Ma copine et moi avons eu l'occasion de faire découvrir Perdus sous la Pluie à deux très bons amis à nous. J'avais déjà eu l'occasion de jouer deux fois au jeu en présence de son auteur Vivien/Mangelune, dont une fois avec ma copine.
La partie fut de très bonne qualité mais elle a surpris tout le monde par l'incroyable violence de ce qui était raconté et par sa noirceur. Je vais essayer de comprendre ce qui a marqué le virage vers l'horreur rapidement emprunté par notre partie.
Quelques éléments de contexte :
Il s'agissait d'une soirée "JDRs Halloween" et nous venions de terminer une partie du sympathique Final Girls, jeu émulant les slashers, ces films d'horreurs qui voient une petite communauté perturbée par l'irruption d'un meurtrier. Ce jeu est un jeu de massacre qui invite les joueurs à décrire des meurtres. Thématique Halloween oblige nous rivalisâmes d'inventivité morbide et grand-guignolesque.
Bref nous étions échauffés en matière de descriptions horrifiques.
J'avais "vendu" le jeu sur le seul pitch d'enfants perdus dans une ville sans adulte. Dès la phase de création des personnages (via une rédaction qui demande notamment "Pourquoi crois-tu que tes parents t'ont abandonné") les deux joueurs découvrant le jeu furent surpris par sa noirceur. Une joueuse m'avouant que le pitch lui avait laissé entrevoir quelque chose de plus léger.
La fin de l'explication des règles avec la phrase clef "Ainsi disparu [prénom de l'enfant], il ne reverra jamais ses parents" et le vote pour l'enfant qu'on aime le moins a achevé de poser le jeu comme un jeu très sérieux à l'ambiance désespérée.
Les personnages créés charriaient des thématiques très lourdes :
Le petit Jérémy, 9 ans, faisait encore des cauchemars à propos de la mort de sa maman, l'été dernier lors de ses vacances à Locarno (il s'agissait de mon personnage et j'ai volontairement donné un nom de lieu réel pour donner un effet de concret à cette mort).
La petite Virginie, 8 ans, adorait les bonbons mais avait encore des cauchemars à propos des gifles que lui donnait sa maman quand elle mangeait trop de sucreries.
Le petit Albert, 10 ans, était né hermaphrodite, son papa avait décidé qu'il s'agirait d'un garçon mais il aurait préféré être une fille. Il se souvenait surtout des pleurs de sa maman quand il lui disait qu'il voulait être une fille.
La petite Louise, 8 ans, pensait avoir été abandonnée parce que ses parents préféraient son grand frère.
La partie commence, la petite Louise vient de perdre ses parents et se retrouve à errer, seule dans les rues désertes de la Ville. Elle aperçoit sous un abris de bus les 3 autres enfants. D'après le panneau d'affichage, le bus devrait arriver dans 5 minutes mais les enfants lui disent que cela fait très longtemps que le bus devrait arriver dans 5 minutes ("au moins mille ans" s'exclame Virginie).
Un bus apparait dans la rue perpendiculaire, poussés par Louise les enfants courent en direction du bus pour le rattraper. Ils le ratent. Jérémy pleure, "on ne rattrapera jamais le bus".
Les enfants discutent du genre d'Albert qui dit être une fille, "tu peux pas être une fille", "la maîtresse elle dit que je peux être une fille si tu veux". Finalement Jérémy accepte d’appeler Albert par un prénom de fille, Gwendoline (je donne une attache au joueur d'Albert/Gwen).
Un bus s'arrête au premier arrêt de bus, les enfants retournent sur leurs pas pour le rattraper mais n'y parviennent pas. Le panneau d'affichage marque maintenant "Bus dans JAMAIS". Louise a un mouvement d'humeur et pousse Jérémy parce que c'est de sa faute s'il a pleuré et que les enfants n'ont pas rattrapé le bus. Ce dernier n'ose pas réagir.
Finalement les enfants décident d'aller se réfugier dans un boulangerie. Dans le vitrine plein de bonbons sont exposés. Virginie qui a faim veut les prendre mais elle se rappelle des cris de sa maman qui refuse qu'elle en mange. Une fois à l'intérieur de la boulangerie, seul Jérémy prend des bonbons.
Arrivé à ce moment de l'intrigue, jusque là plutôt calme et centré sur les interactions entre les enfants, je décide de mettre un peu d'animation et de faire intervenir une sirène. C'est le tour de Virginie et l'une des joueuses vient de décrire ses souvenirs de ses maman lui interdisant d'en manger. Je décide de jouer sur les images que les parents utilisent pour faire peur aux enfants trop gourmands, ma "sirène" est un boulanger obèse, sans yeux et dont la bouche révèle des caries. Ce dernier est coincé dans la porte et est obligé de s'agripper aux murs avec ses bras boudinés pour s'en extirper.
