Aucune animosité envers les personnes ici dans on message, mais j'ai voulu répondre vraiment aux arguments donnés et remettre en place ceux qui ont été balayés d'un revers de main voire tout simplement ignorés. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas forcément le dernier sur les questions politiques et sociales, et je ne voulais pas que l'opinion pro-"autocensure" ou "changer de jeu" semble la seule à être émise par des personnes qui se sentent concernées par ces questions.
Bon bon bon... On va aborder le dernier point, celui qui fait visiblement le plus jaser (plus que du jeu, alors qu'il est excellent...) : l'utilisation du jeu et son possible dévoiement (lol, internet m'apprend que dévoiement veut aussi dire diarrhée. C'est tellement beau, j'adore).
J'ai mis pas mal de temps à choisir la façon dont j'allais aborder la chose, parce que c'est un sujet qui me touche pas mal et que là j'ai un peu de mal à rester dans mes gonds.
C'est en effet une question de positionnement d'autrice vis-à-vis de son œuvre, et prêter des intentions à Morgane en fonction de ses choix (ou faire comme si) est très très limite. Comme si Morgane s'en foutait « des idéaux et combats majeurs de notre société »... Ah non pardon c'est pire, c'est qu'elle s'en foutrait « qu'on massacre des idéaux et combats majeurs de notre société », franchement quelle formulation. C'est ce qu'on appelle pour la blague "l'argument Darky" typique, que Schopenhauer appelait déjà autrement : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Art_d%E2%80%99avoir_toujours_raison/Stratag%C3%A8me_XIII (Je rappelle à toutes fins utiles que le livre dont est tiré l'article ne sert pas à « avoir toujours raison » mais en premier lieu à détecter les arguments malhonnêtes, y compris chez soi).
Le niveau d'exigence, on peut le trouver ailleurs. Comme Steve le disait, certains joueurs aiment pouvoir porter le propos de leur jeu. Et c'est un enjeu, comme il le soulignait en rappelant les propos de Thomas, parce que ça peut permettre à des joueurs, dans l'intimité de la table, de tenter des choses. Dans l'intimité.
Je rejoins complètement Thomas quand il dit qu'à partir du moment où on incorpore des différences avec l'histoire réelle, on est dans l'uchronie, pas dans le documentaire. Et surtout ici, parce que la formulation rejoint tout à fait ma première réaction :
Thomas Munier a écrit : S'ils sont d'accord pour aborder un contexte historique complexe sans en maîtriser toutes les clés, quel problème cela leur pose-t-il ?.
Mais oui, bon Dieu : Qu'est ce qu'on en a à faire enfin ?
Pareil, quand Jiceno dit
Jiceno a écrit :Au risque d'être injuste, j'ai un peu l'impression que cela revient à se réapproprier une lutte réelle et sanglante dans le seul but d'éprouver une émotion personnelle, complètement déconnectée de la réalité historique
On s'en fout ! On fait ça tout le temps (sinon j'espère que vous ne jouez que des choses pacifistes parce que la mort et les coups en vrai c'est pas drôle !), et puis même, on est entre nous, on ne parle pas d'univers du jeu qui serait problématique, mais de responsabilité des joueurs entre eux (intimité est le maitre mot ici il faut croire, il faut faire attention à ne pas tout confondre comme certains qui disent que le racisme "n'est pas une opinion mais un délit". L'opinion c'est privé, et aucun code de loi n'interdit de penser pour le moment, encore heureux. Même si ce sont des saloperies). Le jeu ne porte pas ces choses en lui-même. On peut juger la partie, éventuellement les participants, mais pas le jeu pour ça. Encore moins l'autrice.
J'veux dire, évidemment, y'a des trucs qui dérangent. Moi-même, j'ai été un peu déçu qu'on aborde pas un peu l'implication des personnes transgenres dans l'histoire des émeutes raciales, chose que tu soulignes, Fabien. Mais j'ai pas voulu insister là dessus et j'en ai pas parlé 1) Parce qu'on est pas là pour suivre un cours magistral de Môsieur Jay sur la question, qui en plus ne s'y connait pas tant que ça ; et 2) parce qu'à un moment il faut jouer et puis c'est tout. Clairement, je me suis dit que ce serait sûrement vachement cool de jouer avec des personnes qui connaissent le sujet en détail, mais je me suis aussi dit que j'avais pas envie de me casser le derrière à me renseigner moi-même.
Il est important de préciser l'autre point : c'est qu'au fur et à mesure de la partie, cette gêne vis-à-vis des imprécisions et des "révisionnismes" a complètement disparu. Par ce qu'on. S'en. Fout. C'est pas le propos du jeu, soyons honnêtes, et comme le disait Steve :
Steve J a écrit :Sinon je pense qu'il faut reformuler la question de savoir si cela pose un problème que ton jeu soit utilisé par des amateurs d'Alain Soral.
La vraie question c'est de savoir si son système soutient leur point de vue.
En l'état ton jeu met les joueurs dans une situation où l'action violente ne permet d'aboutir à une victoire qu'en abandonnant ses idéaux. Cela ne me semble pas très soralien...
Le jeu parle finalement de causes déçues, de convictions mises en doute, de faiblesse personnelle face à la précipitation des évènements, de sacrifice, etc. Ce n'est pas un jeu militant. D'ailleurs, que les joueurs considèrent que la mission du module 2 soit un échec ou une réussite, l'historien va les saquer derrière, en leur montrant ce que l'histoire a retenu de leurs actes (spoiler : c'est jamais ce qu'on voudrait), ce que ça a couté, comment l'entreprise réussie a été dévoyée ensuite, etc.
