Ce rapport de partie a pour but d'une part de contredire les mauvaises langues prétendant que je ne parle de mes jeux que lorsque les tests se passent mal, d'autre part d'aborder la question des illustrations avec vous pour un tel jeu.
Dans La Saveur du Ciel, un joueur (dit "du personnage") raconte comment son personnage rencontre les plus grands experts (les Guides) sur son plat de prédilection afin de repousser les limites de sa virtuosité culinaire.
L'autre joueur (dit "du Guide") joue le Guide en question et fait des suggestions. Il distribue également les dés chaque fois que les descriptions du joueur du personnage lui plaisent.
Tout le plaisir du jeu vient de l'exploration des possibilités d'un plat, en termes d'ingrédients, d'accompagnement, de symboles et de plaisirs. Il s'agit d'éprouver les différents plaisirs culinaires que peut proposer un plat à la fois au sens de "repousser les limites" et de "ressentir".
La création de personnage est rapide:
- le plat pour lequel le personnage veut devenir le meilleur - ce doit être un plat que le /joueur/ doit avoir envie de manger à ce moment-là
- le nom du personnage (à choisir dans une liste de noms d'épices)
- la question personnelle qui hante le personnage et le pousse fondamentalement à avancer dans sa quête.
- plat: le mille-feuille
- nom: Safran
- question fondamentale: Qu'est-ce que la Saveur du Ciel dont parlent certains Guide avec respect et mystère ?
Dans la première séquence (l'"Approche"), le personnage rencontre le Guide, ils discutent du plat et comparent leurs visions culinaires. C'est de la narration libre, on ne fait pas spécifiquement appel aux règles.
Dans la deuxième séquence (la "Préparation"), le joueur du personnage raconte comment son personnage réunit les différents ingrédients, ustensiles, se renseigne pour les différentes techniques en vue de préparer son plat. Le joueur du Guide lui donne des dés (1 à 3) quand il aime une description.
Dans la troisième séquence (la "Dégustation"), le joueur du personnage raconte comment son personnage déguste le plat en compagnie du Guide. Le joueur du Guide continue de donner des dés, le joueur du personnage les lance ainsi que les dés obtenus durant la Préparation. Il peut faire appel à d'autres ressources plus complexes.
L'Approche
Je raconte que Safran a reçu une enveloppe contenant l'adresse du premier Guide à rencontrer. Cela l'amène à une pâtisserie de luxe à Paris, pleine de monde, un salon de thé déborde de gens, les pâtisseries sont excessivement chères, etc.
Morgane raconte que Safran fait le tour, va à la porte des cuisines et donne son carton à un aide-cuisinier qui attend là. Je raconte qu'à force de remonter la hiérarchie du salon, un des cuisiniers sait qui est Safran et pâlissant, lui propose d'attendre dans le salon de thé où on lui offre le meilleur sirop de sureau disponible (à sa demande).
La journée se passe, les clients s'en vont. Safran se retrouve dans un salon de thé vide où un vieil homme passe la serpillère. Il finit par lui demander ce qu'elle fait là, elle répond qu'elle compte devenir pâtissière experte en mille-feuille. Le vieil homme commence à lui parler de sa vision du mille-feuille: il ne faut pas tomber dans son piège, la qualité de ce dessert ne doit pas se trouver dans son aspect, aussi impressionnant soit-il, mais l'équilibre, le véritable équilibre entre ses ingrédients. A l'image du Guide (puisqu'on a bien compris qu'il s'agit de lui), le mille-feuille ne doit pas être jugé sur son aspect, mais bien pour son goût, son équilibre et son symbolisme. (C'est moi qui ai préparé ce Guide à la volée, à partir d'un certain nombre de questions du jeu.)
Morgane raconte sa propre vision du mille-feuille, ce qui l'amène à entamer la Préparation.
La Préparation
Morgane raconte que Safran choisit de cuisiner un mille-feuille aux framboises - contre l'avis du Guide qui objecte que cela ne respecte en rien la tradition française du mille-feuille. Elle veut faire un mille-feuille très léger et piquant, axé sur des souvenirs d'enfance.
Elle choisit des framboises de Normandie (Morgane s'appuie sur des souvenirs personnels) plutôt que des framboises de maraîchers de la vallée du Rhône, trop cuits par le soleil, manquants d'eau ; les framboises de Normandie sont plus aqueuses, plus subtiles.
La crème est faite à base d'un lait d'exception de Normandie (dont le nom m'échappe en écrivant), avec un peu de sucre blanc classique et surtout avec de la verveine du potager, afin d'accompagner le parfum des framboises. Je lui demande si elle veut aller jusqu'à recourir à des ingrédients "tabous" comme du sel ou du piment, mais elle préfère y mettre une pincée de poivre.
Safran choisit une pâte craquante, comme celle des tuiles à l'amande, pour rappeler des biscuits de l'enfance, sucrée et gourmande comme les petits gâteaux dans les glaces qui sont meilleurs que les glaces elles-mêmes.
Le glaçage sera très simple, du sucre avec du jus de citron on ne peut plus banal. L'ensemble du mille-feuille est en équilibre, pas un parpaing industriel mais une superposition tirée à la verticale de crême et de pâte.
Enfin, je demande à Morgane par l'intermédiaire du Guide si Safran compte accompagner son mille-feuille. Safran propose un grand verre de jus de rhubarbe frais dont l'acidité doit équilibrer à la fois le gras de la crême et le sucré global du mille-feuille.
Je n'ai pas tenu le compte du nombre de dés que j'ai donnés à Morgane à chacune de ses descriptions, mais elle a atteint le maximum de 10 dés.
