Voici un rapport de partie du projet Soupirs, sur lequel je me suis remis à travailler depuis quelques mois, après l'avoir longtemps délaissé. C'est une idée que je poursuis depuis 2011, que j'avais testé quatre fois avec des résultats variables en 2013, une fois avec Daniel, Guillaume et Fabien (Chams) (j'en avais tiré ce rapport de partie), une fois avec Fred, Gaël et Mélanie, une fois avec Samuel, Steve et Vivien, et une fois avec Romaric et Flavie.
Soupirs est une bouture d'un autre projet abandonné, Org, orienté sur la thématique du corps (plaisir et monstruosité) puis sur les questions d'érotisme.
Pour celles et ceux qui se posent la question, Babel est en dormance pour un bon moment - je me rends compte que je ne suis pas encore à la hauteur de ce projet. Mais comme souvent, ce sont mes projets inaboutis qui irriguent les autres.
Dans Soupirs, vous jouez des courtisans à la Cour de l'Empire des elfes. Vous déjouez des intrigues politiques et cherchez à faire progresser vos propres amours. Le sous-titre du jeu est "Intrigues politiques et amoureuses à la Cour des elfes".
Les elfes sont ici à comprendre au sens du Silmarillion de Tolkien: des êtres puissants, créateurs, passionnés et qui dominent le monde (même si je pense qu'une des dimensions du projet sera d'explorer en profondeur toutes les dimensions de ce trope de la fantasy).
Je parlerai une autre fois de toutes les ramifications que je veux pour ce projet.
En termes de méthode, j'ai décidé de partir d'un jeu proche, que je connais bien et que j'aime énormément, Les Cordes Sensibles de Frédéric Sintes, puis de l'adapter progressivement jusqu'au moment où il sera entièrement autonome. Dans les précédentes tentatives, j'avais essayé de créer mon propre système ex-nihilo, mais ça amenait trop de variables différentes pour analyser ensuite la partie - là, j'ai décidé de m'y prendre étape par étape et de passer du temps sur ce projet.
Donc à l'heure actuelle, Soupirs est un hack sans vergogne et sans finesse de Les Cordes Sensibles. Les seuls changements sont d'une part fictionnels (le contexte n'est pas contemporain et est très précis) et d'autre part il y a un meneur (ce qui rompt la symétrie initiale entre les joueurs) qui s'appuie sur une préparation poussée, ressemblant à celle de Dogs in the Vineyard de Vincent Baker et de Démiurges de Frédéric Sintes: différents personnages de la Cour ayant leurs propres ambitions et incluant fortement les personnages des joueurs. Enfin, les scènes sont mises en place par le MJ sur suggestion des joueurs.
Ce choix méthodologique n'est pas seulement pratique, mais me sert aussi à conserver mon propre moral: transformer progressivement un jeu qui marche en mon propre jeu me permet de m'assurer de bonnes parties au début et d'améliorer les choses de manière incrémentale en fixant à chaque fois les problèmes à mesure qu'ils se présentent. Cela me permet d'éviter le découragement face à un système qui marche mal sans que je puisse expliquer pourquoi et ça maintient un certain niveau de qualité. En revanche, le risque est de ne pas arriver à un jeu qui ait sa personnalité propre, mais ne soit qu'une pâle copie d'un autre jeu plus affirmé. Voilà à quoi il faudra faire attention dans le futur.
De manière générale, ce n'est pas un jeu très ambitieux, dans le sens où je compte reprendre des mécaniques de jeux similaires et les travailler jusqu'à les mettre en cohérence. Je ne cherche pas à créer quelque chose de radicalement neuf: c'est à nouveau un jeu avec des relations (surtout amoureuses, familiales et amicales) et des dilemmes, on a déjà vu ça quelques fois. Mais j'espère arriver à lui donner une saveur propre et peut-être à arriver à quelques idées neuves et intéressantes à force de travailler le projet.
Préparation et personnages
Cette première préparation s'appelle « Les fiançailles de la Princesse des Perles »: le trône impérial est vide depuis la mort de l'Impératrice et son héritier théorique ne prend pas d'initiative pour prendre le pouvoir, ce qui aiguise les appétits des autres Maisons nobles.
