LA SALLE DE RENCONTRES DE LA REINE DE COEURJoué le 28/06/2014 avec Kevin (l’Enfant-Porc), Namik (Jules), Anna (Philippe) et moi-même (la Cuisinière)Cette partie est le premier test d’un jeu de rôle que j’avais en tête depuis deux ans : Wonderland.
Dans
Wonderland, on incarne des personnes qui explorent un réseau de réalité virtuelle appelé Wonderland. C’est de l’anticipation, autrement dit ça se passe de nos jours, avec un saut technologique et sociétal en ce qui concerne internet : Wonderland est devenu le réseau social dominant, supplantant Facebook, G+ et consorts. Ce réseau social ne fonctionne pas comme un site internet mais comme un jeu en ligne massivement multi-joueurs, à ceci près qu’il regroupe plus d’un milliard d’usagers. Le réseau s’inspire graphiquement de l’univers de Lewis Caroll et de ses romans,
Alice au Pays des Merveilles et
De l’autre côté du miroir. C’est un site englobant car tout ce qu’on peut faire sur internet, on peut le retrouver dans Wonderland, juste relooké : consulter ses mails, utiliser des services bancaires, faire ses achats en ligne, aller sur un site de rencontre, faire des jeux en ligne. Wonderland est censé être le réseau le plus sécurisé (comprendre, censuré) au monde : la violence y est impossible, ou alors circonscrite à certaines zones du monde de Wonderland (notamment, des champs de bataille qui correspondent à l’activité des jeux massivement multi-joueurs), et quant au sexe, il est limité aux baisers et aux câlins. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de limite d’âge pour s’inscrire : enfants et adultes se côtoient sur Wonderland.
illustration : Sir John Tenniel (domaine public)
Technologiquement, Wonderland est juste un immense jeu en ligne aux graphismes impeccables. Mais du point de vue de l’expérience, les gens qui s’y connectent ont l’impression d’être dans une réalité virtuelle totale : ils sont coupés de leur corps réel et ressentent totalement le monde de Wonderland : par la vue, par l’ouïe, mais aussi par l’odorat, le goût et le toucher. Tout ça, c’est ce que les initiés appellent la Face Blanche de Wonderland. Parce que les initiés savent qu’il y a une Face Noire. Niveaux cachés, backdoors de hackers, sites pirates, microcosmes craftés échappés au contrôle, bugs de la matrice, coursives de développeurs ou véritable service occulte pensé par la société mère, il y a tout un monde, ou plutôt des grappes de mondes auxquelles on accède par des portes dérobées depuis la Face Blanche. Si la Face Blanche est aseptisée, bien-pensante , cartoonesque et colorée, la Face Noire est une réplique sombre de la Face Blanche. Elle suit toujours les thèmes d’Alice au Pays des Merveilles ou en fait une lecture adulte. Dans la Face Noire, tout est permis : violence, pornographie, extrêmisme politique et religieux. La Face Noire est vraiment étrange : il semblerait qu’on peut aussi y accéder directement depuis le réel par des logs pirates, ou en rêvant, en hallucinant ou en se droguant.
Wonderland est un jeu sur la réalité virtuelle, sur internet, les réseaux sociaux, les addictions, la perte de notion du réel, l’identité, les métamorphoses, la solitude, la transgression et la subversion, la perte de l’innocence. Les joueurs incarnent des habitants d’une même grande ville, des proies, des prédateurs ou des protecteurs dans toutes les dimensions du réel : la vraie vie, la Face Blanche, la Face Noire, les rêves, les trips psychotropes et les hallucinations. Pour finir avec mes intentions de jeu, je dirai que c’est plutôt du jeu en campagne, que le contenu (sexe, violence) sera adaptable au public et qu’il y aura deux modes de partage des responsabilités (un partage serré et un partage large).
