En JdR, qui est une activité sociale et créative, on se heurte parfois à des freins : certaines personnes éprouvent de grandes difficultés dans certains contextes à jouer le jeu.
Je pense par exemple aux 3 peurs liées à l'improvisation, dans
cet article de P. Darby (ces "peurs" sont issues du livre
Le Théâtre et l’improvisation de Keith Johnstone) :
- la peur de la psychose
- la peur de l’obscénité
- la peur du conformisme
Ce sont des questions purement individuelles : on a tous des situations qui nous mettent en difficulté sur le plan social et créatif. Un bon contrat social peut aider à minimiser ces peurs : se mettre en confiance, réduire ses exigences, etc.
J'ai aussi, de ma propre observation, listé trois exigences que l'on retrouve de façon plus ou moins forte dans certains jeux et qui peuvent provoquer des blocages ou des situations de rejet de la part des participants :
- Être performant
- Se dévoiler sur le plan émotionnel
- Être en phase sur le plan créatif avec les exigences du groupe
J'ai rencontré plusieurs personnes se bloquant ou en difficulté à cause d'une de ces exigences.
- Être performant : il s'agit généralement d'une exigence que l'on rencontre dans les JdR où le défi et la performance jouent une part importante. Le jugement du groupe au sujet de la capacité d'un individu à prendre les meilleures décisions peut être un motif de stress.
- Se dévoiler sur le plan émotionnel : typiquement, les thématiques matures, intimes et ambivalentes d'un point de vue moral, mêlées à une grande liberté de décision et une totale responsabilité sur les conséquences des choix peuvent générer du malaise chez certains (notamment quand ces personnes jouent avec des inconnus, ou tout simplement quand elles ne sont pas en confiance).
- Être en phase avec les exigences du groupe : à certaines tables, la connivence est telle, qu'un nouveau venu peut se trouver en difficulté pour intégrer le "délire" commun : dans certaines pratiques, échouer à accomplir une vision particulière d'un genre fictionnel ou d'une fiction de référence n'est pas permis. Cela peut générer un sentiment de ne pas être à sa place, de ne pas faire partie du groupe et de son "trip". Ça peut arriver dans les jeux extrêmement exigeants sur le plan de la rigueur historique, ou d'une pratique rattachée à un certain nombre de références fictionnelles ou culturelles que le joueur ne possède pas, etc.
(Je ne cache pas que ces observations sont rattachées dans ma tête aux démarches créatives, mais je ne crois pas que ce soit utile dans le fond de faire le rapprochement).
Quand un jeu pousse la logique de la performance, de sortir de sa zone de confort émotionnelle ou d'exigence esthétique, cela peut augmenter les difficultés rencontrées par un joueur concerné par l'un de ces cas de figure.
Typiquement, le jeu de Mélanie pousse le bouchon super loin dans le dévoilement sur le plan émotionnel et l'ambivalence morale. Mais en fait, si l'on joue à des jeux qui poussent ces choses loin, c'est que ça met du piment dans une pratique à partir du moment où on l'apprécie.
Typiquement, à notre table, Gaël, Mélanie et moi n'avons aucun tabou. Pas de façon générale et avec tout le monde, mais entre nous, on peut faire des descriptions de scènes de sexe, raconter les pires horreurs, on sait que les autres ne vont pas réagir de façon déplacée et qu'ils auront même tendance à apprécier ça.
Pour moi, c'est comme l'argent dans le poker : ça enrichit l'expérience d'enjeux réels (c'est-à-dire d'enjeux sociaux entre personnes réelles, en quelque sorte).
Franchement, on à rarement ressenti du malaise dans nos parties (sauf à Vampires de Victor Gijsbers, mais c'était parce qu'on a cherché à pousser la logique du jeu le plus loin possible et parce que c'était artificiel). On est plutôt décontractés sur ces plans-là. Et puis, je fanfaronne avec nos descriptions pornographiques, mais c'était plutôt gentillet au final et parfaitement inclus dans les thématiques et des enjeux intéressants pour l'histoire.
De plus, comme pour Les Cordes Sensibles, les joueurs restent maîtres de ce qui concerne leur personnage, on n'est pas dans une relation d'autorité (contrairement à certaines pratiques plus traditionnelles), on est à peu près sur un pied d'égalité. Donc on risque peu de se voir imposer quelque chose qui nous met en difficulté (d'autant plus si le contrat social est clair, j'en reparle plus bas).
Je n'ai pas trouvé de moyens de faire passer outre un joueur ses difficultés vis à vis d'une de ces exigences. Je crois qu'il vaut mieux orienter sa pratique vers l'une des autres exigences si l'on veut continuer de jouer avec cette personne.
Après, sur le plan strictement commercial, je crois que Mélanie ne devrait tout simplement pas se poser la question : ça rebutera probablement une partie du public, mais ce sera au contraire un motif d'intérêt pour d'autres. Chaque jeu a son cœur de cible et ce serait dommage de ne pas publier un jeu parce qu'il ne correspond pas aux attentes supposées du plus grand nombre (si pour 10 personnes, c'est l'extase absolue, pourquoi les en priver ? Si Mélanie me disait : non, je ne vais pas publier mon jeu, parce que ça ne plaira pas à suffisamment de monde, je lui dirais : OK, vends-moi ses droits pour que je puisse le publier et y jouer, ce serait tellement dommage que ce jeu soit avorté ou de l'adoucir pour de telles raisons. J'aime tellement ce jeu en l'état... c'est comme si on supprimait toutes les copies d'un de mes films préférés pour que personne ne puisse plus jamais le voir). T_T
De plus, des jeux comme Dogs in the Vineyard, Apocalypse World, Breaking the Ice... nous montrent que c'est une erreur de croire qu'un JdR doit aborder certains thèmes et pas d'autres pour avoir un succès commercial.
Après, le jeu de Mélanie a probablement une vraie marge de manœuvre côté violence et sexualité. On doit pouvoir éviter certains sujets s'ils nous dérangent et établir qu'il peut y avoir du sexe et de la violence sans pour autant raconter ces moments (voir les démarches sociales ainsi que les lignes et les voiles :
http://www.limbicsystemsjdr.com/un-contrat-social-sain/). Je fais généralement confiance aux gens pour se protéger quand ils sont en difficulté dans une activité sociale (quitter la partie, se taire, tourner son attention vers la boîte de cookies, déconner, digresser, etc.), surtout quand on joue entre adultes consentants. Parfois, en asso ou en convention on tombe sur des personnes avec qui ce n'est pas le cas, mais c'est sans doute le mauvais endroit pour jouer à ce genre de jeux. c'est clairement fait pour jouer avec des gens avec qui on n'a pas peur de se livrer.