La Princesse des Perles doit être fiancée au Chevalier Nébuleux, pour allier ainsi deux Maisons puissantes, la Maison d'Albâtre et la Maison Fuligineuse. Cette alliance contrecarre les ambitions de la Maison Viride.
Voilà le contenu de la feuille que reçoivent les joueurs en début de partie indiquant les personnages principaux de la Cour, leurs rôles et leurs réputations; ils sont invités à créer des liens avec les personnages de la Cour. La réputation des personnages et des Maisons est en italique.
La Maison d’Albâtre ; la Maison de la précédente Impératrice, ses membres sont réputés pour leur beauté mais aussi pour leur faiblesse physique et morale
La Princesse des Perles, fille du Prince Albinos ; éblouissante de beauté, compétente, obéissante
Le Prince Albinos, jeune Patriarche de la Maison d’Albâtre, héritier théorique de la défunte Impératrice d’Ecume ; mélancolique
La Maîtresse Porcelaine, fille du Prince Albinos et sœur cadette de la Princesse des Perles ; discrète
La Maison Viride ; la force montante de la Cour, belliqueuse
Le Commandeur Viride, le Patriarche de la Maison Viride, prétendant au trône impérial et concurrent du Prince Albinos ; ambitieux, orgueilleux, loyal avec ses amis, violent
Le Duc Blenheim, dit « le Vieux Père La Meute », l’oncle du Commandeur Viride ; aimable, excentrique
La Maison Fuligineuse ; honorable mais secrète
La Dame d’Encre, Matriarche de la Maison Fuligineuse ; puissante, âgée, silencieuse
Le Chevalier Nébuleux, arrière-petit-fils de la Dame d’Encre et promis de la Princesse des Perles ; élégant, chevaleresque
Les Errants
Roncevaux, ambassadrice humaine des Forêts Profondes ; c’est juste une humaine
J'ai ajouté quelques informations à l'oral: la Princesse des Perles est une stratège (pas une guerrière) de talent, même si elle est peu reconnue par son père; le Commandeur Viride est inspiré de l'Edouard VIII de la série The Tudors (homme envahissant, dangereux); la Dame d'Encre est la patience incarnée, elle cherche à placer un de ses descendants sur le trône impérial et c'est ce qui la maintient sa si grande longévité.
Tous les personnages n'ont pas servi, loin de là.
Nous avons donc joué samedi dernier avec Clément et Philippe. Dans l'ensemble, nous avons suivi la création de personnage de Les Cordes Sensibles, à deux exceptions: les joueurs disposaient d'une liste de noms et de titres pour leurs personnages, et pouvaient créer autant de Traits qu'ils voulaient, notamment des relations avec les autres membres de la Cour.
J'indique surtout les informations que nous avons utilisées durant la partie.
Philippe a créé le Baron Aquilain, frère cadet du Commandeur Viride.
Problème: est-ce que j'arriverai à protéger le Chevalier Nébuleux et que les fiançailles se déroulent bien ? (il y est incité par la Dame d'Encre qui connait son secret et le fait chanter) [Philippe m'a demandé comme il pourrait protéger un secret ou une personne, j'ai saisis la balle au bond en lui proposant cet élément de ma préparation.]
Obstacle interne: Je suis amoureux de la Princesse des Perles.
Obstacle externe: Ma propre Maison, la Maison Viride, n'a pas confiance en moi (Soufre est son écuyer pour pouvoir le surveiller).
Croyance: Je mérite plus que ce que je n'ai reçu.
J'annonce à Philippe que le Chevalier Nébuleux l'aime comme un frère et qu'il apprécie énormément sa présence (c'est prévu par la préparation, mais ça rend encore plus compliqué sa mission et son amour envers la Princesse des Perles, dont le Chevalier Nébuleux est sincèrement amoureux)
Clément a créé Soufre, bâtard du Duc Blenheim (donc cousin du Commandeur Viride et du Baron Aquilain), écuyer du Baron Aquilain et souffleur de verre.
Problème: Suis-je capable d'accomplir quelque chose qui m'apporte l'admiration de la Cour ?