Alors bon ; jouer une cause qui me tient à cœur, mettons le féminisme, pour apprendre à la fin, malgré la "victoire" du module 2, que finalement on a tout foiré, et que 10 ans après la réussite un pouvoir classique est revenu, faisant valoir que tout ce que nous avons fait était contre-productif au final genre pire que les FEMEN, bah merci, mais je trouve pas ça hyper militant en fait.
Regarde ces abrutis de syndicalistes, ils s'en doutaient pas mais 30 après on le sait, qu'ils ont fait que faire monter la violence policière.
Ah les cons, sous couvert d'égalité de droit au mariage ils n'ont fait que renforcer la haine des homosexuels à se visibiliser.
Ce sont des conclusions possibles au jeu, voire probables vu les mécaniques. Je dis pas qu'essayer cela ne serait pas intéressant, mais reste que seul l'avis, le point de vue des joueurs, tranchera véritablement sur le sujet.
(C'est bien le cas, il me semble que l'historien est toujours là pour basher un peu, mettre en difficulté. Morgane ? Tu peux confirmer ?)
Mais du coup, même si des FAF récupèrent le jeu, ce ne sera que pour avoir des désillusions au final. Où est le soucis ? S'ils veulent autre chose, ils doivent modifier les règles. On est pas dans RaHoWa.
On ne peut donc pas dire que le jeu n'a pas de propos ni ne propose d'expérience particulière (pour répondre à Fabien sur son autre fil).
Et quand bien même, laisser les joueurs libres du propos de leur partie n'invalide ni la posture de l'auteur (qui n'a pas à se demander "à quoi bon"), sinon on peut commencer à cracher ouvertement sur tout les jeux traditionnels. Ça me dérange pas en soi, mais faut assumer. L'auteur est là pour proposer une expérience certes, mais là c'est demander une autre expérience que de demander un contexte précis et fixe pour le jeu.
D'ailleurs, j'veux pas dire, mais de mon point de vue Monostatos est tout aussi caricatural que La Cause. En tout cas, pas moins. Et malgré tout il passe par un de systèmes les plus soumis à la dictature de l'auteur que je connaisse. Loin de moi l'idée de basher Monostatos, je l'aime bien en plus, mais dire qu'il est un parfait exemple sur les enjeux politiques en comparant à la Cause me semble tellement pas pertinent, parce que ce ne sont pas les mêmes jeux avec les mêmes propos (ce qui devrait être le but visé à lire certains arguments)
Autre détail : c'est un jeu à one-shot. En tout cas je me vois pas faire une campagne avec les mêmes persos. Donc faire un jeu sur un thème précis, comme suggéré, c'est faire du jeu un truc qui ne se joue qu'une fois, une espèce de documentaire avec propos vaguement moralisateur : C'est faire un autre jeu.
On pourrait augmenter la durée de vie en permettant des campagnes dans le même cadre, avec une évolution des persos : c'est faire un autre jeu.
Rajouter un thème au jeu, c'est lui imposer une direction qui fera pièce rapportée, une couleur rajoutée de façon artificielle. À moins de modifier le système pour intégrer ce propos au jeu : c'est faire un autre jeu.
En plus, ça me dérangerait pas qu'on fasse un autre jeu, qui porte des thématiques ; mais là on demande d'avorter un jeu qui me plait pour en faire un autre que je n'ai pas encore testé...
Sous-entendre que Morgane serait la presqu'amie des FAF ou qu'elle a un bas niveau d'exigence me fend un peu le cœur (surtout que j'ai Chrysopée dans les mains ; c'est le plus haut niveau d'exigence au niveau formel des ateliers pour l'heure), ces arguments en faveur de l'autocensure/de la refonte du projet me semblent péremptoires, potentiellement blessants et surtout en un mot dogmatiques.
Si y'avait qu'un mot à retenir, sur ce qui me courre le haricot, c'est ça : le dogmatisme.
Coluche a fait des blagues racistes, Desproges a fait des blagues antisémites (certes, il a pas voulu les faire face à Le Pen, mais on pourrait débatte de la mauvaise foi qu'il y a à se draper dans sa dignité quand on fait les mêmes blagues à longueur de temps en spectacle, à la radio et en livres en vente libre), Jean-Louis Costes a écrit un livre dans lequel il se met dans la peau d'un raciste paranoïaque qui se mure dans son appart' en banlieue parisienne, persuadé que c'est la guerre des races... Et il y a toujours des personnes pour dévoyer le texte original, le prendre au premier degré (j'en ai même vu un citer "le CRS arabe" Coluche, qui se moque du raciste, pour critiquer les arabes). Pour éviter ça, une note d'intention, bien envoyée avec le vocable approprié, qui ne laisse souffrir le moindre doute, peut suffire à éviter ça. D'ailleurs, c'est tout l'intérêt de la posture de Desproges en fait : en refusant de jouer face à Le Pen, il indique à tout autre FAF que rire à ses blagues est malvenu selon lui si on les prend au sérieux. Je pense que dans le cas de la Cause, ça suffirait amplement, de la même façon.
Je conclurai en citant :
Mangelune a écrit : il ne faut pas confondre intimité d'une partie, dévoilée de façon artificielle lors d'un CR, et message porté par le jeu. A moins que l'objectif de toi, auteure, ne soit autre bien sûr, mais dans ce cas c'est une question de positionnement, pas de valeur morale.
De plus, le cinéma et la littérature nous ont souvent offert de très bonnes œuvres sur des sujets graves en se permettant de gros raccourcis au nom de "l'art cinématographique", et je ne vois pas pourquoi le jdr devrait se montrer plus timoré, plus "responsable", que ses prédécesseurs.
C'est le genre de citations de Vivien qui me donnent envie de les encadrer et de les placarder sur mon frigo.