J’avais donc l’univers en tête depuis deux ans, mais il me manquait le système. J’avais bien participé à l’écriture d’une soirée enquête sur le thème d’
Alice au Pays des Merveilles il y a quelques années, mais ça n’était quasiment qu’un travail sur l’univers, pas sur le système. Alors que j’ai bouclé quelques playtests décisifs d’Arbre qui m’ont permis de finaliser son système, il s’est libéré de la place dans mon cerveau (il faut croire que j’y ai une partie dédiée aux systèmes de jeu de rôle) et en quelques jours, les grandes lignes du système de
Wonderland, hack des
Cordes Sensibles de Frédéric Sintes, d’
Inflorenza et d’
Arbre, me sont apparues. Le fait d’avoir participé au
Podcast Outsider sur l’onirismem’a également fourni les billes qui me manquaient en terme d’univers et de thématiques.
Deux semaines plus tard, je trouve un créneau pour faire un premier test. Joie !
Comme vous pourrez le lire plus bas, le système est encore complètement en chantier. Si on a pu jouer une vraie partie (2h3/4 environ), il reste plein de choses dysfonctionnelles. Je serai heureux de collecter vos remarques, vos questions ou vos suggestions !
Création de personnage :Wonderland se joue avec un jeu de cartes classique (y compris les jokers), des post-it (à coller sur les cartes) et des crayons.
On commence par définir ensemble le niveau de sexe et de violence maximal qu’on peut accepter durant la partie. Les joueurs me répondent qu’on n’a pas besoin de se censurer (nous sommes un groupe d’amis qui ont une longue expérience de jeu commune). Donc, en gros on joue en
Je ne t’abandonnerai pas.
On met les figures dans une pile à part (roi, dame, valet et as sont considérés comme des figures) et chacun en tire une. A chaque figure du jeu correspond un personnage d’
Alice au Pays des Merveilles dont on peut s’inspirer, légèrement, lourdement ou pas du tout pour designer son perso. Kevin tire l’Enfant-Porc, Namik l’Infant (c’est le nom que je donne au jeune damoiseau en armure qui vainct le Jabberwocky), Anna le Lièvre de Mars et moi la Cuisinière. On colle sur chaque carte un post-it pour désigner le personnage, et on prévoit d’y ajouter plus tard le nom du personnage, qui peut être différent (ainsi, Namik appelera son perso Jules et Anna son perso Philippe). Kevin et moi nous nous bornerons à l’Enfant-Porc et la Cuisinière.
Ensuite, on tire une première carte qui va définir la chose qui lie tous les persos. On tire le Roi de Pique, c’est une figure. Personnage de De l’autre côté du miroir, le Morse est un glouton enjôleur qui berne des huîtres, se prétend leur ami et leur chante une berçeuse qui les endort. Quand elles sont endormies, il les dévore. Dans mon interprétation, le Morse est un social, un prédateur qui s’attire la confiance de ses proies avant d’abuser d’elles. Il peut tout aussi bien être un arnaqueur, un prédateur sexuel ou un tueur en série.
On définit qu’on est tous liés au Morse, mais on fait l’économie de préciser comment [faille du système, à corriger].
Ensuite, chaque joueur crée son personnage en tirant 5 cartes. Les figures tirées sont des PNJ alliés. Les autres scores, de 2 à 10, sont appelés des arcanes. On choisit une arcane de chaque couleur qui devient une caractéristique. Cœur correspond à la carac Charnel, Pique à Mental, Trèfle à Social et Carreau à Réél. Comprendre : Charnel = santé physique, combat, sexe, désirs. Pique = santé mentale, volonté, objectifs, manipulation mentale, psychisme. Social = réputation, influence, baratin, charisme, extraversion, secrets, solitude, faire « popper » des personnages. Réel = capacité à influer sur le réel (réaliser des choses) et sur le virtuel (crafter les univers virtuels, faire « popper » des objets, manipuler le virtuel).
Plus une carac est élevée, plus on est en meilleure santé de ce point de vue-là. Plus une carac est faible, plus on est puissant de ce point de vue-là. Si une carac tombe à 1, on meurt.
Si on a plusieurs arcanes d’une même couleur, on choisit une pour sa caractéristique.