Obstacle interne: Dans l'ombre du Commandeur Viride, il n'y a aucune place pour m'affirmer.
Obstacle externe: Fils illégitime du Duc Blenheim et d'une servante.
Beauté: albinos aux cheveux d'argent
Clément et Philippe savaient qu'il s'agissait d'un projet en cours de développement et se sont prêtés au jeu avec sympathie. Cela fait longtemps que l'on joue ensemble, donc on est assez accordés les uns aux autres.
Déroulement de la partie
Scène 1
La première scène est l'équivalent à Les Cordes Sensibles d'une scène d'exposition: chaque joueur doit raconter comment il est présenté à la Cour après une longue absence et doit faire un cadeau à l'Impératrice/l'Empereur. En l'absence de celle-ci/celui-ci, c'est le Prince Albinos en compagnie de ses deux filles qui reçoit les cadeaux.
Le Baron Aquilain offre deux pommes d'or à la forme régulière, dans un coffret en bois précieux. C'est un symbole des deux filles du Prince Albinos protégées par leur Maison. C'est aussi un message à la Princesse des Perles: plus jeunes, elle et le Baron s'étaient embrassés sous un pommier.d
Soufre apporte un plateau en bois sur lequel une miniature en verre avec des notes de blanc et d'argent représente un banquet impérial.
Scène 2
Je cadre la scène.
Alors que Soufre est en train de prendre des croquis pour une prochaine oeuvre d'art en verre, la présence du Commandeur Viride se fait sentir à ses côtés. Il a un verre a la main. Il demande à Soufre pourquoi le banquet était en blanc (la couleur de la Maison d'Albâtre, rivale de la Maison Viride) et lui rappelle que la loyauté au sein des Maisons est primordiale, surtout les prochains temps !
Je demande à Clément s'il veut en faire un conflit pour s'opposer au Commandeur, mais il préfère que Soufre reste paralysé de terreur. Clément ne pensait pas son cadeau comme une soumission au Prince Albinos et donc une provocation envers sa propre Maison, mais voit bien la paranoïa du Commandeur Viride.
Le Commandeur brise le verre de cristal aux pieds de Soufre et s'en va.
Pour rendre l'issue plus pressante, je décide que les fiançailles auront lieu dans trois jours.
Je précise aussi que la prérogative d'une Matriarche ou d'un Patriarche (comme le Commandeur Viride) est de pouvoir exiler quelqu'un de sa Maison.
Scène 3
Je cadre la scène sur la suggestion de Philippe, qui me dit que le Baron Aquilain va voir son frère, le Commandeur Viride.
Le Commandeur Viride joue aux échecs en public, tandis que des courtisans de moindre importance viennent lui demander des faveurs ou déposer un placet.
Le Baron Aquilain s'approche, lance un bon mot puis demande au Commandeur Viride de lâcher un peu de lest et de ne pas trop mettre de pression sur Soufre.
Conflit ! Nous discutons pour trouver l'enjeu exact: OK on sait ce que le Baron veut faire, mais que VEUT-il exactement ? c'est beaucoup plus flou.
Nous échangeons des arguments. Le Commandeur remet en cause la loyauté du Baron son frère et lui reproche son amitié avec le Chevalier Nébuleux.
Le Commandeur gagne et inflige des répercussions au Baron, mais c'est Philippe qui raconte l'issue du Conflit: le Commandeur signale clairement au Baron que sa partie d'échec est bien plus importante.
Scène 4
[Les deux scènes précédentes m'ont quand même fait réfléchir au rôle de l'écuyer, qui manque de leviers pour atteindre son objectif; je me dis aussi que le Commandeur cherche des alliés.]
Soufre est réveillé dans la nuit par un page qui lui demande de le suivre. Je décris un peu le Palais impérial la nuit.
Soufre et le page arrivent à un relai de chasse de la Maison Viride. Le Commandeur acceuille Soufre avec chaleur et enthousiasme (son contraire complet de la scène 2): "mon cousin ! quel plaisir de vous voir !" etc.
Le Commandeur explique à Soufre qu'il a besoin de lui: il voudrait savoir si la Princesse des Perles serait susceptible de l'épouser (plutôt que le Chevalier Nébuleux) s'il lui en faisait la demande. Il a donc besoin que Soufre sonde ses sentiments sur la question.
