Suite à l’annonce de Fabien, je l’ai contacté et il m’a envoyé la version actuelle des règles. Pour faciliter le jeu et éviter les pertes de temps durant la partie, j’ai assemblé un petit guide à destination des joueurs qui reprenait l’ensemble des informations et règles les concernant. Je leur ai transmis deux semaines avant la séance. Cela nous a permis de démarrer très rapidement, les joueurs ayant déjà lu toutes les règles les concernant, il m’a suffi de rappeler les grands principes et de donner quelques éclaircissements.
J’ai choisi la ruine Au plus haut des cieux, qui était celle avec laquelle je ressentais le plus d’affinité (sauf pour les deux dernières révélations — la grotte aux cristaux et le vieil homme qui donne la mort). J’ai préféré choisir une ruine de Fabien plutôt que d’en écrire une pour une première partie, et je pense que cela était un bon choix pour saisir ce qui est nécessaire dans une ruine.
Échelle de difficulté : j’ai choisi une difficulté intermédiaire entre partie rapide — qui risquait peut-être de frustrer les vieux rôlistes que nous sommes (sauf une) et de dévaloriser les révélations en les rendant trop faciles – et partie normale qui risquait tout de même d’être un peu longue pour une première. Concrètement : 2, 3, 3, 4, 5, 5, 6.
Les joueurs étaient trois : deux amis quarantenaires, N. et S., avec qui je fais du jdr depuis une vingtaine d’années, majoritairement du jdr traditionnel, et une nouvelle joueuse sensiblement plus jeune, A., avec qui je jouais pour la première fois. Les deux anciens ont longtemps joué avec meneur archéologue qui faisait passer une part de sa formation et de ses rêves dans ses parties. S. s’est également intéressé aux civilisations anciennes pour étoffer ses jeux. A. quant à elle a fait quelques stages d’archéologie. Je me demande si je n’étais pas le moins qualifié de la bande pour le sujet :D
La création des personnages et les éclaircissements de règles prirent environ 35 minutes. Je commençai par annoncer la localisation des ruines : un sommet peu connu dans l’Himalaya. Les joueurs avaient déjà choisi leur spécialité et leur question métaphysique, restaient leurs relations et l’expédition. Les relations entre pj restèrent à un strict minimum (seulement « on s’est déjà vu », « on a travaillé ensemble sur tel sujet » et « rien »). Mes joueurs ne donnèrent rien pour l’expédition, j’en ai donc fait une description sommaire.
Les personnages créés :
- A. crée Johanna Carter, archéologue et mythologue, grande rousse à l’enthousiasme retentissant. Sa question métaphysique est : qu’est-ce que la beauté ? comment la créer ?
- N. invente Rodrigue Boltier, archéologue et paléogénéticien dans la force de l’âge, raisonnable et pragmatique. Sa question métaphysique est : pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? vers quoi le monde tend-il ?
- S. présente Emmanuel Esperanza, archéologue, biologiste et xéno-biologiste un peu bedonnant, légèrement asthmatique, grisonnant, dégarni et mêlant avec art enthousiasme, rêverie et bougonnerie. Sa question métaphysique est : le libre-arbitre existe-t-il ?
En route pour la beauté hostile de l’Himalaya !
Je décris l’arrivée : quittant une vallée isolée et désertique, l’expédition se crapahute le long d’une crête escarpée en vue d’arriver aux ruines. Les 3 conducteurs de l’expédition, en tête dans leurs anoraks oranges, arrivent au pied d’un escalier de pierre, mi taillé dans la roche de la montagne, mi construit de blocs. D’après les rapports de l’Alma Mater, il se pourrait bien qu’il s’agisse du plus long escalier du monde (première révélation, donnée selon les règles). Toutefois l’escalier disparaît très vite dans les nuages qui défilent à toute allure, poussés par des vents enjoués.
Je me demande si je n’ai pas commis une maladresse dans le choix de la révélation. Elle me semblait pourtant être un bon choix, car elle se présentait comme le fil d’une pelote à dérouler : le début de l’escalier, l’entrée des ruines. Mais il y a là pour moi deux erreurs. Premièrement je ne donne pas, et ne peux pas donner toute la révélation, qui nécessite de connaître l’entièreté de l’escalier. Ensuite, si la révélation est logique, elle ne donne aucun indice pertinent sur la cohérence des ruines, sur ce qu’elles cachent. (Il me semble que les ruines pourraient indiquer les révélations les plus adéquates pour commencer, voire un descriptif de départ pour lancer fiablement les points essentiels.)
J’ai brièvement eu une impression désagréable de manque de prise sur la fiction pour les joueurs. Il n’y avait pas assez de matière pour broder, les joueurs étaient devant une page blanche un peu intimidante, surtout que c’est un jeu où il y a finalement une seule bonne réponse à trouver. Heureusement ce fut très bref, une fois le premier vertige passé, le jeu démarra très bien.