Si on n’a pas pioché toutes les couleurs, et bien on n’a pas toutes les caractéristiques (ainsi, sans carac Réel, on ne peut pas crafter l’univers virtuel de
Wonderland).
Une carac peut être utilisée dans un conflit pour annuler une carte adverse de valeur supérieure ou égale à la carac. Dans le playtest, c’était le MJ qui validait l’usage de la carac. Je devrais tester ultérieurement si ce n’est pas plus intéressant de laisser le joueur décider de quelle carac il utilise (en partant du principe qu’on peut résoudre un problème en utilisant indifféremment une des quatre carac, et de modifier sa description en conséquence. ).
Si on veut développer les carac qui nous manquent ou augmenter une carac, ça doit faire l’objet d’une quête pendant le jeu.
Sur chacune de ses cartes caractéristique, on colle un post-it avec le nom de la carac.
S’il reste des arcanes, elles peuvent servir pour créer des lieux, des objets, des sentiments, des objectifs, des liens avec d’autres PJ/PNJ. Pour créer ces arcanes, on peut s’inspirer un peu, beaucoup ou pas du tout des thèmes associés à chaque couleur : cœur Charnel, pique Mental, trèfle Social et Carreau Réel. Idem, on colle des post-it avec le nom de l’arcane (« mon nounours fétiche », « mon amphi d’université », « j’ai peur de Jack »…). On peut aussi s’inspirer de la valeur de l’arcane pour la rédiger, sachant que 2 est la plus faible valeur et 9 la meilleure, mais c’est pas obligé (quelque chose peut être important pour notre personnage et finalement peu puissant dans la fiction). On peut éventuellement affecter une arcane à un de ses PNJ. [A tester : dans l’éventualité où les PNJ sont peut-être des avatars surnuméraires de son PJ, je me demande ce que ça donnerait de dire que le PNJ peut utiliser les arcanes du PJ][et aussi, créer une arcane pour un de ses PNJ, et permettre ensuite au PJ de l’utiliser ?]
On peut aussi laisser ses arcanes vierges, pour pouvoir les décrire à la volée, n’importe quand en jeu. Si on décrit une arcane à la volée, il faut que ça soit cohérent avec ce qui a été dit dans la fiction = pas de création « magique » ou « deus ex machina » ou « ex nihilo » de nouveau élément du genre : « au fait, je vous ai pas dit, mais j’ai une hache ». [On s’est demandé si on pouvait permettre des créations « ex nihilo » dans le cas des arcanes de Carreau (Réel). Mais pas testé. A voir si je ne préférerais pas une confrontation de la carac Réel contre la valeur du décor pour permettre des écritures d’arcanes ex nihilo.][Je réalise que je pouvais aussi laisser la possibilité de décrire les figures à la volée. A tester next time]. [Je me demande s’il faudrait permettre de pouvoir créer n’importe quelle arcane « ex nihilo » en disant, comme dans Arbre, qu’il ne s’agit pas forcément de la réalité, mais de la vision que le personnage a du monde. Est-ce à dire que le décor pourrait déclarer nulle la valeur d’une arcane quand elle lui paraît impossible ? Ne devrait-il pas plutôt tempérer la déclaration du joueur au sujet de son arcane et surenchérir avec une nouvelle mise d’arcane de son côté ? Grosse question. A tester pour voir si la table se régule elle-même ou si cette permission de créer des arcanes « ex nihilo » entraîne des problèmes de positionnement et de crédibilité.]
La carte Joker est spéciale : elle permet d’imposer à tout moment à un groupe de personnages réunis dans le même lieu une confusion de réalité : le lieu s’avère être en fait la Face Blanche alors qu’on croyait que c’était la Face Noire, la vraie vie alors qu’on croyait que c’était un rêve, un cauchemar alors qu’on croyait que c’était la réalité… On peut tenter la même confusion avec une arcane, mais le joker est incontrable. Une fois utilisé, il est remis à la pioche.
On peut décrire son personnage dès le départ, ou attendre de voir comment le jeu évolue pour le décrire plus tard. Mais dans ce playtest, tous les joueurs ont décrit leur personnage de suite.
