Salut tout le monde !
Pour mon premier article sur Les Ateliers Imaginaires, je voudrais vous donner LE meilleur outil de création de jeu sur lequel je sois tombé depuis
très longtemps. C'est entre autres grâce à lui que j'ai réussi à mettre
Sphynx rapidement sur pied cet été, ainsi que La Saveur du Ciel et d'autres projets qui verront bientôt le jour. Ce n'est pas un outil-miracle, il ne remplace en rien du travail sur la durée ou une bonne culture ludique, mais il permet de mettre rapidement le pied à l'étrier. Il m'a été suggéré par
Frédéric Sintes, loué soit-il.
Cet outil s'énonce simplement:
Définis les enjeux fictionnels. Puis trouve les enjeux ludiques qui permettent de les soutenir auprès des participants.Les
enjeux fictionnels sont ce qui importe dans l'histoire que les participants vont construire. S'agit-il de déterminer comment les personnages vont juger les pécheurs qu'ils vont rencontrer sur leur chemin (
Dogs in the Vineyard de Vincent Baker) ? S'agit-il de déterminer comment va se développer la relation amoureuse entre les personnages (
Breaking the Ice d'Emily Care Boss) ? S'agit-il de déterminer si et comment les personnages vont réussir à pousser un lieu à la rébellion (
Monostatos) ? S'agit-il de déterminer comment chaque personnage va faire face à ses difficultés affectives (
Les Cordes Sensibles de Frédéric Sintes) ?
Bien entendu, il peut y avoir plusieurs enjeux fictionnels dans un même jeu de rôle, mais ils sont toujours liés d'une manière ou d'une autre. Par exemple, dans
Polaris de Ben Lehman, il y a à la fois l'enjeu de savoir comment va se dérouler la quête de chaque chevalier (comment il va faire face à ses adversaires et ses proches) et de savoir si et comment il va vieillir, gagner en expérience et ainsi se corrompre (dont le dénouement final, mort ou corruption ultime, n'est que l'aboutissement logique) ; les deux enjeux fictionnels sont liés parce qu'à chaque moment de sa quête, les autres joueurs vont essayer de le pousser à la faute, de trahir ses idéaux, et inversement, vieillir et gagner en expérience va lentement changer la donne du rapport du personnage à ses adversaires.
Les
enjeux ludiques sont les enjeux réels, pour les joueurs et non pour le personnage. Par exemple est-ce que je fais bien de provoquer un Affrontement à ce moment-là du jeu étant donné le nombre de Points de Puissance qu'a le meneur de jeu et que j'ai (
Monostatos à nouveau) ? Est-ce que je vais parvenir à traverser la prochaine scène sans que ma jauge d'Emotion ne déborde (Les Cordes Sensibles) ? Combien d'outrages puis-je encore subir avant que mon personnage ne meurt (
Innommable de Christoph Boeckle, du moins dans les versions 007, 008 et 009 du jeu en développement) ?
Cela peut être aussi des enjeux plus subtiles pour les joueurs, par exemple: vais-je arriver à faire des descriptions suffisamment fortes pour pousser les autres à me donner un dé (
Prosopopée de Frédéric Sintes) ? Vais-je parvenir à argumenter suffisamment bien mon jugement pour convaincre mes adversaires d'abandonner et/ou de ne pas recourir à la violence contre moi (Dogs in the Vineyard, à nouveau) ?
Qu'est-ce que ça signifie que les enjeux ludiques doivent
soutenir les enjeux fictionnels ? Cela signifie que les enjeux ludiques aident les joueurs à prendre au sérieux les enjeux fictionnels ; les enjeux ludiques rendent les enjeux fictionnels concrets pour les joueurs. C'est directement issu du
principe de synesthésie (à nouveau de Frédéric Sintes, amen): les personnages n'existent pas réellement et les joueurs ne peuvent prendre entièrement au sérieux les enjeux des personnages, il leur faut
a minima un enjeu concret pour y parvenir, pour « y croire ».
Voilà pourquoi les enjeux ludiques doivent être dirigés vers les
vrais enjeux fictionnels, ceux qui comptent vraiment pour l'histoire d'après l'auteur du jeu ; dis autrement, ça donne: « on ne lance les dés que quand c'est vraiment important »
Une autre conséquence est que les enjeux ludiques sont subordonnés aux enjeux fictionnels: il est difficile d'imaginer les enjeux ludiques sans enjeux fictionnels, ils les accompagnent.
Comment déterminer quels sont les enjeux fictionnels important pour moi ?Personne ne peut y répondre à votre place. C'est à vous de ruminer votre projet, de vous le représenter mentalement et de construire vos fictions intérieures pour parvenir à répondre à cette question. Ce n'est pas dit, d'ailleurs, que vous trouverez tout de suite les enjeux fictionnels qui sont importants pour vous. Peut-être se révèleront-ils durant le développement du jeu, dans tous les cas ils se préciseront certainement.
C'est ici qu'une bonne culture de fictions non-rôlistes peut être utile: romans, cinéma, jeux vidéo, manga, BD... Trouvez des « fictions de référence » pour votre jeu, c'est-à-dire des histoires qui sont proches de celles que vous voulez raconter dans votre jeu de rôle. Essayer de comprendre très précisément quels sont les enjeux fictionnels qui vous plaisent (et en général dans ces fictions, ils sont très très nombreux, il y a un vrai travail pour parvenir à les démêler). C'est aussi ici que peut être utile un travail pour s'approprier des concepts de construction de scénario (par exemple avec
ce classique de Truby) ou de « narratologie » (
Joseph Campbell par exemple).
Comment faire pour trouver les bons enjeux ludiques par rapport aux enjeux fictionnels ? C'est-à-dire, comment déterminer qu'un enjeu ludique est pertinent, efficace pour soutenir un enjeu fictionnel ?
C'est sans doute la question la plus difficile à laquelle répondre. Il n'y a pas de bonne réponse dans l'absolu et c'est beaucoup ce lien entre les deux que vous allez devoir travailler dans le développement de votre jeu.
Ma principale réponse est: il faut avoir une grande culture ludique. C'est ici que le fait d'avoir testé de nombreux jeux très différents vous permettra d'avoir des idées pour votre propre projet. Il est difficile de ne partir de rien, ou du moins de tenter d'être innovant dès le départ ; partir d'enjeux ludiques déjà utilisés pour des enjeux fictionnels similaires à ceux qui vous intéressent peut être une bonne manière de faire.
Voilà, vos discussions, apports et critiques sont les bienvenus !