Le Commandeur insiste sur l'importance de la mission et précise bien qu'il récompense toujours ses amis.
Clément raconte comment son personnage est gonflé de joie et de fierté à l'idée de cette mission (il raye un sentiment).
Commentaire de Philippe: "quel petit fayot !" (démarche créative narrativiste ! :) )
Scène 5
Le Baron Aquilain est tenu éveillé dans la nuit pour son désir pour la Princesse des Perles. Il ne sait pas comment il doit agir: en suivant son amour, son devoir (envers la Maison Viride ou envers le Chevalier Nébuleux)
Je propose à Philippe de jouer un conflit intérieur. Philippe choisit Clément pour jouer le "devoir" et joue lui-même le "désir". Les cartes sont très favorables à Clément, qui pourtant n'impose pas des retombées excessives à Philippe (et le sauve ainsi de l'acte irréparable).
Philippe choisit un coup de théâtre en invoquant sa croyance "Je mérite plus que ce que je n'ai reçu." (càd: je mérite d'être avec celle que j'aime).
Philippe raconte ainsi comment le Baron Aquilain est persuadé que la flamme brille toujours pour lui dans les yeux de la Princesse des Perles.
Scène 6
Soufre se dirige vers la demeure de la Maison d'Albâtre (que je décris sculptée dans une immense falaise de craie, sur la côte).
Il se perd à nouveau dans ses fantasmes de puissance: il rêve que c'est lui qui préside le banquet impérial, qu'il est l'Empereur. Son oeuvre de verre n'était pas blanche pour flatter le Prince Albinos, mais pour exprimer sa propre ambition à lui, Soufre (qui, rappelons-le, est vraiment albinos).
Soufre écrit une lettre demandant à la Princesse des Perles de bien vouloir le rencontrer dans le "bosquet sacré" (que Clément invente ainsi sur le pouce) au nom du Commandeur.
Scène 7
Là, il y a un moment où on discute: qui du Baron Aquilain ou de Soufre doit arriver en premier pour rencontrer la Princesse ? Je suggère que ce soit le Baron pour ne pas vider de sens les actes de Soufre, mais aucune règle ne nous permet de le trancher (en-dehors, peut-être, du choix du MJ).
Soufre rencontre la Princesse des Perles, venue seule au rendez-vous, comme prévu. Là, c'est juste un dialogue entre Clément et moi. Je révèle que la Princesse des Perles est très intéressée par un mariage avec le Commandeur Viride (c'était dans ma préparation) et elle demande à Soufre d'organiser un rendez-vous avec le Commandeur. Là il me manque une règle pour permettre à un joueur de "sonder" un autre personnage (voir dans les commentaires, la réflexion sur le secret).
En descriptions d'arrière-plan, je précise que des troupeaux de licornes boivent dans un lac clair à proximité.
Les espoirs de Soufre sont confirmés. Il se sent fier et rêve d'un titre. Clément raye le sentiment "Ambition".
Commentaire de Philippe: "belle petite enflure!"
Scène 8
Le Baron Aquilain rejoint la Princesse des Perles pendant qu'elle chasse. Il lui ouvre son coeur. Elle admet qu'elle a effectivement aussi des sentiments pour lui (c'est prévu dans la préparation), mais ne voit pas d'avenir à leur couple, politiquement: seul le frère du Baron, le Commandeur Viride, est le Patriarche et peut ainsi l'accepter dans sa Maison.
Philippe demande un conflit: il veut que la Princesse des Perles admette qu'il puisse y avoir un futur s'ils le veulent vraiment.
Philippe gagne le conflit (mais prend des répercussions): sa jauge de Problème augmente d'un puisqu'il avance vers la résolution de son Problème.
Scène 9
Soufre retrouve le Commandeur à son pavillon de chasse. Il donne des ordres à ses généraux.
Je révèle (mais ce n'était pas directement dans la préparation) que le Commandeur place ses troupes de manière à pouvoir envahir les Maisons d'Albâtre et Fuligineuse, ainsi qu'à menacer la Cour elle-même.
