[Inflorenza Minima] Rapport de parties

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[Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Valentin T. » 05 Juin 2016, 17:05

Inflorenza Minima est le jeu auquel j'ai le plus joué ces derniers mois. C'est un jeu qui me fascine, pour tout un tas de raisons. Ce qui va suivre est subjectif, bien entendu, et je serai ravis d'en discuter avec vous si vous le souhaitez. Ce texte est ma façon de faire un rapport de partie: jouer massivement à un jeu.
Je suis une quiche en orthographe, désolé d'avance.


La quintessence du jeu moral

Inflorenza Minima n'est pas Inflorenza. L'expérience de jeu est différente, car Minima est entièrement tourné vers le jeu moral. Qu'est-ce que le jeu moral ? Un type de jeu de rôle dont le plaisir principal du joueur vient de sa confrontation avec des dilemmes mettant en balance plusieurs de ses attaches émotionnelles. On se retrouve par exemple à devoir choisir entre sa propre vie et l'accomplissement d'un idéal, ou entre le souvenir d'un être aimé, et l'amour de celui-ci. Il n'y a rien de stratégique ou d'esthétique : on a plaisir à devoir faire des choix impossibles, et à jouer les conséquences de ces choix. Le jeu moral pourrait être associé à une facette du jeu narrativiste en théorie GNS.

Inflorenza Minima est la réponse de Thomas Munier à la question : « Qu'est-ce qu'un jeu de rôle narrativiste intense ? ». Autrement dit : « Quelles sont les caractéristiques nécessaires et suffisantes pour produire une partie de jeu de rôle moral très prenante ? »

Le jeu est globalement découpé en Essentiels / Options et Conflits avancés / Conseils. La partie Essentiels est le cœur du jeu, celui qui est nécessaire et suffisant. Les Options et Conflits avancés permettent d'avoir une expérience plus confortable et plus riche. Les Conseils permettent à la confidente de savoir comment animer une partie, rebondir, improviser, et étendre le jeu.

Un jeu qui nécessite un apprentissage


Le jeu ne demande ni préparation ni matériel (papier, crayon ou dés, bien que je recommande personnellement à la confidente de s'autoriser à prendre des notes). Beaucoup d'éléments reposent sur la confidente, et il est assez difficile pour elle de bien retenir l'ensemble des conseils de jeu à la lecture. Heureusement, ceux-ci sont hiérarchisés, il est donc possible d'apprendre le jeu au fur et à mesure des parties, et de bien comprendre quels sont les plus importants.

C'est quelque chose qui est rédhibitoire pour moi : devoir apprendre à jouer à un jeu avant d'avoir l'assurance d'une expérience satisfaisante. C'est une des raisons qui m'a fait quitter le jeu de rôle classique… Mais étant donné les émotions permises par le jeu et sa facilité de mise en place, je passe l'éponge pour Minima.

En effet, l'apprentissage nécessaire est largement simplifié par l'absence totale de matériel. Il m'a été possible de jouer au cours d'une discussion avec un ami, ou avec un inconnu pendant un voyage en train. L'accessibilité est totale, l'émotion émerge très vite, et le jeu est optimal en One-Shot, d'où mon grand nombre de parties récentes. Le jeu demande donc de l'entraînement, mais il est en contrepartie très simple de s'entraîner. De plus, pour apprendre, je pense que les podcasts de Thomas Munier sont des ressources précieuses afin de disposer d'exemples d'applications des règles.

Minima supporte également très bien la tradition orale. Il m'a été donné à de nombreuses reprise de jouer une partie en tant que confident, puis d'inverser les rôles avec un des joueurs après un petit briefing.

L'école du jeu moral

Étant donné que la plupart des éléments du système sont sous forme de conseils à la confidente, il est très facile de comprendre quels sont les effets des éléments du jeu. Par exemple, le jeu conseille de décrire les émotions des figurants, et on comprend bien en jouant que cette règle décuple l'empathie des joueurs et leur attachement. Jouer à Inflorenza Minima m'a plus aidé à comprendre le narrativisme et ses mécanismes que l'ensemble des articles que j'ai pu lire sur Internet.

Conclusion

Après avoir beaucoup joué à Minima, en tant que confident ou joueur, je ne sais plus quoi en penser. Est-ce un joyau de jeu moral ? Est-ce un jeu incomplet qui demande une confidente de qualité ? Tout ce que je sais, c'est qu'il m'a bien plus apporté (émotionnellement et intellectuellement) qu'un bon paquet d'autres jeux modernes...

Sujet ouvert à la discussion, bien entendu!

Ah oui, et n'hésitez pas à me contacter pour qu'on se fasse une partie ! :)
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Thomas Munier » 05 Juin 2016, 18:23

Un grand merci pour ce retour d'expérience !

J'espère que ce sera l'occasion d'échanger sur Inflorenza Minima, et aussi sur ce qui compose le jeu moral et comment le faciliter !

