Elle a spontanément créé des fiches de personnage pour Martin Mystère, un dessin animé de 2003 qu’elle regarde en ce moment, dans lequel 2 ados (et un homme des cavernes) enquêtent autour du surnaturel et combattent des monstres.
Mon job, c'était de lui apprendre comment être MJ et comment préparer son "scénario".
Je vais relater l’expérience.
Quelle méthode de préparation utiliser pour une enfant qui ne sait pas encore lire et écrire ?
Je lui ai proposé de choisir un lieu et d’en dessiner le plan. Elle voulait que ça se passe dans un lycée. Je lui ai donc montré comment faire un plan, avec la cour tout autour, la barrière, les portes, le terrain de basket, les arbres, etc. Ensuite on a réfléchi aux salles qu’on pourrait trouver à l’intérieur (en vrac : le bureau du directeur, les salles de classe, les casiers, une piscine (pourquoi pas ?), une bibliothèque, etc…) elle a donc dessiné en couleur son plan.
Ensuite je lui ai demandé quels monstres elle voulait mettre dans son histoire, elle les a dessinés (au moment de jouer la partie, je n’avais rien vu de ces dessins, sauf le tout début du plan du lycée, pour l’aider).
Puis je lui ai dit de dessiner des alliés (ou des “gentils”). Elle en a fait tout un catalogue.
Puis de choisir ce que les méchants font aux gentils : est-ce qu’ils les mangent ? Est-ce qu’ils les transforment ? Est-ce qu’ils les capturent ? etc.
Pour finir, je lui ai expliqué qu’au départ, les héros ne savent pas quel est le monstre de l’histoire. Elle doit dessiner des indices sur son plan. Par exemple des traces de bave gluantes si c’est une limace géante (référence à un épisode de Martin Mystère), si c’est un loup garou, il peut laisser des traces de griffures, de morsures ou des poils, etc.
Elle a donc indiqué plein de trucs sur son plan.
Je lui ai aussi dit que si une porte est fermée, elle peut cacher la clef ailleurs.
Cette méthode de préparation a très bien fonctionné, malgré les défauts inhérents aux “bacs à sable” à contrainte spatiale, c.-à-d. : où certaines choses sont positionnées à des endroits précis, demandant aux joueurs de fouiller pièce par pièce pour être sûrs de ne rien rater.
Une fois prête, on a pris nôtre dîner, on a débarrassé la table, Maya a fait sa toilette du soir, s’est mise en pyjama et… on a commencé la partie.
Préambule
Quand elle a fini de préparer son plan, je lui ai expliqué comment s’en servir à partir d’un exemple que j’ai dessiné à part : au début, notre cheffe nous apprend qu’une créature a été détectée dans ce lycée, elle nous y envoie. Quand on arrive devant l’entrée, je lui ai dit qu’elle pouvait nous demander comment on entrait, ou bien dans quel endroit on se rendait, etc. Puis quand on arrive dans un endroit ou une salle, elle nous dit ce qu’on y voit, et pour le reste, elle sait déjà comment ça marche.
J’ai choisi de jouer deux des trois personnages principaux (du fait que Magali n’était pas disponible) histoire de recréer un semblant d’équipe, comme dans le dessin animé. Je jouais donc Martin, le héros un peu crétin et prétentieux et Diana, sa sœur, plutôt intellectuelle et qui a tendance à se mettre facilement en colère.
Maya a inventé 7 Caractéristiques (elle a fait un dessin pour chacune) :
Courage ; Discuter ; Cerveau ; Corps ; Résister aux attaques ; Casser des choses ; Tuer les monstres. (elle a l'âme d'un game designer) ^^
J’ai réparti des scores de 1 à 3 et 4 pour la Caractéristique où ils excellent (elle avait aussi dessiné le portrait des deux héros sur les fiches).
Avant de jouer, j’installe un écran de Sens pour qu’elle puisse cacher ses plans (qui a le mérite de ne pas être trop haut).
Avant de commencer, elle me dit : “Cette fois, tu peux perdre à la fin !”
- “Mais dans le dessin animé ils ne perdent jamais !”
- “Mais là tu peux perdre !” me répondit-elle sans appel. ^^
J’ai trouvé ça super drôle qu’elle s’interroge sur de tels enjeux.
