon à l’abri, sans succès (sa liste du destin est pleine). En dernière extrémité, il se jette sous le cheval qui lui-même s’effondre sous le poids des pierres (son nom est rayé deux fois de plus: soit cinq fois au total) il en meurt. Les autres s’en tirent avec difficulté (festival d’échecs). Marie-Madeleine perd sa main, tranchée nette (je raye son nom une fois de plus). Fanchon sent son bébé bouger bizarrement (elle est n’est enceinte que de trois mois pourtant), elle se recroqueville au sol (je raye 1x son attache). Vailland la couvre de son corps et parvient à la protéger. Totor est réduit en poussière.
- Dans le noir, un souffle léger se fait sentir. Roland le cheval a deux pattes cassées (l'attache est rayée deux fois). Le père Marel, triste comme les cailloux, décide d’appeler le pouvoir de Khaa sur lui. Il pose sa main sur la tête du cheval qui meurt instantanément, dans un dernier hennissement (la joueuse pioche 1d4). Pendant un bref instant, Marel voit par les yeux de chacun des PJ et PNJ et comprend que tout le monde est mort (J’omets de lui parler à cet instant de Vailland, par oubli et non par calcul; ça aura son importance par la suite). L’ingénieur rit doucement dans le noir. Entendant ça, quelque-chose se réveille dans la tête de Fanchon. C’est lui son agresseur, c’est lui qui l’a mise enceinte (je raye deux fois son nom). Elle est prise d’une crise de folie et, se jetant sur l’ingénieur, lui explose la tête à coup de caillou. Par sa bouche, c’est l’enfant qui parle et se venge de son père (elle tire le deuxième d4). Je coche une des cases de résolution.
- Le souffle s’intensifie, mais plus personne n’a de force pour continuer. Je fais un brief hors-jeu pour que chaque joueur me donne son hypothèse sur la situation, savoir ce qu’ils ont compris, ce quils ont décidé. Deux opinions font jour : 1e ils sont tous morts, depuis longtemps, du fait d'une chose indicible qui s'est réveillée dans le fond de la mine et ils ne pourront pas atteindre la sortie par des moyens physiques. 2- Pour la joueuse qui interprète Marel, comme il n’a pas vu par les yeux de Vailland lors de son expérience mystique, celui-ci doit être le seul encore vivant. C’est cette hypothèse qui retient le plus l’attention.
- Fanchon et Marie Madeleine insufflent la force à Vailland de se relever et d’avancer vers le puits d’aération. L’odeur est de plus en plus infâme. Arrivé au bord, le garçon aperçoit de la lumière en haut. Sous l’échelle s’ouvre une zone de noirceur plus prononcée, parmi laquelle on aperçoit de pales lueurs. C’est "la chose". Le chef d'étage Robin, que tout le monde avait oublié, saisit l’enfant par l’épaule, avec dans l’idée de le balancer dans la flaque de noirceur. Marel se jette sur le chef d'étage, décidant le sacrifice de son personnage pour réussir son action. Les deux hommes tombent sans un bruit là où brillent les étoiles noires (je coche la deuxième case de résolution). Fanchon et Marie-Madeleine, conscientes d’êtres mortes depuis de nombreuses heures, commencent à penser qu'elles ne pourraient être qu'une émanation de son subconscient. Fanchon comprend alors que l'enfant qu'elle porte, métaphoriquement, c'est Vailland, et qu'il est de son devoir de l'aider à sortir. Recevant 1d4 de la joueuse de Marel, maintenant décédée, et liant son pouvoir de la vie avec le pouvoir de la mort du vieux palefrenier, elle pousse Vailland à remonter à la surface.
- Une semaine s’est écoulée depuis l'effondrement, le bilan en hommes est très lourd : plusieurs centaines de mort. Quant à lui, il est libre, et il a lutté contre sa peur de la mort. La confiance en lui retrouvée rompt le lien de l’entité avec la Terre, le passage vers la chose se referme…
Conclusion: j'avais une idée assez précise de ce qu'était la menace avant de jouer, et je me suis retrouvé à atténuer mes certitudes en cours de jeu à mesure que les joueurs proposaient des idées. Qu'est-ce que l'espace où brillent les étoiles noires? Dans mon esprit, c'était un grand ancien affamé se réveillant après des millénaires piégé dans les strates de charbon. Les joueurs en ont voulu autrement et c'est pour le mieux. Pour eux, l'aventure était avant tout le dilemme intérieur de Vailland, dernier survivant de l'explosion hésitant entre son envie de sortir, et l'envie de rester sur place et de mourir dans un coin perdu sans bouger, représenté par "L'Espace...". Pur questionnement mental ou apparition de revenants? Les joueurs n'ont pas voulu trancher, restant sur une salutaire indécision.
Tout le monde a été très content de la partie, il y a eu beaucoup de moments intenses, le passage avec le téléphone notamment. Je connaissais bien mes joueurs, deux joueuses étaient relativement inexpérimentées et ont vraiment donné des interprétations excellentes, avec beaucoup plus de facilité que d'habitude. Tous ont apporté énormément d'idées et le tout était vraiment très cohérent.
En terme de maîtrise, j'ai principalement posé des questions et brodé au fur et à mesure avec ce qu'ils me donnaient, et j'ai beaucoup joué sur leur rapport à leurs attaches. Ils n'ont compris les mécanismes de coopération (dons de dés entre joueurs) que tard dans la partie, ce qui a eu un effet positif en jeu: le groupe s'est soudé de plus en plus, et à mesure que les joueurs rebondissaient de plus en plus sur les idées des autres, les personnages faisaient front contre l'adversité. Une très belle et très neuve sensation de jeu qui me fait penser que cette partie fut une vraie réussite, satisfaisante tant en terme d'aboutissement de l'histoire, en terme d'ambiance, mais aussi en convivialité.