Soufre annonce la nouvelle au Commandeur, qui le félicite "vous serez dûement récompensé !" ce qui appuie à nouveau la fierté de Soufre. Sa jauge de Problème avance d'un point.
Soufre doit maintenant organiser la rencontre avec la Princesse des Perles.
Scène 10
Le Chevalier Nébuleux vient trouver le Baron Aquilain pour lui faire part de ses craintes que les fiançailles ne se passent pas aussi bien que prévu. Là, je fais le sadique: le Chevalier a toute confiance dans son ami le Baron, alors que celui-ci le trompe délibérément.
Philippe raconte que le Baron rassure le Chevalier, lequel le quitte sur un "merci mon ami !"
Philippe ajoute "Culpabilité" à la liste de ses Sentiments.
Scène 11
La Princesse des Perles rencontre le Commandeur Viride à son pavillon de chasse. Soufre entend la conversation de l'autre côté de la porte. Le Baron est caché à proximité et écoute les échanges.
Clément et Philippe me demandent si la Princesse des Perles "a fait son conflit intérieur", c'est-à-dire si elle a choisi entre le Commandeur Viride et le Baron Aquilain. Je dis que pour le moment elle continue sur son intention initiale (le Problème de Philippe n'est pas résolu!). Philippe me dit qu'il a bien compris qu'en tant que stratège, la Princesse cherche à se placer politiquement.
La Princesse et le Commandeur se mettent d'accord et établissent les bases de leur accord de mariage. C'est un mariage de raison très clair pour chacun: elle veut un futur politique et il veut un héritier.
Lorsque la Princesse sort et s'éloigne dans sa chaise à porteurs, le Baron la rejoint. Philippe veut un conflit pour qu'elle assume enfin pleinement son amour. Il gagne le conflit, ce qui fait avancer à nouveau sa jauge de Problème.
On a dû arrêter là, d'autres obligations nous appelaient ailleurs.
La partie a duré environ 4h, dont une heure de création de persos.
Commentaires et réflexions
Ca fait plaisir de jouer une partie plaisante et qui se passe bien ! Ca fait trop longtemps que ça ne m'était plus arrivé en développant des jeux ! D'habitude, je me méfie de mon propre enthousiasme, parce qu'il m'est arrivé de surévaluer la qualité d'une partie tant j'avais mis d'efforts à la préparer, mais là j'ai eu vraiment le sentiment d'un bon moment, que Clément et Philippe m'ont confirmé.
Philippe dit avoir été agréablement surpris par le jeu: ni l'univers (cour, politique) ni les règles ne le branchaient sur le papier et en y jouant il y a pris un vrai plaisir.
Philippe fait remarquer que dans Dogs in the Vineyard, il y a une forme de "décision de groupe": on a tendance à s'accorder les uns aux autres (même si des conflits apparaissent). Là il a apprécié de pouvoir être à la fois lié et en conflit avec Clément, sans que ça pose problème. Je me dis que c'est sans doute quelque chose à travailler, peu présent dans Les Cordes Sensibles, mais qui donnerait du sel à mon projet.
Dans le même sens, Clément apprécie qu'on puisse défendre pleinement les intérêts de son personnage. Les révélations permettent des retournements de situations intéressants (je pense qu'il devait avoir à l'esprit la révélation des ambitions de la Princesse des Perles et de ses amours ambivalents), qu'on puisse changer son fusils d'épaule en cours de partie.
Pour ma part, j'ai eu plaisir à voir jouer Clément et Philippe. Non seulement ils étaient très bienveillants envers le projet, mais ils sont chacun endossé un rôle de courtisan différent, sans pour autant en faire un cliché: le personnage de Clément était dévoré d'ambition, un vrai "courtisan" cherchant la reconnaissance de sa famille et de ses pairs; le personnage de Philippe était un amoureux déchiré entre ses devoirs, les pressions politiques exercées sur lui et son amour impossible. Dans les deux cas, ce sont des figures que j'aimerais explorer dans mon jeu.
