Alors, quelques éléments de réponse et quelques faux semblants
Mangelune a écrit :De mon point de vue, le jeu de rôle (et donc son indépendance) posent des problèmes différents de ceux de l'édition traditionnelle : le nombre d'éditeurs de jdr est très restreint, de même que la capacité du marché à absorber les sorties, du coup il y a moins d'opportunités pour un auteur de percer. Cela signifie un intérêt à s'auto-publier pour gagner en visibilité, contrairement à l'édition "traditionnelle" où les sorties sont innombrables et où l'auto-publication est vue comme un domaine largement amateur (et généralement méprisé). Quelqu'un comme Thomas Munier pourrait peut-être en dire plus sur le sujet.
Si je suis entièrement d'accord avec toi sur cette différence du marché et l'offre plus que monstrueuse que propose l'édition française (indépendante ou non) actuellement, les problèmes ne sont pas forcément différents.
Si je rebondis sur la définition que me donne Frédéric ci-dessus, étrangement, les enjeux sont les mêmes: le contrôle des données économiques et créatives. Il est toutefois difficile de donner une vision unifiée dans le cas de l'édition indépendante, mais il existe un courant, réel mais intangible, d'éditeurs qui vont plus loin et qui respectent cette définition en choisissant que la qualité et l'originalité doivent passer avant les données économiques, ou que, mieux, c'est la qualité (des textes comme des objets) qui permettra au final à l'entreprise de se faire connaître et se développer. Parmi la pléthore d'éditeurs existant, je dirais qu'il y en a une petite centaine qui rentrent dans cette approche du marché et du travail. Et pour ces éditeurs, la donne, en terme de ventes, n'est pas très élevée de ce qui se pratique dans le jeu de rôles.
Ce sont sur ces maisons d'édition que je vais me concentrer car c'est, à mon sens, ici que se font les plus grandes innovations à la fois en termes éditoriaux, et aussi en terme de pratiques économiques novatrices. Il n'est pas rare, chez ces maisons, que les auteurs soient mieux rémunérée, que l'on ne s'accapare pas tous leurs droits mais qu'on les aide à les développer.
Mais surtout, si ces maisons réclament une part d'influence sur le travail de l'auteur, la plupart travaillent en bonne entente avec ceux-ci dans une démarche de confiance réciproque, leur laissant les coudées franches et se comportant finalement comme une sorte de premier lecteur/ super testeur.
De plus, si les marges sont à peu près les mêmes que celles de l'édition (un écrivain de jdr reçoit 5-10 % du prix de vente hors taxes), les quantités sont moindres, du coup l'auteur de jdr (amateur ou pro, sauf rares exceptions) reçoit vraiment une misère pour son travail. L'indépendance a donc un intérêt économique à faire sauter les intermédiaires et collaborateurs pour tirer un revenu raisonnable de son travail.
Reste notamment la question du nombre de livres vendus pour une maison d'édition indépendante, et la comparaison avec les livres de jdr (qui peuvent s'écouler à 200-500 exemplaires sans que ce soit considéré comme un gros flop)
Du coup ce n'est pas forcément différent. Certains éditeurs de poésie considèrent un tirage valide à partir de 150 exemplaires vendus.
La plupart des maisons d'édition du groupe précité sont contentes quand 1500 exemplaires sont vendus, et, à titre personnel, les deux maisons pour lesquelles je travaille ont un chiffre de ventes moyen aux alentours de 600 exemplaires par titre.
Si j'ai bien compris, on fait la différence en édition traditionnelle entre les termes "indépendant" et "auto-édité" :
- indépendant est employé surtout pour parler des libraires ou des éditeurs qui s'affranchissent de la tutelle des quelques grands groupes comme Hachette & co, ou qui sont possédés par ceux qui y travaillent directement (en schématisant, on peut dire que le propriétaire de librairie indépendante choisit et vend ses livres, le propriétaire de société d'édition indépendante sélectionne ses auteurs et les accompagne individuellement)
- auto-édité est appliqué aux auteurs qui ne passent par aucune structure pour publier leur livre.
oui.