+ Kevin joue donc l’Enfant-Porc, un jeune homme qui a subi une ablation du tube digestif dans sa jeunesse. Depuis, il ne peut pas manger autre chose qu’en perfusion sous peine de devoir tout régurgiter, et surtout il a perdu le sens du goût. Pour le retrouver, il s’aventure dans la Face Sombre où le Loir, un dealer, lui vent une drogue qui permet de tester le goût des aliments. En théorie, cette drogue ne fonctionne que sur la Face Sombre. [Kevin ouvre une porte phénoménale : on peut imaginer des aveugles, des sourds-muets ou des handicapés qui vont dans Wonderland pour expérimenter leurs facultés perdues.]. Son avatar dans Wonderland est à son image.
+ Namik joue Jules (figure : l’Infant), un enfant qui est battu par son père. Il utilise Wonderland pour fuir la réalité désastreuse où il vit. Son avatar dans Wonderland est à son image.
+ Anna joue Philippe (figure : le Lièvre de Mars), un cinquantenaire. Il a deux fils et deux filles, tous de jeunes adultes qui ont tous quitté le foyer et ne lui donnent pas souvent de nouvelles. Quand ils lui offrent un ordinateur pour le distraire de sa solitude, il sombre dans la dépendance à internet, et Wonderland devient vite le lieu privilégié de ses compulsions. La dépendance de Philippe a commencé avec quelques recherches sur Wikipédia, et aboutit aujourd’hui sur des requêtes pédopornographiques. Philippe est prêt à découvrir des choses de plus en plus extrêmes pour tromper son ennui et sa solitude. Avatar : lui-même, mais habillé en lord anglais excentrique.
+ Je joue la Cuisinière. J’ai la vingtaine, je suis jolie, rousse, 1m 60, ambitieuse et passionnée par la cuisine. Pour gagner ma vie, je donne des cours de cuisine en ligne dans Wonderland. C’est une société anonyme qui me paye et donne la charte graphique du cours : je dois avoir un avatar de vieille mégère hystérique, et avec mes couteaux, je dois trancher les membres des apprentis qui ratent leur recette. En parallèle de ce travail, je participe à un grand concours de cuisiniers télévisé dans la vraie vie. Cumuler mon travail et ce concours impitoyable commence à peser sur mon mental et sur ma fatigue. Je suis à bout de nerfs. Avatar : le personnage de la Cuisinière dans Alice aux Pays des Merveilles, c-a-d une vieille mégère ultraviolente.
Scènes, résistance et conflits :Dans ce jeu, la fiction est découpée en scènes qui mettent alternativement chaque personnage sous le feu des projecteurs. Les scènes sont séparées par des ellipses dont on ignore le contenu, et démarrent souvent in media res, pour simuler le fait que les usagers de Wonderland perdent la notion du temps. Quand une scène commence, un joueur se désigne pour que son personnage soit le héros de la scène (c’est au feeling, pas d’ordre préétabli), et pioche une carte. Cette carte pourra être une nouvelle figure ou une nouvelle arcane, il peut la décrire tout de suite ou plus tard dans le jeu (cf règles de création de personnage).
Une fois que le joueur héros s’est désigné (ou avant), un joueur se désigne pour décrire le décor et les figurants : on l’appelle le joueur du décor et c’est un peu le MJ de la scène (même si les autres joueurs peuvent aussi contrôler des PNJ). Le joueur du décor pioche 5 cartes qu’il va pouvoir utiliser pour son décor : les figures seront des PNJ, les arcanes seront des lieux, des pièges, des portes, des objets ou des traits « lootables ». Il peut échanger certaines des figures piochées contre des figures de sa main, et certaines des arcanes piochées contre des arcanes de sa main de valeur supérieure ou égale. S’il a pioché un joker, il peut s’en servir, tout comme un joueur, pour introduire une confusion de réalité. [J’avais prescrit qu’on ne puisse pas mettre le joker dans sa main, mais je vais tester de le rendre possible. Car le joker pioché par le décor était aussitôt utilisé, remis dans la pioche, et comme la taille de la pioche diminuait en cours de jeu, le joker revenait trop souvent.]