Il poursuite les enfants qui s'enfuient dans la rue. Il ne parvient pas à sortir par la porte mais ses bras fracassent la vitrine. Des bouts de verre pénètrent dans la chair de la créature qui parvient quand même à poursuivre les enfants en s'agrippant au sol avec ses bras, elle laisse une trainée de sang derrière elle.
Comprenant que la créature poursuit Jérémy, qui a volé des bonbons, Louise le pousse en arrière. Jérémy se retrouve au sol, seul face à la créature. Il lui jette ses bonbons dessus mais cela ne suffit pas. Il a mangé l'une des sucreries et il lui reste une trace de sucre à la commissure de ses lèvres. La créature le remarque et elle agrippe un des jambes de l'enfant. Jérémy pleure et crie mais la créature le traine derrière elle en s'éloignant.
Ainsi disparait Jérémy, il ne reverra jamais ses parents.
La phrase fait son petit effet autour de la table.
Les trois enfants restant se réfugient dans une cour d'immeuble. Mais c'est un piège. Les sirènes referment les grilles derrière eux. Ils voient les lumières de plusieurs appartement s'allumer et des silhouettes les observer. Une créature sort de la loge du gardien, comme le boulanger elle n'a pas d'yeux, sa bouche forme un sourire éclatant. Elle n'utilise pas ses jambes mais s’agrippe aux murs avec ses bras, ses mains s'enfonçant dans les murs de béton. Elle propose aux enfants de venir dormir chez elle, elle leur fera un bon petit plat, un steak aux bonbons, un sandwich aux frites.
Comme le boulanger, l'homme au sourire est une créature collective à laquelle les trois joueurs donnent vie. Elle est très inquiétante, les propositions de venir dormir chez lui la font résonner avec l'image du prédateur qui vient enlever les enfants à la sortie de l'école. Plusieurs joueurs soulignent le côté "horrible" de la scène tout en en rajoutant à la description.
Virginie est happée par des mains sortant des buissons.
Ainsi disparu Virginie, elle ne reverra jamais ses parents.
La créature au sourire continue à traquer les deux enfants restant, elle agrippe le pantalon de Gwen/Albert, le fait descendre et révélè sa masculinité (considérée comme une fille depuis la discussion du début de la partie) et s'en moque.
Peut-être la scène la plus brutale de la partie. La nudité imposée d'un PJ n'étant pas quelque chose que nous sommes habitués à décrire/entendre en partie. Plus encore quand on parle d'enfants. J'ai été personnellement assez surpris que l'on introduise cet élément, j'ai senti qu'on ne pourrait pas aller plus loin dans l'horreur. Insistons cependant sur la profonde cohérence de cette scène et l'absence de graveleux des descriptions de la joueuse amenant cet aspect.
Louise décide finalement de se sacrifier, elle accepte d'accompagner le monstre chez lui s'il laisse Gwen tranquille.
Sa joueuse décrit la fin de son personnage par un lapidaire : "et la créature la dévore", qui reste la mort la plus explicite du lot.
Ainsi disparu Louise, elle ne reverra jamais ses parents.
Gwendoline est recueillie par un habitant de l'immeuble qui appelle ses parents.
Quelques réflexions sur la violence de la partie :
1) Elle nous a pris de court, surtout ma copine et moi qui avions joué au jeu auparavant.
2) Elle apparaissait comme entièrement cohérente avec le jeu qui a immédiatement été vu comme un jeu très sombre par nos deux joueurs découvrant le jeu.
3) Pas certains qu'on aurait mis le jeu au menu de notre soirée Halloween annuelle, plutôt orienté déconne et dégustation de citrouille, si on su qu'on pouvait aller dans cette direction. Nous aurions sans doute posés des limites simples avant la partie.
4) La partie restait d'excellente qualité et nous restera en mémoire comme telle (et pas juste comme "la partie où on a raconté plein de trucs horribles").
Rien à voir avec mon sujet principal mais j'ai deux remarques supplémentaires :
1) J'ai insisté sur le fait que les joueurs incarnant l'Aversité (i.e. tous sauf le joueur dont c'est le tour) pouvait décrire simultanément. C'est très efficace quand un joueur décrit les mouvement d'une créature, l'autre sa voix et le dernier le décor.
2) Puisqu'on peut à chaque tour décider d'agir au plus une fois ou de ne rien faire, j'ai proposé que les joueurs souhaitant ne pas retirer/donner de jeton le signalent par une tape sur la table (comme au poker). Cela fonctionnait bien.