La Dégustation
Je raconte comme les personnages s'installent dans le salon de thé vers 2h du matin, tout est vide, des noctambules marchent à grands pas dans la lumière orange des lampadaires.
Morgane décrit le plaisir visuel et gustatif de son mille-feuille, je distribue les dés et avec les dés obtenus durant la Préparation, Morgane parvient à obtenir suffisamment de succès pour franchir le premier palier.
Morgane décrit ensuite le premier palier de plaisirs célestes: les souvenirs d'enfance dans lesquels son personnage sortait dans le jardin de sa grand-mère tôt le matin pour aller manger des framboises, près de la verveine. En deux lancers de dés, Morgane obtient assez de succès pour passer au palier suivant.
Dans le deuxième palier, Safran se réjouit du plaisir de déguster un dessert comme celui de Marie-Antoinette, avant de se rappeler le conseil du Guide: se concentrer sur le goût, l'essence du mille-feuille plutôt que son aspect clinquant.
Dans le troisième et dernier palier, Safran trouve que le mille-feuille ressemble à un ciel immense, léger comme un nuage, où perce un lever de soleil. A ce moment, le soleil se lève effectivement sur le salon de thé. Safran est parvenue au troisième palier des plaisirs célestes et l'Epreuve prend fin.
Je raconte l'épilogue: le Guide félicite Safran pour son plat et sa dégustation, elle a l'étoffe des grands Guides. Il lui donne une enveloppe contenant l'adresse du prochain Guide qu'elle rencontrera, habitant dans le Sud de la France et prônant une utilisation intensive des fruits dans les mille-feuille. Safran pourra confronter ses vues aux siennes.
On a joué un peu moins d'une heure.
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Discussion
Voilà, c'est la troisième partie que je joue avec ce jeu et il me semble toujours aussi solide. Je n'ai pas de doute pendant que je joue, le temps passe vite, pas besoin d'expliquer beaucoup le système. Evidemment, l'expérience a montré qu'un créateur se trompe toujours quand il croit que son jeu est fini, mais j'ai envie que ce projet-là avance vite !
Morgane a des connaissances en cuisine qui l'on bien aidé, mais je ne crois pas que ce soit nécessaire pour apprécier le jeu (les deux testeurs précédents n'en avaient pas).
Le système est assez facile en fin de compte, il offre peu de résistance, mais comme Morgane l'a noté, le jeu reste exigeant et éprouvant. La résistance se trouve plutôt dans le fait de devoir inventer des descriptions sur la nourriture, qui sont assez éloignées de ce qu'on a l'habitude d'imaginer.
Donc tout ceci me donne envie de passer rapidement à la publication de La Saveur du Ciel.
J'ouvre donc ce fil pour présenter le jeu et pour discuter de ses possibles illustrations.
La difficulté vient de ce que ce jeu est différent de Monostatos. Je pense le publier en format A5, ce qui suppose environ 30 à 40 pages (contre 116), illustrations inclus. Je n'ai pas encore décidé du prix à lui donner, mais il ne peut être supérieur à celui de Monostatos (15€).
Par ailleurs, je ne pense pas pouvoir en vendre autant que Monostatos: le sujet de la cuisine est quand même moins "mainstream" que celui de la fantasy revisitée, la forme d'un jeu de rôle à deux est moins acceptée et connue que celle d'un jdr à meneur et joueurs. Et moins j'en vends, moins je peux me permettre de dépenser d'argent pour mes illustrations si je ne veux au moins rentrer dans mes frais (déjà que Monostatos a pu être illustré grâce à la générosité de Tresadenn).
Mais j'aurais besoin au moins d'une couverture et de 5 illustrations (environ une toutes les 6/8 pages), c'est malheureusement un prérequis pour être pris au sérieux quand on veut publier un jeu de rôle et c'est de toute manière utile au jeu pour donner envie de manger.
En plus de la contrainte de coût, trouver un illustrateur ou une illustratrice me semble d'autant plus difficile que dessiner de la nourriture n'est pas nécessairement aisé ou intéressant. Evidemment, je peux toujours espérer tomber sur quelqu'un à qui le projet plaise et prêt à donner de son temps, mais je ne peux pas compter là-dessus.
Tout ceci me pousse donc à chercher des solutions alternatives. Si vous en avez, n'hésitez pas à m'en parler.
Je pense par exemple à recourir à des banques d'images puis en les retravaillant comme Vincent Baker l'a fait avec Apocalypse World (Dreamstime et iStockPhoto), mais je ne m'y suis pas encore risqué. Les images y sont à des prix abordables, mais je ne suis pas sûr de pouvoir les retravailler aussi bien que Baker et de manière pertinente pour La Saveur du Ciel. Les images de ces banques d'images sont d'ailleurs souvent assez convenues, on a l'impression de se balader dans des pubs, des power-points, des sites officiels d'entreprises ou des catalogue ; il faut donc bien chercher.
Pour des histoires de coût, je vais devoir garder un intérieur noir&blanc. Si ça pouvait être pertinent pour Monostatos, ça me le semble moins pour La Saveur du Ciel où la couleur permettrait de donner vie aux plats présentés. Mais la différence de prix est sans appel: 2€60 en intérieur N&B (40 p. en A5) contre 7€50 en intérieur couleur !
Il faut que je vois comment arranger ces photos au mieux, il faut arriver à conserver l'aspect gourmand de l'ensemble malgré l'absence de couleur.
Voilà, si vous avez des questions sur le jeu ou des suggestions pour son illustration, à vous la parole !