Ils ont proposé de continuer à jouer, j'aimerais voir comment leurs personnages vont évoluer. Il y a beaucoup de questions restées en suspense: comment va réagir le Chevalier Nébuleux si la Princesse des Perles épouse le Baron Aquilain ? et comment va réagir le Commandeur Viride ? dans quelles positions inconfortable cela va-t-il mettre le Baron ? comment Soufre va-t-il tirer son épingle du jeu ?
Cette première expérience me rassure. J'espère que ce jeu prendra toute sa saveur en campagne, où les personnages pourront créer de vraies relations et où j'espère voir émerger des amours imprévus par les joueurs, comme dans les fictions où on voit deux personnages tomber amoureux l'un de l'autre très involontairement.
S'éloigner de Les Cordes Sensibles
Le plus gros chantier qui m'attend est d'affiner mes règles pour m'éloigner de Les Cordes Sensibles et développer ma propre dynamique de jeu.
Dans tout ça, le premier problème auquel j'aimerais me confronter est celui de "moins de conflit, plus de conversation". Je m'explique. Dans Les Cordes Sensibles, les scènes se règlent souvent à l'aide d'un Conflit, qui oblige le personnage à déterminer clairement ce qu'il veut et quel prix affectif (tensions, reniement de soi-même, etc.) il est prêt à payer.
Si cette idée me plaît beaucoup pour Soupirs, j'aimerais arriver à un règlement plus feutré de ces tensions. Le propre de la vie de cour c'est le contrôle de soi, en particulier de ses émotions: c'est dû à une question de "face" et de prestige, mais c'est aussi dû au fait qu'on passe sa vie avec les mêmes personnes, donc on ne peut pas se permettre d'être trop en tension avec eux.
C'est d'autant plus vrai que le but des conversations n'est pas toujours très clair, même pour celui qui l'initie. Exemple de la scène 3: le Baron Aquilain cherche à la fois à protéger son écuyer, à prendre l'ascendant sur le Commandeur, à s'imposer lui-même, etc.
J'aimerais donc aller vers des conflits plus étalés et moins nets. Une des idées que j'entretiens est celle d'avoir des cartes en main et de pouvoir en jouer une contre un autre personnage pour l'amener à faire ce qu'on souhaite (il peut se défendre, mais il risque de créer des retombées, etc.).
Dans le même esprit, je vais développer l'idée des Promesses et des Pactes (ça vient de Poison'd me semble-t-il): si c'est une Promesse, je te donne le pouvoir de m'infliger 5 points de Sentiment à tout moment si tu estimes que je n'ai pas tenu ma promesse; si c'est un Pacte, on a tous les deux le droit d'infliger 5 points de Sentiment à l'autre si on estime qu'il n'a pas rempli sa part du Pacte.
Cela donne la possibilité de négocier plus et ainsi de résoudre autrement les tensions.
La limite de ça, c'est l'opacité des intentions des personnages et de la signification des gestes. Au début de la partie (ça ne se voit pas ci-dessus) Clément et Philippe ont parfois joué tellement bien les courtisans que les idées qu'ils amenaient ou les intentions de leurs personnages se perdaient dans le flou des effets oratoires ou des symboles.
C'est aussi un problème à anticiper: certes il faut une certaine subtilité pour jouer, mais il faut quand même que le jeu reste clair pour tout le monde.
Quelques éléments encore qui me viennent à l'esprit pour m'affirmer:
- développer d'autres manières de dépenser des points de Sentiment, notamment le fait d'exprimer son désir pour un autre personnage
- avoir plus de Traits, notamment des Traits de Relation ; pouvoir impliquer un Trait de Relation en plus du Trait normal pour donner de l'importance au Trait de Relation
- un personnage peut demander un "duel", qui permet de changer brusquement la donne d'une situation défavorable ; dans mon esprit, c'est une fonction proche de celle des coups de théâtre de Les Cordes Sensibles ou de l'escalade de Dogs in the Vineyard: il y a toujours une porte de sortie, mais elle a un prix
- la progression de la jauge de Problème sera sans doute différente (on l'a d'ailleurs utilisé très différemment dans la partie) justement parce que les conflits sont moins nettes et que les situations se transforment assez progressivement, il faut aussi que j'y songe
Le premier était de voir Clément parlant régulièrement des émotions de son personnage et le poussant à décrire son ambition grandissante.