La partie
Elle me décrit succinctement l’intro avec notre cheffe qui nous envoie au lycée.
Puis je lui dis : tu peux me décrire les lieux qui sont à l’extérieur du lycée ?
Elle m’en fait l’inventaire. Il y a notamment une petite maison à côté du lycée. Je lui dis que je vais voir le terrain de basket (et que comme on nous envoie visiter le lycée, on n’a rien à faire avec cette maison ;p).
J’ai passé une bonne partie du jeu à poser des questions à Maya pour l’aider à faire son rôle de MJ. J’ai un peu fait du Apocalypse World inversé en quelque sorte. Plus on avançait dans la partie et moins j’ai eu besoin de l’aider de la sorte.
Je découvre des traces de pas de deux types : certaines ressemblent à des O et d’autres à des empreintes de fer à cheval. Dans ma tête, les premières étaient des traces de sabot. Mais je me trompais...
On a décidé que pour chercher quelque chose, il me fallait lancer les dés. Cette technique, bien sûr est problématique, mais ça rassurait Maya, je pense qu’il y ait un enjeu derrière ses révélations, sans quoi elle ne savait pas comment meubler les scènes d’enquête et quand c'était pertinent de révéler quelque chose.
Elle m’a fait rencontrer plein de PNJ : une vieille prof de musique qui marche avec des béquilles, des élèves qui ont peur de monstres qu’ils n’ont pas vus, un bébé, une star, etc.
Pour fouiller le bâtiment, j’ai séparé mes deux personnages et on a joué les scènes en alternance. Elle n’a eu aucun problème pour gérer ça, ni les ellipses spatiales et temporelles. Mes PJ étaient chacun suivi par un PNJ.
Je jouais chacun d’eux conformément à leur caractère dans l’animé.
Bon, le truc à bosser, c’est que les indices étaient tous des traces de pas et les PNJ disaient à peu près tous la même chose quand on parlait avec eux. Mais ce n’était pas gênant.
Si ce n’est qu’un élève m’a appris que la “maîtresse” était morte : elle s’est faite manger par un monstre. Il m’a montré ses lunettes et des bouts de vêtements dans le bureau du directeur.
Dans la bibliothèque, je cherche un livre qui pourra m’aider. Je lance les dés et c’est un échec. Et là Maya a eu une réaction super : au lieu de me dire que je ne trouvais rien, elle m’a dit que le livre avait été emprunté.
Du coup je regarde le registre et découvre le nom de l'emprunteur : Pieuvre-Neta quelque chose… Han-han… ♪
À la piscine, Martin ne trouve rien de spécial (à part un poisson dans l’eau du bassin). ^^
Du coup, je raconte que Martin plonge dans l’eau et s’amuse à nager. L’imprévu de cette situation, purement contemplative, lui a beaucoup plu.
Une fois le bâtiment fouillé de fond en comble, je me rends à la petite maison non loin du lycée. Mais elle est fermée à clef (haha, elle a compris les ficelles). Je ne sais plus où, mais j’ai trouvé la clef, je reviens et là, en ouvrant la porte, elle me décrit que je vois le livre de la bibliothèque à propos des monstres, mais aussi deux monstres !!!!!!!!
L’un est un centaure et l’autre une pieuvre géante !
Diana se jette sur le livre et parvient à s’en emparer. Martin affronte les monstres. Mais ils se régénèrent (!).
Diana lit les passages concernant les deux monstres et découvre qu’ils ne peuvent être vaincus que par la seule chose qu’ils craignent : le monstre-pieuvre craint les pâtes (celles que l’on mange) et le centaure craint la musique. Vite, Diana et la vieille prof de musique vont chercher ses instruments, tandis que Martin retient les monstres !
On atteint la salle de musique et la vieille dame prend avec elle sa guitare. Soudain, la pieuvre apparaît derrière nous, elle a réussi à s’enfuir !
Elle nous attaque. Je dis que la dame joue de la musique et là, Maya me dit : eh non, c’est pas ça son point faible ! (Que je suis bête, aussi !)
Du coup, Diana donne un coup de marteau (avec lequel elle avait saccagé les casiers des élèves pour trouver un escargot maléfique qui ne servira que dans un prochain épisode :D) au poulpe, qui est assommé.