Après ce très bref moment de flottement, où les joueurs tâtonnent pour savoir quel type de description faire, le jeu démarre. Les joueurs décrivent les piliers qui encadrent le pied de l’escalier (j’ai poussé un peu pour transformer le « il y a des piliers ?» en affirmation créatrice), couverts d’inscriptions très effacées, quelques détails de l’escalier, et leurs réactions face à l’ensemble. Début de partie, nouveau jeu, je distribue généreusement un jeton à chacun — car chacun avait apporté sa contribution : Rodrigue et Emmanuel découvrirent piliers et inscriptions ; Johanna manifesta ses espoirs et son enthousiasme. Et ils entament immédiatement de déchiffrer à l’aide d’une paléographe inventée à l’instant le déchiffrement des glyphes. Et donc, exactement 10 minutes après le début de la narration, je donne la seconde révélation qu’ils peuvent deviner à travers les écritures : cette civilisation vénère tous les morts du monde.
Je ne vais pas vous faire le récit de la partie point par point, ce serait trop long et peu intéressant. De la création des personnages à la fin du débriefing, la partie a duré 5 heures. Au total, les joueurs auront deviné 3 des révélations, plus le symbole de la civilisation, je trouve cela assez impressionnant que la cohérence des ruines puisse percer ainsi.
(Les joueurs ont deviné la présence des cerfs-volants en comprenant qu’une structure que je leur décrivais matériellement était un ancrage. Ils ont également deviné le symbole de la civilisation (oiseau) en inventant des détails du cerf-volant, alors que je n’avais pas encore mentionné les oiseaux-gardiens (que j’avais gardé au-dessus des nuages… parce que je les avais d’abord tout à fait oubliés, concentré que j’étais sur les révélations)).
Nous avons commis plusieurs erreurs qui nous ont un peu compliqué le jeu. Nous avons décrit un environnement très dépouillé, très fermé, très peu extensible. Flanc de montagne himalayen oblige ? Cela laissait peu de place à l’invention de nouveaux éléments. Nous avons décrit un escalier serpentant sur le flanc de montagne, rythmé de piliers agissant comme autant de repères visuels dans les nuages défilants. Il reliait des paliers, petit plateaux où quelques rares constructions se serraient, offrant le repos aux pèlerins qui le gravissaient. Chaque palier était séparé d’une dure journée de grimpe. Plus tard, nous avons découvert que cette civilisation était également troglodyte, mais nous avons trop vite oublié ce fait qui nous aurait donné un espace d’extension.
Surtout, nous avons tous décrit l’endroit comme parfaitement désert, sans aucun objet, rien que des infrastructures. Ce qui s’accordait très bien avec la révélation de la manière dont la civilisation avait disparu. Là aussi, nous aurions pu inventer quelqu’exception, mais nous sommes restés liés par l’esthétique dégagée au début.
Après le troisième plateau, l’escalier émerge des nuages, nous apercevons les oiseaux. Les joueurs leur inventent un temple au centre du quatrième plateau (de nouveau les secrets de la ruine s’imposent à la partie sans que nous ne comprenions comment). Le cinquième et dernier plateau est le plus grand, il accueille le centre de la civilisation et voit la fin de l’escalier. La succession des plateaux correspond aux différentes étapes du dépouillement spirituel.
La première révélation devinée avait produit un effet très plaisant que les joueurs cherchèrent à reproduire, au détriment des recherches. Dans nos descriptions, nous n’avons pas facilement, surtout les joueurs, inclus les obstacles que nous pourrions surmonter par après, rendant difficile toute réelle exploration. Il ne restait alors comme recherche que « je cherche à comprendre les bâtiments effondrés » ou « de déchiffrer les bas-reliefs » ou « je fouille » « je l’aide »… la dépense de jetons dans ces circonstances a donné un effet « jeu de plateau » qui nous a un peu déçus (sans mettre en péril notre bonne impression globale), surtout en fin de partie (fatigue, et/ou problème de positionnement fictionnel ?).
La mécanique des jetons donnés a fort bien fonctionné. Surtout sur la description des hypothèses des personnages ou l’apport des joueurs à la fiction. Les réactions et sentiments furent nettement moins exploités. Peut-être également parce que je cessais de donner des jetons au joueur du personnage qui avait exactement la même réaction à chaque découverte ?
Les réflexes de jdr traditionnel de questionnement du meneur à chaque micro-étape m’ont un peu posé problème. Des demandes du type : « j’entre dans le bâtiment, qu’y-vois-je ? », « Je soulève la pierre ? », « J’examine les inscriptions – sont-elles semblables à celle que nous avons déjà rencontrées ? », « Quels symboles sont communs ? », … m’ont laissé dans l’embarras. Ce ne sont pas des descriptions qui donneraient des jetons. Ce ne sont pas non plus des recherches, les obstacles franchis, décomposés en micro-tâches, sont trop insignifiantes. Pourtant à la fin, ce qui a été accompli constitue une recherche. (C’est le paradoxe sorites qui frappe.) Faut-il dépenser les jetons par après sans avoir annoncé que l’on entrait dans une recherche ? Faut-il laisser faire, encourager les joueurs à faire des hypothèses jusqu’à ce qu’ils devinent, leur donnant progressivement des indices ? Ou faut-il bloquer cette approche ? Ce que je n’ai pas fait, même si j’ai encouragé les joueurs à avoir une approche plus globale.