Lors de ce playtest, j’ai prescrit une utilisation assez rigide des cartes de décor : il fallait toutes les poser dès le début de la scène, de sorte à constituer un mini-portes monstres trésor avec les cartes. Le visuel avait beaucoup d’importance, les cartes de lieux servant de « cases » pour localiser les personnages, les portes étant placées face cachée, et tous les pièges et objets lootables étant glissés sous les lieux. [Les testeurs m’ont fait remarquer que c’était difficile à comprendre et contre-intuitif. Next time, je proposerai aux joueurs d’utiliser les cartes de décor comme bon leur semble, en gardant à l’idée que ce sont des figures et des arcanes, et qu’ils sont invités à jouer avec le visuel : posé sur la table / caché dans la main, posé face visible / posé face cachée, cartes uniques / empilées). ] J’ai proposé que le joueur du décor décrive chaque arcane dès le départ, mais en jeu on s’est vite rendu compte que c’était trop lourd, et les arcanes étaient décrites à la volée, et on n’utilisait les post-it que pour les figures et les arcanes de lieux.
Pour bien comprendre le système, expliquons d’abord comment fonctionne une arcane de lieu. Un lieu est une zone de la vraie vie, de la Face Blanche, de la Face Sombre, d’un rêve ou d’un trip psychotrope. La valeur du lieu représente une difficulté à atteindre en cas de résistance du lieu. En gros, dès qu’un joueur veut faire quelque chose dans le lieu et que le joueur du décor estime qu’il y a résistance, il utilise la valeur du lieu. Si un PJ affronte une figure dans un lieu donné, la valeur de la figure correspond à la valeur du lieu. S’il y a plusieurs figures, chaque figure possède la valeur du lieu. On peut glisser des arcanes sous un lieu pour booster sa valeur sur un certain critère : sécurité, piège, épreuve à l’intérieur du lieu… Et enfin, on peut glisser sous le lieu des arcanes à looter.
On peut remplir un lieu de PNJ même si on n’a pas de figure. Ces PNJ ne peuvent pas quitter le lieu (contrairement aux figures), on considère en fait qu’ils en font partie (ils sont indifférenciés du lieu en cas de conflit). [Je n’avais pas prévu ce qu’on pouvait faire si un PNJ incorporé à un lieu prenait de l’importance dans la fiction. Je suppose qu’on pourrait autoriser le décor à piocher une figure pour le représenter]
La résistance se gère ainsi : on joue des conflits entre deux coalitions, une coalition pouvant comprendre des PJ, un lieu et des figures. On définit l’objectif de chaque camp lors du conflit, et ensuite chaque camp empile les arcanes qu’il peut utiliser dans le conflit ou impose l’adversaire de remettre une arcane face cachée en utilisant une caractéristique, ou plusieurs arcanes en concédant des blessures sur une caractéristique. [NB : au départ, j’avais défini qu’on pouvait utiliser une arcane si elle était une motivation ou une ressource dans le conflit, mais en cours de jeu, j’ai admis qu’il était aussi intéressant d’utiliser une arcane si elle était un handicap, comme dans
Inflorenza.]
Au final, c’est le camp avec la valeur la plus élevée qui gagne, ou le camp du PJ héros en cas d’égalité.
A tout moment de la scène, un joueur peut intervenir en incarnant son PJ ou certaines de ses figures (il peut incarner plusieurs figures à la fois mais pas à la fois son PJ et des figures). Ces figures peuvent entrer dans un conflit, elles clonent la valeur faciale du lieu + la valeur d’arcanes que leur joueur peut leur affecter.
Entre joueurs, on peut se transmettre des arcanes vierges ou déjà décrites durant une scènes.
Si à un moment donné, il y a deux joueurs de plus dans le camp du décor que dans le camp du héros, alors le joueur du décor peut piocher une carte supplémentaire, et ainsi de suite si d’autres joueurs viennent encore s’ajouter au camp du héros.
