par Mangelune » 06 Juil 2016, 09:46
J'en aurai saoulé du monde avec ce jeu, mais la fin de la lecture passionnante des Lions d'Al-Rassan de Gavriel Kay me rappelle ce que je trouve de si passionnant dans le jeu de Luke CRane. C'est pourquoi, en hommage à la fois au jeu et au roman cités, je me fends d'un pamphlet rapide sur le sujet.
Je sais que beaucoup disent préférer des versions plus simples comme Mouse Guard ou Torchbearer, mais Burning Wheel est celui qui me semble le plus travaillé, le plus apte à libérer certaines forces que les autres ne pourront qu'effleurer. Je ne parlerai guère de la théorie GNS et de narrativisme, reste que ce jeu est ancré sur une certaine conception du jeu de rôle, et sur une devise : combattez pour ce en quoi vous croyez.
Alors bien sûr on pourra parler des Beliefs qui font que votre personnage n'est pas un simple exécutant mais un de ces hommes forgeant son destin à l'aide de ses désirs, ainsi qu'un être complexe dont la volonté est parfois déchirée entre plusieurs destins irréconciliables. Des Instincts qui rappellent ces petits traits, ces manies qui fondent un homme. Des Traits et des Lifepaths qui l'ancrent dans un sol stable et lui évitent de n'être qu'un vagabond sans passé de plus.
Mais je parlerai aussi du système de règle complexe régissant les combats. Beaucoup ont reproché au jeu cette complexité : après tout, si l'on veut jouer des drames poignants, on a juste besoin d'un système de combat simple, pourquoi se livrer à ce jeu façon pierre-feuille-ciseaux rempli d'options en tous genres ? Parce que ce qui fait l'expérience globale BW est là aussi, dans cette intériorisation du personnage, plaçant le personnage/joueur dans le rôle du stratège de sa propre vie. Burning Wheel est un jeu de combat, de drame, qui vise à mettre le joueur aux manettes, à incarner la vérité de son personnage de l'intérieur. L'incertitude des combats, leur complexité, demandent de la maîtrise, une maîtrise qui ne peut s'acquérir qu'au fil d'une campagne. J'imagine formidablement bien le duel final venant couronner une dizaine de séances, rendu terrible par l'expérience acquise aussi bien par les joueurs que par les personnages. Un duel où chaque choix pourra faire la différence entre la vie et la mort.
C'est la même chose pour le duel mental. Régir la parole ? La stratégiser ? Cela a plusieurs effets. Bien sûr, cela permet de rendre plus claquants les arguments de chaque côté, de mettre de côté l'impulsion au profit de l'élaboration. Mais cela permet également d'avoir le temps de se mettre dans son personnage, de réfléchir à ses arguments, d'incarner, de mettre de côté la tentation de se rabattre sur ce que l'on connaît déjà trop bien. A Burning Wheel, la discussion peut devenir une guerre, et ceux qui ne veulent pas miser sur cet aspect pourront toujours esquiver les mots au profit des actes.
Alors oui, ce jeu demande de l'investissement. Oui, idéalement il faudrait que chaque joueur ait au moins une copie de son domaine de prédilection (le combat, le dialogue, l'escarmouche, le commerce, les relations, la magie) à lire et relire avant les parties, et accepte de voir les autres prendre du temps pendant la partie pour mener leurs longues actions. Mais je tends à penser qu'il le mérite pour ce qu'il rend.
Je me doute que tout cela est assez peu compréhensible, mais bon j'espère qu'au moins cela donnera envie à certains de découvrir ce jeu sans se leurrer sur les difficultés que celui-ci impose. A mon sens, les Lions d'Al-Rassan avant tout, le cycle de Terremer, la Compagnie noire, et même le Seigneur des Anneaux dans une certaine mesure (même si on ne peut pas dire que BW soit très travaillé sur la gestion des grandes batailles) ainsi que toutes les œuvres où des êtres humains plus grands que nature essaient de se dresser face à la dureté d'un monde pour faire valoir leur volonté.