Fabien n'avait pas lu le jeu, je lui avait juste demander de m'envoyer 5 photos en citant le texte concerné.
Chaque joueur sélectionne secrètement cinq photos – imprimées, numériques ou cartes postales – qui l’interpellent et les met de côté. Parmi ces images, il faut que soient représentés au moins un lieu, un objet et une activité. En revanche, aucun portrait ne peut être inclus. Le quotidien dans son désordre est plus adéquat que les sujets extraordinaires bien mis en scène. Mieux vaut éviter les séries, d’un même auteur ou d’un même thème.
Je n'ai pas l'habitude de la photographie, qui ne documente que très rarement mon existence, et je suis donc allé trouver des photos sur le net (un parc, une galerie de musée, une voiture, une image du quartier d'affaire de la défense). Fabien m'avait envoyé 5 images de sa collection personnelle (chambre d'étudiant, plat qu'il apprécie, photo d'un couple sur une balançoire, photo du Népal et la photo d'un bâtiment détruit).
On décide de jouer un couple hétéro, je serai une femme, lui un homme. On ne donne pas de nom à nos personnages (comme dans l'exemple de partie).
Elle :
*Aime les films au romantisme outré
*Aime s'habiller dans un mélange de couleurs détonnant
*Déteste les gens qui ne parlent que de leur métier
Il:
*Déteste être dans la foule, s'y sent anonyme et délaissé
*Aime être ivre et boire comme un trou
*Aime beaucoup les animaux et ils le lui rendent bien
1) La lecture des rêves
On avait imprimé les règles en format brochure et à l'envers. C'était évidemment un peu de notre faute (la mienne en fait) si le format était peu pratique mais même en remettant mentalement les pages en place on ne comprend pas comme c'est sensé être utilisé. Vu le nombre de pages ce n'est évidemment pas bien grave. Fabien parvient à comprendre le jeu en moins d'une dizaine de minutes, sans devoir lire l'exemple de partie (je l'avais lu mais je n'ai pas eu à lui expliquer quoi que ce soit).
2) La scène de rencontre
Fabien propose une scène entre amis, j'accepte.
Je suis seul sur un canapé, me tenant à l'écart d'une conversation inintéressante. Mes vêtements semblent moins timides que moi.
Il s'approche et se met à l'autre bout du canapé. Il est un peu pété. Ça m'amuse, je passe le bras derrière lui et frappe sur l'épaule opposée à moi. Il se retourne et ne comprend pas trop.
Un chat passe, il le prend dans ses bras, je le caresse.
On discute finalement du vin, pur prétexte à engager une conversation. La conversation d'à côté m'énerve, je n'ai pas le temps d'expliquer pourquoi et déjà il m'amène sur le balcon. On ferme la fenêtre pour être seuls.
Le jeu n'est jamais d'une difficulté surhumaine mais c'est finalement la première scène la plus dure à jouer. Je n'ai finalement réussi qu'à mettre en avant un seul de mes traits. Au fond ces traits ne reviendront pas sur le devant de la scène.
3) L'entretien
Je commence avec la photo de la balançoire. C'était notre truc, au début de notre relation, on en faisait parce que le simple plaisir d'être ensemble nous suffisait. Mais même après, on cherchait toujours à en faire, quand on en voyait une et qu'on étaient seuls on allait faire les fous dessus. Quitte parfois à aller dans des squares la nuit en passant par dessus les barrières.
Le médecin me demande ce que j'aimais dans ces moments là.
Je lui réponds que j'aimais la parenthèse qu'ils représentaient, il s'agissait de moments où nous ne réfléchissions pas sur notre couple, ça nous ramenait au plaisir initial d'être ensemble, celui des débuts quand la seule proximité de l'autre suffisait à notre bonheur.
Il me montre une photo de voiture, ma voiture. Il ne m'aimait pas, un écolo comme lui ça l'emmerdait les voitures. Je ne voulais pas en acheter une neuve avec lui. Une fois son chien avait vomit dedans.
Je donne ma vision du souvenir, ses constantes râleries sur ma voiture. Ses "Yaka acheter une autre voiture" jamais suivi d'actes. Il me culpabilisait sur l'empreinte carbone mais quand il fallait faire 500 mètres il était bien content de me dire qu'il voulait y aller avec ma voiture. Genre quand son pauvre bichon était malade et que, "tu comprend on ne peut pas aller à pied chez le vétérinaire qui est à presque un kilomètre".
Je continue avec une photo de sa chambre d'étudiant. Plein de posters de dessins animés, des collections de livres. J'aimais bien son petit univers personnel au début. Sauf que quand je lui ai offert une photo de nous j'aurai bien aimé qu'elle trouve sa place entre Princesse Mononoke et ses bouquins.