Quand la scène est terminée (et cette échéance est à l’appréciation de la tablée), les figures et les arcanes de lieux sont stockées dans une réserve. Le prochain joueur du décor pourra ainsi échanger ses cartes contre des cartes de la réserve (de valeur inférieure ou égale en ce qui concerne les arcanes). [A tester = cette réserve sert à limiter le nombre de figures et de lieux rencontrés, pour avoir une certaine cohérence. Le problème, c’est que la taille de la pioche diminue drastiquement avec le temps de jeu. En 2h de jeu, on l’avait presque entièrement bouffée. A tester : à la fin de la scène, le joueur du décor ne met dans la réserve que les lieux et les figures qu’il juge importants.]
Fiction :Scène 1 (décor joué par moi): Jules fête son anniversaire dans Wonderland. Comme il n’a pas d’amis dans la vraie vie, il a invité plein dans Wonderland (invitation massive dans le style des évènements facebook). Son anniversaire se passe dans un parc d’attraction. La fête est animée par un lapin blanc géant (un mob ? – aka les créatures de Wonderland qui sont des intelligences artificielles et non des avatars – un avatar salarié ?). Il y a beaucoup d’enfants, mais quand Jules leur demande quel cadeau ils leur ont apporté, les enfants (ou les gens avec des avatars d’enfants) protestent que ce n’était pas prévu, que pour eux l’évènement était gratuit. Les enfants disparaissent un à un (ils se déconnectent du lieu). Il ne reste plus que l’Enfant-Dodo, un enfant avec un masque de dodo. Il offre à Jules un cadeau. Quand Jules le déballe, c’est un chat mort et visiblement il a été roué de coups. Jules veut refuser le cadeau, l’Enfant-Dodo se fâche. Tweedle-Dee et le Loir (deux figures de Kevin) se joignent à la fête ratée. Tweedle-Dee prétend vouloir être l’ami de Jules. Il l’entraîne dans le parc d’attraction désert, la nuit tombe. Ils entrent ensemble dans un Tunnel de l’Amour. [J’avais prévu un deuxième lieu, la chambre de Jules dans la vraie vie, où serait intervenu son père violent, mais l’intervention des figures de Kevin m’en a dissuadé.]
Scène 2 (décor joué par Anna) :L’Enfant-Porc se balade dans la Face Blanche, dans une magnifique roseraie. Il entrevoit une fleur magnifique, qui a l’air délicieuse, mais elle est au sommet d’un buisson de ronces.
L’Enfant-Porc rencontre la Cuisinière dans la roseraie. Elle a entendu parler de son handicap et souhaite le recruter comme goûteur pour son émission de cuisine. L’Enfant-Porc veut goûter la fleur d’abord. Avec ses couteaux, la Cuisinière l’aide à escalader les ronces. La fleur s’avère être une fleur en bonbons de gélatine, colorée, gourmande. Avant de dévorer la fleur, Jules a besoin de consommer la drogue qui lui donne le goût. Il appelle son dealer, le Loir [le joueur héros a le droit de faire intervenir ses figures pendant sa scène]. Le Loir lui passe la drogue, c’est en fait un biscuit Oreo qui « glitche », comme s’il était mal scripté. Le Loir essaye de refourguer d’autres cames à la Cuisinière, mais elle veut juste goûter un Oreo. Comme elle n’a pas perdu le sens du goût, le biscuit fonctionne différemment pour elle. Elle se met à saliver abondamment. L’Enfant-porc dévore la fleur avec délices.
Scène 3 (décor joué par Namik) :Philippe, dans sa recherche de visions toujours plus extrêmes, se retrouve perdu dans la Face Sombre. Il est dans une boîte de strip-tease où se produisent femmes et transgenres de 7 à 77 ans. La Cuisinière se retrouve dans le même endroit. Elle a goûté à la fleur et ça l’a transporté dans la Face Sombre. Avec Philippe, ils cherchent une issue. Il y a justement une issue de secours, mais en la passant, ils découvrent derrière le Roi de Cœur, un énorme sado-masochiste tout harnaché de cuir qui visiblement veut ajouter Philippe à son tableau de chasse. La Cuisinière le massacre à coup de couteau de cuisine, persuadée qu’il s’agit d’un mob, qu’il n’est pas réel, et que les coups de couteau ne le tuent pas mais annulent sa réalité. Derrière, il y a un hangar désaffecté puis un ascenceur par lequel Philippe et la Cuisinière prennent la fuite.