C’est essentiellement ce qu’il s’est passé entre la révélation 4 et la 5, intervalle qui nous pris plus d’une heure et demi, jusqu’à ce que je pousse les joueurs à entreprendre une véritable recherche et à cesser de thésauriser leurs jetons. Ce qu’ils firent malgré tout, chacun avait 4-5 jetons à la fin de la partie, mais je crois que c’est surtout par manque d’habitude pour évaluer instinctivement la quantité correcte de jetons nécessaires – même si à un moment les joueurs sont un peu entrés en compétitions sur l’obtention de ces sésames (tiens, cela serait un terme amusant).
Autre problème entre les révélations 4 et 5 qui nous a également ralentis : les joueurs ont pris du temps à s’accorder sur le mode de jeu. L’un voulait explorer les puits sous un moulin « traditionnellement » (sans dépense de jetons, pas à pas, en attendant les réponses du meneur), l’autre voulait décrire les découvertes… mais ce n’est pas son personnage qui descendait dans le puits. Un joueur en posture d’acteur à travers les yeux de son personnage, l’autre réfléchissant au jeu dans son ensemble, à l’intérêt global des pj. Mon interprétation des règles (fidèle au texte, je crois) sur le moment fut que ce dernier ne pouvait pas décrire les découvertes faites par le premier… maintenant je pense que le jeu aurait été meilleur si je l’avais permis.
Je suis pour prendre mon temps en jdr, mais le ralentissement entre les révélations 4 et 5 fut plutôt négatif. Il y avait une certaine frustration non gratifiante, un anti-climax désagréable. Peut-être aurais-je du également aménager une pause formelle dans le jeu, mais c’est une pratique à laquelle nous avons du mal à nous plier.
Après cela, nous sommes repartis sur un bien meilleur rythme.
La mécanique de don de jeton fonctionne très bien pour infirmer/confirmer les pistes de ce qu’il y a à inventer, en fonction des narrations des joueurs ou hypothèses des personnages. (Les réactions et sentiments ne bénéficient pas de cet effet de trouvé/perdu, peut-être est-ce une des raisons pour laquelle cet aspect du jeu fut moins exploité ?) Cependant, S. a à un moment posé une hypothèse fantastique, parfaitement dans le canon du jeu et de la ruine, très belle, mais complètement incompatible avec la préparation. J’ai choisi de lui donner deux jetons en plus de mon enthousiasme manifeste, mais j’ai dû préciser toutefois que ce n’était pas une bonne piste. Était-ce la bonne chose à faire ?
À de courtes exceptions près, les personnages restent fondamentalement un prétexte à l’exploration des ruines. J’avais peur de partir trop loin dans les relations des personnages, les complications personnelles, … Dans la pratique c’est exactement l’inverse qui s’est produit.
Nous n’avons tracé aucune carte, effectué aucun dessin. Peut-être aurais-je du donner l’exemple ? Cela ne nous a pas semblé manquer.
La possibilité pour les joueurs d’augmenter la valeur de voyage de leur personnage fut très peu utilisée. Je l’avais volontairement laissé de côté lors de mes rappels de règles en début de partie, mais l’ai rappelée après la 4e révélation. Les joueurs l’on utilisée près de deux heures plus tard, deux explorateurs augmentant leur valeur de voyage d’un point en abordant leur question métaphysique. Le jeu fut un peu forcé, mais donna finalement un très sympathique dialogue de sourd entre Rodrigue et Emmanuel, chacun ne voyant que sa propre question (discutant respectivement de la fin éventuellement déterminée du monde et du libre arbitre).
Au final, nous fumes tous très satisfaits du résultat et deux des joueurs ont manifestés leur envie de poursuivre le jeu. Tous notent que le jeu est exigeant à la fois en termes de concentration et de fatigue, mais aussi de maturité/qualité de jeu nécessaire. L’esprit positif et constructif du jeu a vraiment plu, en particulier la révélation de l’exode spirituel : quelle belle fin pour une si belle civilisation !
À tout hasard, voici le rythme de la partie :
0:00 Éclaircissements et création des personnages
0:35 Départ de la narration. Révélation 1 donnée : L’escalier le plus long du monde
0:45 Révélation 2: Vénère tous les morts du monde
1:30 Révélation 3 devinée : Ceux qui meurent en altitude
1:48 Les joueurs devinent les cerfs-volants (mais pas de révélation donnée, car aucune idée de leur rôle, ni du fait qu’ils pourraient toujours être en vol).
2:02 Révélation 4 : Moulins.
3:35 Révélation 5 : Cerfs-volants.
3:38 Les joueurs devinent le symbole.
3 :47 Deux joueurs augmentent leur valeur de voyage d’un point en abordant les questions métaphysiques.
4:00 Révélation 6, devinée : Chemin du dépouillement.
4:14 Révélation 7 : Exode spirituel.
4:21 Révélation 8 : Flûtes de l’au-delà.
4:23 Révélations restantes données.
4:25 Epilogues.
4:35 Débriefing.
5:13 Fin.
Ce playtest fut un réel plaisir — merci !
Philippe