Il reprend le souvenir et explique que s'il n'accrochait pas ma photo c'était par peur de l'user.
Il montre la photo de l'orgue. Quand j'en jouais cela transportait son âme, il ne m'aimait jamais autant qu'à ces moments là. Mais j'avais l'air toujours anxieuse de jouer devant lui.
J'explique que, alors que j'avais joué dans des orchestre, jamais je ne ressentais autant le tract que quand j'allais dans des églises vides, jouer pour lui. Mais j'aimais ce tract et j'aimais voir son amour après ma prestation. Paradoxe du sentiment amoureux, pesant, intimidant, étouffant parfois mais aussi réconfortant.
Je montre une photo d'un plat. Comme il aimait le préparer.
Ce n'était pas mauvais et j'étais content la première fois qu'il me l'a préparé. Mais j'ai commencé à me lasser, plus vite que lui, il le refaisait à chacune de nos rencontres. Ça a fini par provoquer une engueulade. C'est un peu bête de s’engueuler pour ça.
Il accepte le souvenir.
Il montre la photo du quartier d'affaire de la défense. Un problème entre nous c'était mes parents, banquiers d'affaire, très tradi. J'avais beau être de tempérament un peu rebelle et le défendre, ils ne l'aimaient pas.
En même temps je pense que ses parents étaient pas mieux, caricatures de la noblesse universitaire. Si vraiment on veut faire nos bourdieusiens de service nos deux familles sont très typées niveau distinction, au mien la distinction par l'argent aux siens la distinction par la culture. D'ailleurs le fait qu'il ait intégré une grande école ne trompe pas vraiment, c'est un héritier comme moi.
Je montre la photo du Népal. On avait tellement préparé ce voyage, j'étais anxieuse, il était après tout plus voyageur que moi. Quel fiasco mais quel fiasco, j'ai passé 3 semaines avec une gastro monumental. Il a pris soin de moi mais je lui ai gâché ses vacances.
Il était gêné par ma gêne, il comprenait très bien que je sois malade. Je n'étais ni la première, ni la dernière à qui cela arriverait. Ça ne le gênait pas de rester avec moi.
Il montre la photo du musée. Le louvre. Il avoue qu'il avait été insupportable lors de nos visite, pédant, à toujours vouloir m'exposer son savoir. Il le regrette, c'est quelque chose que nous aurions pu partagé s'il avait su se montrer plus humble.
De mon côté, après notre rupture, je suis revenu -seule- dans le musée. J'avais l'impression d'entendre sa voix, comme une guide mentale. Au lieu de m'irriter j'ai apprécié cette visite accompagnée par son souvenir.
4) La conclusion
Fabien décide qu'il se souvient de l'orgue et du Népal. Cela lui évoque les endroits importants où nous sommes allés.
Pour moi c'est le musée et l'orgue qui me marquent. Ils m'évoquent l'importance et l'ambivalence des sentiments que j'éprouve pour lui.
Notre première scène, décidons-nous, est notre première rencontre. Mais nous reprendrons contact, il ne pourra après tout pas s'empêcher de hanter les endroits où je joue de l'orgue et moi de sentir mon cœur battre la chamade en sa présence.
5) Le verdict
Passons aux choses sérieuses !
Premier commentaire sur la durée de la partie : probablement moins de 20 minutes.
Fabien cherche la synesthésie dans votre jeu, pour ma part je la trouve en me rendant compte qu'il m'arrive de défendre mon personnage en répondant à ses souvenirs et -alors que je créé des frictions en début de partie- de ménager des beaux instants à notre couple.
Difficile même dans la foulée de notre partie de voir ce qui motive nos choix, nous terminons la partie en ayant l'impression d'avoir discuté avec un ami d'une relation que nous avons vraiment vécu (nous parlions de l'autre à la troisième personne et malgré ce troublant sentiment de réalité de la relation, jamais je n'ai eu l'impression de la vivre avec Fabien). Impression accentuée par le fait de commenter, en tant que joueurs, les événements ("ça ça m'est déjà arrivé", "j'ai déjà ressenti ce que ressent ton personnage",...). Entrer dans les détails de notre conversation serait d'ailleurs impudique, il s'agissait à la fois d'une partie de JDR et d'une conversation entre deux amis.
Même quelques heures après, il y a quelque chose qui me reste de cette partie. Des souvenirs d'une histoire intime que je n'ai pas vécu mais dont j'ai discuté avec Fabien. Notons d'ailleurs que, malgré la courte durée de la partie, il m'aurait semblé complètement incongru d'enchainer sur une deuxième.