Ça m'a plu parce que ça lui a permis de développer ce "type" de personnage ambitieux, aux rêves de gloire de plus en plus grands.
Le deuxième Philippe a beaucoup utilisé les coups de théâtre pour emporter les conflits et ça a rendu son personnage d'autant plus passionné, ce qui s'accordait bien avec sa personnalité.
Ce qui me plaît surtout c'est que ce sont deux comportements que je n'avais pas tellement vu tel quel dans Les Cordes Sensibles, mais que ce contexte fictionnel a permis de révéler.
Trois craintes de ma part quant à la forme actuelle du jeu
J'ai crains un moment le syndrome du "personnage central", c'est-à-dire que le personnage de Philippe (le Baron d'Aquilain) soit tout le temps au centre de l'action et que celui de Clément ne fasse que de la figuration.
Heureusement, j'ai su profiter du Problème de Soufre et le combiner au désir du Commandeur Viride pour en faire l'intermédiaire entre lui et la Princesse des Perles et ainsi en faire l'antagoniste du Baron Aquilain.
Les règles peuvent-elles assurer que ce problème ne survienne jamais ?
Dans la même approche, je crains que le MJ n'ait un rôle démesuré. C'est lui qui joue les PNJs, qui ici sont les antagonistres principaux, donc c'est toujours MJ/joueur et rarement joueur/joueur. C'est peut-être le fait de n'avoir que deux joueurs qui faisait ça. Idéalement, j'aimerais éviter que le MJ prenne plus de place que les joueurs; si ces derniers pouvaient même autonomes (c'est-à-dire interagir entre eux quand ils n'ont pas besoin de PNJs) ce serait bien cool.
Ce n'est pas une question cruciale, mais je la garde à l'esprit.
Un dernier élément sur lequel il faut que je réfléchisse: j'aimerais que l'ambiance de Cour "luxe, calme et voluptée" ait une certaine place dans le jeu. Là, ça arrivait en dernière position, parfois quand j'avais le temps d'apporter une description. La seule exception était les cadeaux des personnages, décrits par Clément et Philippe, qui ont eu une vraie importance dans l'histoire et étaient vraiment dans le canon symboliste de l'ensemble. Il faut que je trouve un moyen d'inviter les joueurs à faire ce genre de descriptions.
Quelques réflexions secondaires
1. Les situations sont très vite compliquées ! Je ne sais pas si ça se voit au rapport de partie, mais les personnages sont pris dans des réseaux très serrés de relations familiales, amoureuses et amicales. C'était sans doute dû au faible nombre de PNJs (seulement 8) qui amène ce resserrement. Pour le moment, ça ne me semble pas être un problème, ça rend bien l'atmosphère de cour un peu consanguine et ça crée des dilemmes savoureux, où AUCUNE solution n'est bonne. J'espère juste que ça ne paralysera jamais les joueurs.
2. Le statut du secret n'est pas clair.
Entre les joueurs, tout était clair: chacun pouvait savoir ce que l'autre savait et choisissait ensuite ce que son personnage ignorait selon ses désirs.
Entre les joueurs et la préparation, c'était plus compliqué. Parfois j'ai "révélé activement" (par exemple les sentiments ambivalents de la Princesse des Perles) et parfois, j'ai fait un peu de rétention. J'aimerais que les joueurs fassent un effort pour obtenir l'information, mais que je puisse aussi la donner lorsqu'elle me semble nécessaire.
Dans cet ordre d'idée, il faudra que je pense à une règle qui permette de "sonder" les sentiments de l'autre, c'est-à-dire d'obtenir une information du MJ contre d'autres ressources (par exemple devoir risque de gagner en intimité avec l'autre).
3. Il faut que je trouve un meilleur terme que "courtisan" pour désigner les personnages, parce qu'au féminin ça fait "courtisane" et ça n'a pas du tout le même sens.
Je n'ai donc pas beaucoup de problèmes à régler présentement, je vais explorer cette idée d'avoir "moins de conflit et plus de conversation" et voir où ça me mène.
Si vous avez des questions ou des commentaires, ils sont les bienvenus !