Il y a plusieurs choses qui font que l'auto-édition est mal vue.
- La première est un problème de quantité: il y a énormément de livres qui sortent et il est très difficile de s'y retrouver, même pour certains professionnels, et notamment les libraires. A ce stade, la "marque éditoriale" agit comme un "sceau de qualité", ou du moins une quasi certitude qu'il pourrait y avoir des ventes. Cet argument est celui qui est le plus souvent avancé et, à mon sens, il est fallacieux pour la simple et bonne raison que pas mal de libraires vont mettre en pile tout un tas de merdes sorties de chez les grands éditeurs sur la seule foi de marques qui n'assurent plus leurs standards de qualité. Un exemple? La Pléiade, une collection qui, de son simple nom impose le respect... Et qui a sorti plein de volumes tous moisis ces dernières années ne respectant pas l'idéal de qualité qu'incarne la collection. Corollaire: les petits éditeurs indépendants patissent du même problème
- la deuxième: Si c'est fait tout seul, c'est pas fait professionnellement. Là encore, les petits éditeurs pâtissent du même problème: si c'est pas fait chez un gros éditeur, c'est que ce livre ne vaut pas la peine/a été fait comme un sagouin/ a été publié par un pote de l'auteur. C'est tout aussi faux.
- la troisième, qui est aussi la plus "vraie": trop de choses à voir, pas le temps de trier le bon grain de l'ivraie. Les critères de sélection en librairie sont grosso-modo: 1e- Ce qui se vend et les pressions des représentants des groupes de diffusion. 2e- le goût personnel du libraire. 3e- les prescriptions par des lecteurs/la presse ou télé littéraire. et chaque librairie va naviguer entre ces trois points, chacun à sa manière. La librairie Charybde se base surtout sur les points 2 et 3, autant dire que ce n’est vraiment pas courant.
En réalité, on a un secteur d'activité, la chaine du livre, qui est fortement structurée, à la fois par des pratiques ancrées depuis les années 50, et par un modèle économique extrêmement violent, totalement dépassé et destructeur qui privilégie la surproduction de la part des éditeurs, au détriment de la qualité, et la rotation rapide des titres en librairie au détriment d'un travail de sélection et de lecture. Ce mouvement est soutenu, implicitement ou explicitement par la plupart de ses acteurs (de l'auteur au libraire en passant par les plus obscurs diffuseurs, distributeurs et représentants) qui le considèrent soit comme une fatalité indépassable, soit comme la meilleure manière de tirer leur épingle du jeu. C’est un modèle qui encourage les éditeurs à tirer trois fois plus qu'ils ne vendent, à sortir énormément et à standardiser leur production. C’est donc un milieu où l'indépendance est une réelle nécessité et où le développement de nouvelles méthodes de travail est nécessaire.
Quelle place pour l'auto-édition là-dedans? Et bien elle ne peut pas s'imposer par les circuits classiques de commercialisation. Internet arrange un peu ça, en offrant de nouveaux espaces de visibilité, et les solutions en ligne comme Lulu permettent d'avoir des objets relativement aboutis au final, mais les propositions sont là encore tellement pléthoriques, les auteurs en herbe tellement nombreux qu'il est tout de même bien rare que les projets qui en valent vraiment la peine, bénéficient d'un vrai travail puissent trouver le lectorat qu'ils méritent. C'est un peu plus facile pour les petits éditeurs indépendants, mais dans les deux cas, le nerf de la guerre passe à mon sens par les modes de prescription, nouveaux ou anciens, qui réaliseraient un véritable travail de mise en avant: forums, rencontres, soires, lien direct ou non avec le lectorat, présence physique ou virtuelle... tout reste à inventer.