Vite, elle court à la cuisine et demande aux cuisiniers de lui préparer des pâtes ! Ils ont à peine fini quand le poulpe se réveille et arrive. Diana lui jette le plat de nouilles et la créature meurt. Juste avant de disparaître, je sors la maîtresse qu’elle avait mangée de son ventre.
Puis on rejoint Martin, toujours affairé avec son centaure, mais la vieille dame joue de la guitare et le monstre meurt.
Notez que le coup du plat de pâtes et de la guitare ont fait que je n’ai pas eu besoin de lancer de dés.
Et donc on a fini la partie là-dessus.
Quelques commentaires
- Pourquoi jouer tradi est la forme qui me vient spontanément, autant quand elle est joueuse que quand elle est MJ ? → Je pense que c’est plus facile pour elle, car l’histoire est pré-mâchée du fait du scénario. De plus, ça nous permet de jouer des histoires accessibles pour des enfants, qui se terminent généralement bien (et non des questions morales complexes…). Plus proches de l’épopée que du drame, donc.
Ça me fait rendre compte que mes pratiques actuelles sont souvent bien plus abstraites sur beaucoup d'aspects que quand je jouais tradi : je me contentais d'amener les scènes, les personnages, les décors, les révélations et les situations que j'avais prévues (parfois dans le désordre, mais peu importe) et je faisais lancer les dés à la moindre incertitude. Toutes les subtilités qui me font préférer mes pratiques actuelles du JdR sont globalement impossible à apprendre pour Maya.
Mais je tenterai prochainement Shadows de Zak Arnston qui ouvre un peu le partage des Responsabilités. Prosopopée est encore trop complexe à mon avis. - Pas de figurines ! Déjà dans notre partie d’Harry Potter, j’ai tenté le coup de jouer sans figurines et ça marchait très très bien comme ça. Aucun problème de localisation dans l’espace ou autre. Là, Maya avait son plan sous les yeux, caché derrière un écran de Sens. Elle suivait sa préparation, elle improvisait un peu, tout s’est très bien passé. Du coup, j'en viens à me dire que mon idée première que les figurines étaient nécessaires pour faciliter la représentation spatiale était en fait fausse.
- Les indices subtils : les traces en O étaient finalement des traces de ventouses de tentacules de pieuvre ! Je me suis bien fait avoir, moi qui pensais que c’étaient des traces de sabots (en plus des traces de fer à cheval laissées par le centaure). ^^
- Coup de bol : les dés nous ont aidés à faire fonctionner la partie où on a lancé les dés pour la découverte d’indices importants et j’ai fait un nombre de succès insolent (Maya était presque déçue que je réussisse presque tous mes jets). Il faut que je trouve un moyen d’éviter cet écueil la prochaine fois, mais j’ai peur qu’adopter un mode de révélation plus libre devienne compliqué pour Maya. SI vous avez des idées, je suis preneur.
- Une cohérence fictionnelle d’un enfant de 6 ans : Quand on joue avec un enfant de 6 ans, la cohérence fictionnelle s’en ressent. Là comme elle était MJ, je me suis plutôt amusé des choses que mon esprit d’adulte trouvait incohérentes. C’est un exercice plutôt sain à mon avis (et que l'on fait dans la plupart des activités ludiques ou fictionnelles que l'on partage avec nos enfants quand ils sont petits).
En conclusion :
Ce qui m'intéresse avec ce CR, c'est de montrer que le JdR, c’est facile. Laissez tomber vos idées reçues. Une enfant de 6 ans peut être MJ et on a passé une partie très chouette. Bien sûr, il faudra adapter votre niveau d'exigence à celui de votre enfant, mais je n'ai pas eu besoin de beaucoup me forcer, à vrai dire.
Le plus difficile, c’est d’expliquer le JdR, c’est ce qui le rend abscons pour les profanes.
Sinon, chose intéressante : Maya m’a dit qu’elle comprenait mieux [la structure de l’histoire de] Martin Mystère, du fait d’avoir construit sa propre intrigue en s’inspirant de la série animée et de me l’avoir faite jouer. Et c'est l'une des choses que m'apprend le JdR : analyser la construction des fictions de façon générale.