Scène 4 (décor joué par Namik) :Dans la vraie vie, c’est la finale du concours de cuisine. C’est le moment pour la Cuisinière de tout donner. Mais c’est difficile, elle est vraiment à bout de nerfs. L’épreuve est complètement absurde : le jury du plat sera constitué de personnes privées du sens du goût. C’est l’Enfant-Porc qui dégustera le plat de la Cuisinière. Elle essaye de lui envoyer un sms tout en cuisinant, mais les caméras sont partout, alors elle doit y renoncer. Alors qu’elle veut goûter son plat, elle constate qu’elle a aussi perdu le sens du goût ! Surement un effet pervers du biscuit Oreo consommé sur la Face Blanche ! [je viens alors d’improviser une arcane « perdu le sens du gout », que j’utilise dans le conflit comme handicap].
Je tente de me ressaisir, la victoire est proche (matérialisée par une arcane de valeur 9 posée par Namik). J’utilise mon agueusie subite comme un atout : j’avais mis plein d’épices dans mon plat, mais je réalise qu’aussi relevé le plat soit-il, l’Enfant-porc n’en sentira pas le goût. Je décide alors de tout miser sur le visuel : je fais une choucroute qui éveille des souvenirs de gourmandise, de rusticité, de temps ancien. L’Enfant porc la dévore avec gloutonnerie et je remporte le concours.
Mais Namik utilise sa carte Joker : ce n’était qu’un rêve !
[Je réalise que cette prestation aurait pu être récompensée par un don d’arcane. A voir si je permet au joueur du décor de piocher une arcane pour en faire un don d’approbation à un joueur.]
Je me réveille en sursaut dans mon lit, en nage, salivante. Ma trousse à couteau est posée sur ma table de chevet (elle est posée là car j’ai peur de l’oublier en partant au concours le matin). Je me saisis d’un couteau et je lacère l’air avec hystérie.
Scène 5 (décor joué par moi) :Philippe a été appelé par Guillaume, un de ses fils. Il n’a pas le temps d’aller le voir en vrai, mais veut bien lui accorder un peu de temps dans la Face Blanche de Wonderland. Il lui donne rendez-vous au salon de thé, il a « une grande nouvelle à lui annoncer ». Le salon de thé est la table de jardin où le Chapelier Fou et le Lièvre de Mars prennent le thé dans Alice au Pays des Merveilles. Curieusement, le Loir et Tweedle-Dee sont présents aussi.
Philippe reçoit un coup de fil, c’est une de ses deux filles, La Cuisinière [il me semblait important de resserrer les liens avec ce perso], qui l’appelle pour lui dire qu’elle n’a pas le temps de le voir avec le concours, mais plus tard, elle pourra.
Guillaume n’est pas au rendez-vous. En revanche, Philippe fait la rencontre de Jules. Jules lui explique qu’il cherche une famille de substitution, une famille qui l’aime. Philippe lui dit qu’il veut bien être son père, qu’il l’adopte. Ils se serrent dans les bras l’un de l’autre.
Le Chapelier Fou est probablement un mob. Il a un sourire narquois et il « glitche », comme le biscuit Oreo. Il apporte un téléphone style 1900 posé sur une assiette. Un coup de fil pour Philippe. C’est Guillaume : il lui demande de le rejoindre à la Salle de Rencontres de la Reine de Cœur. Il veut lui présenter quelqu’un.
Philippe s’y rend. Jules, le Loir et Tweedle Dee lui emboîtent le pas. C’est une salle souterraine dont l’entrée est dans un tronc d’arbre. Un escalier et un videur portant la livrée de Cœur. En donnant le nom de Guillaume, Philippe et ses « amis » peuvent rentrer.
