Je réponds super tard à Thomas sur Downfall mais j'étais un chouia occupé ces derniers jours.
Thomas Munier a écrit :A. Qu'est-ce qui te pose problème dans Downfall, est-ce le fait que la fin soit déjà écrite ou l'absence de résistance, ou les deux ?
C'est avant tout l'absence de résistance qu'il faut expliquer.
Je suis un grand défenseur de l'idée d'intégrer des éléments de la tragédie dans les récits du JDR, notamment un élément de l'ordre de la narration : l'ironie tragique (le spectateur sait ce que le personnage ne sait pas ce qui éclaire les actions de ce dernier d'un jour nouveau).
Mais ici ce n'est pas seulement la fin qui est écrite, c'est tous les événements qui vont y mener.
On sait non seulement que la société va s’effondrer (comme dans Polaris) mais on sait exactement quelles traditions vont provoquer son effondrement et de quelle façon ces traditions vont se retourner contre la société.
Les choix sont forcément vains (et on sait qu'ils le sont), et les enjeux sont déjà résolus avant de commencer à entrer dans la fiction.
B. Ce que je défends avec cet exemple, c'est l'idée que ni le minimalisme ni la pose d'évènements inéluctables n'interdit le jeu moral ou l'exercice de la combativité (j'aurais la même approche pour le jeu tactique).
Ma question, c'est en quoi l'approche de Downfall diffère ? Est-ce que par exemple le jeu dit "on joue la chute de la société et comment vos personnages échouent à la sauver ou y contribuent" ? Parce que s'il dit "que parviendrez-vous à sauver le jour où la société s'effondrera ?", la prémisse est bien différente. (j'entends qu'alors le jeu le dit et le permet).
Quand on y pense le minimalisme de Downwell (et de bien des jeux du genre) est un minimalisme de façade. On est pas dans le minimalisme du courant OSR qui assume des trous des les règles avec l'idée que le MJ les comblera (et que les interactions MJ/joueurs sont un matériel suffisamment riche pour générer des fictions infiniment variées).
Le système de Downwell propose des mécaniques de résolution effectivement minimalistes. Mais son système nous raconte déjà une histoire, celle d'une société qui va pourrir de son conservatisme...même si on pourrait au fond sans aucune difficulté modifier très légèrement ses éléments pour s'en servir pour raconter le naufrage d'une société progressiste (d'ailleurs je digresse sur un sujet lié mais le jeu est aussi symptomatique d'un jeu à "propos" qui nous vend un message politique qui s'avère être purement de la couleur, à l'opposée de l'idée que le
medium serait le message).
C'est d'ailleurs intéressant parce que cela invite à se méfier des jeux qui ne nécessite pas de préparation mais propose de jouer dans des contextes variés.
En réalité si le jeu peut se permettre cette souplesse c'est que, quelque soit la couleur que l'on peint sur sa structure narrative (ce travail de peinture étant finalement le seul job des joueurs) on raconte exactement la même chose.
C. Je crois que le débat sur le "jouet de rôle" nous amène à la question de résistance asymétrique, et qu'on peut distinguer trois types de jeux : les jeux sans résistance (je peux), les jeux avec résistance (je peux essayer), et les jeux avec directives (je dois). Dans quelle catégorie se classerait Downfall ?
Si je comprends ta classification je le mets dans les jeux avec directives.
Après je reviens sur Vivien après l'avoir tagué en tentant le german souplex. Je mets donc ma combinaison de catcheur et me prépare à lui maraver sa tête.
Je pense vraiment que nos réflexions souffrent de ne tourner qu'autour de questions de définition et de logiques déconstructivistes de dévoilement du sens réel du vocabulaire que l'on emploi (appelons cette maladie la Cellulite^^).
Genre faire comme si le fait que nous utilisions le terme
scénario à la place de
préparation de partie relevait d'une confusion des sens telle qu'elle amenait à ne produire que des parties en mode toboggan (d'ailleurs est-ce qu'on comprend vraiment, en utilisant le terme
toboggan qu'on peut jouer au JDR ailleurs que dans un square ?). Comme si le fait de dire que le MJ avait le dernier mot rendait absolument identiques dans leurs application les systèmes de 90 % des JDR.
Comme si le fait qu'on utilise le terme jeu devait forcément impliquer qu'on se préoccupe de stratégie ludiques et d'avoir de réels défis à surpasser.
On pourrait caricaturer la position en reprenant l'expression
jeu de rôle et en se demandant si l'absence de pluriel sur "rôle" ne relèverait pas d'une grave méprise et que cela expliquait qu'on joue systématiquement avec un personnage unique.
J'aime bien les petits jeux éthimologico-logiques mais il faudrait un moment sonner la fin de la récré, se rendre compte que le langage utilise un vocabulaire fini pour désigner une réalité infinie, ce qui confère des frontières floues aux notions les plus complexes (dont font partie le
jeu, le
jeu vidéo, le
JDR) et qu'à un moment on avancerait plus en allant voir ce qui se passe au table de jeu qu'en faisant mumuse avec nos définitions.
Les frontières de la notion de
JDR, initialement très resserrées autour du wargame, ont grandi par l'effet de ce que Wittgenstein appelait l'
air de famille. Par petites variations on est arrivé à agrandir considérablement le champ de ce qu'on appelle
JDR au point qu'un étudiant joueur de Donjon en 1974 ne retrouverait plus ses petits s'il était projeté à notre époque.
C'est une excellente nouvelle parce qu'on libère progressivement des contraintes quitte à s'éloigner de ce qu'on pouvait entendre par jeu, par rôle, par JDR.
Je prends un exemple concret en comparant
Breaking the Ice et
Les Petites Choses Oubliées.
Le premier est un JDR attaché au défi ludique, on doit systématiquement se forcer à produire des descriptions de qualité pour séduire, on est confronté à l'aléa et au final l'avenir du couple n'est décidé que par les mécanismes ludiques (ce qui conduit souvent à des situations incompréhensible).
Le second ce détache de cette nécessité de lutter pour séduire mais, en ancrant sa temporalité autour d'une consultation post-rupture, donne une grande cohérence et surtout une grande consistance aux récits déployés entre les joueurs. Mieux, la décision finale n'est pas le résultat d'un affrontement contre le jeu mais une décision collective entre les joueurs. Celui lui permet de développer une autre vision du couple, paradoxalement tout aussi conflictuelle mais à mon avis beaucoup moins caricaturale et ce jeu est le fruit d'une définition large du JDR.
Vouloir isoler le
jeu narratif c'est perdre les outils d'analyse du JDR mais c'est aussi reconstruire un genre aux frontières extrêmement limitées. Bref on est de retour en 1974.
Peut-être que dans trente ans ce nouveau concept aura suffisamment élargit les frontières de sa définition (pourtant déjà floue) mais je n'ai pas particulièrement envie d'attendre et d'accepter de rebooter l'histoire créative de notre loisir.