La Salle de Rencontre de la Reine de Cœur est un grand salon éclairé en rouge par des lustres en forme de cœur. Tentures rouges, tables en forme de cœur rouge, convives humains et furries alanguis, achèvent de donner au lieu un air de club échangiste. Mais ce n’est pas le cas : nous sommes dans la Face Blanche où le sexe est censuré ! C’est un bar à câlins : ici, si on prend une conso, on donne tacitement le droit à toutes les personne présentes de vous faire des câlins.
Philippe n’apprécie pas du tout l’ambiance, il tâche de se dérober aux câlins. Guillaume est là. Il lui explique qu’il a enfin rencontré la personne qui fera son bonheur et veut la présenter à Philippe. Philippe est enthousiaste. La personne est derrière une tenture. Guillaume la dévoile.
C’est le Roi de Pique. Le Morse. Nous avons défini au départ que le Morse était la figure qui nous liait tous. Ici, c’est un homme élégant, cinquantenaire, les cheveux longs et attachés, poivre et sel. Il est bedonnant et arbore un sourire enjôleur. J’explique à Anna que sans le connaître, Philippe comprend que c’est un prédateur. Il se présente à Philippe : il s’appelle Mörs. Un prénom néerlandais. Il profite du bar à câlins pour faire une chaleureuse accolade à Philippe.
Philippe fait alors une scène à Guillaume. Il refuse qu’il fréquente Mörs, sans dire ses raisons (l’âge de Mörs ? Son sexe ? le fait que Philipe le soupçonne d’être un prédateur ?). Mörs proteste doucement, il avance des arguments de raison pour prouver qu’il fera le bonheur de Guillaume, que l’apparence, l’âge, le sexe n’ont pas d’importance. Mörs ne triche pas. Guillaume et lui n’ont pas d’avatar, même à Wonderland ils sont présents sous leur vrai jour. Philippe n’a-t-il pas le même âge que lui ? Devrait-il pour autant renoncer à l’amour ? Ne vient-il pas d’adopter un enfant dans Wonderland, s’apprêtant lui aussi à affronter les foudres des bien-pensants ?
Le Loir montre une caméra et sous-entend subtilement qu’il aurait déjà filmé les ébats de Mörs et de Guillaume.
Philippe renonce à gagner par les arguments. Il décoche une droite à Mörs, il veut littéralement lui casser la gueule. On joue un conflit, mais Philippe tombe à court d’arcanes, il perd. Pour expliquer sa défaite, je me rappelle que la violence est censurée dans Wonderland : quand il frappe Mörs, c’est comme si son poing était en mousse.
Les autres convives de la Salle se ruent sur Mörs et sur Philippe et les rouent de coups, tout aussi indolores. Bientôt, la salle devient un gigantesque pogo inoffensif. Mörs et Guillaume en profitent pour s’éclipser, laissant Philippe, seul, persuadé d’avoir laissé son fils tomber dans les mains d’un prédateur.
Conclusion :Cette première partie me semble une réussite du point de vue de la fiction (l’esthétique et les sujets traités correspondaient à ce que j’imaginais) et du partage des responsabilités (aussi fluide qu’anarchique).
En revanche, la fiction n’était valable que si on la poursuit dans le cadre d’une campagne. Je me vois mal jouer à Wonderland en one-shot, de toute façon. Ça me semble un jeu à campagne, comme
Arbre.
La partie était moins réussie du point de vue du système ! Je ne suis pas certain d’être bon du côté du positionnement, et la mécanique des arcanes et du décor ont paru hermétiques à mes joueurs. Besoin d’injecter de la fluidité et du freeform dans tout ça.
Namik a également fait remarquer l’absence d’enjeu au départ, que je devrais patcher par l’obligation de décrire une arcane d’objectif personnel lors de la création de personnage. Ce playtest portait sur le mode de partage de responsabilité large, je vais encore le tester cette semaine, je testerai le mode serré plus tard.