Pour information, le jeu peut se prêter à la campagne, mais personnellement j'ai besoin d'ajouter un gros contexte, une création de personnage très détaillée, et des règles additionnelles pour y parvenir. C'est ce que je fais avec Arbre, Odysséa et Les Sels de Millevaux (un jeu de Yoann Calamai, en développement, campagne enregistrée sur ma chaîne youtube)

Sur la définition fluctuante du terme "narrativisme", un article que j'aime bien, parce que je me suis beaucoup aligné dessus pour concevoir Inflorenza Minima. C'est cette façon de jouer que je qualifie de jeu moral :

Un petit retour sur le Narrativisme par Frédéric Sintes, sur Limbic Systems
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Valentin T. » 08 Août 2016, 16:23

J'ai été confronté à un problème récurrent, celui d'avoir l'impression d'imposer des péages en tant que confident. En effet, quand un personnage tente de se rapprocher de sa quête, lui demander un prix à payer peut poser problème: soit il le paye et il obtient ce qu'il souhaite, soit il ne le paye pas et rien ne se passe. Dans le deuxième cas, le joueur se retrouve à devoir trouver une autre solution pour avancer dans sa quête, et cela génère parfois de la frustration et une baisse de la motivation. La balance n'est pas équitable: le fait de faire avancer l'histoire ou non rentre en interférence. C'est le problème le plus délicat que j'ai du surmonter, et je n'ai pas trouvé d'autre solution que de patcher le jeu.

Après tests, le patch suivant fonctionne particulièrement bien avec moi. Il différencie trois cas, lorsqu'un personnage tente de:

- résoudre un problème sans rapport avec sa quête.
Annoncer un prix à payer comme d'habitude.

- se rapprocher de la réalisation de sa quête.
Annoncer deux prix à payer distincts, deux manière d'avancer dans la réalisation de la quête. Ils doivent être également repoussants, mais être acceptable par rapport à l'action entreprise pour réaliser la quête.

- réaliser sa quête.
Annoncer un prix à payer comme d'habitude.

L'idée de ce patch, c'est que quoiqu'il arrive, l'histoire continue d'avancer, continue de rebondir. Le meneur peut bombarder les personnage de prix à payer et faire s'enchaîner les problèmes, qui demanderont des sacrifices à leur tour... Avec cette méthode, le jeu est beaucoup plus fluide pour moi et beaucoup plus simple à mener. On peut faire effet boule de neige, d'autant plus si l'on note chaque prix payé et que l'on joue les conséquence (même plus tard dans la partie).

Le prix à payer pour réaliser la quête est souvent plus intense, car la confidente est très bien informé de ce qui compte pour le personnage à ce stade.

Voilà, mes two cents :)
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Thomas Munier » 10 Août 2016, 15:04

Oui, c'est une idée très intéressante ! J'ai le sentiment de l'appliquer aussi, surtout en campagne ou en partie longue, sans l'avoir beaucoup formalisé.
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Thomas Munier » 13 Août 2016, 16:33

Des remarques qui me viennent avec le recul :

A. Le mécanisme de base du prix à payer repose sur la conviction que le renoncement reste une alternative ludique intéressante, du moins dans le cadre du jeu moral.

B. La solution que tu proposes Valentin (le choix entre deux solutions cruelles plutôt que le choix entre le renoncement et le prix à payer) me rappelle la complexité des options au début du développement d'Inflorenza Minima, comme par exemple dans ce compte-rendu : La Carlingue.
Une seule personne dans le conflit donne un choix entre risque+pouvoir ou forfait+fortune ou gain+sacrifice, chacune de ses options devant être énoncée à l'avance par le Confident. Si quelqu'un aide dans le conflit, on rajoute un gain+sacrifice pour l'assistant dans la grille de choix.
Par exemple, pour le conflit contre la Sirhaine, le joueur de Jaan devait choisir entre ses trois options :
1° Jaan et Dimitri tuent la sirène mais du coup Jaan ne ne reverra pas sa femme
2° Jaan et Dimitri tuent la sirène mais Dimitri sera mis au ban des Liquidateurs pour complicité dans le tatouage.
3° La sirène mange le bras de Poudre et dit à Jaan où trouver ta femme
4° Jaan et Dimitri mettent en fuite la sirène et Jaan ne saura jamais où retrouver sa femme.
Le pire, c'est que le joueur de Jaan a finalement proposé une autre option :
5° Jaan se laisse manger le bras par la Sirène pour épargner Poudre, et la sirène lui dit où trouver sa femme.


Les tests m'ont conduit à raffiner la résolution jusqu'à ce choix entre renoncement et prix à payer, pour des raisons de fluidité.

C. Mais avec l'expérience et la durée de jeu, chaque Confidente a raison de se sentir invitée à assouplir la formule, à la complexifier. Par exemple, dans ce compte-rendu, Le Convent de Prague, on a une fractale de prix à payer : un prix à payer pour obtenir ce qui est nécessaire pour obtenir ce qui est nécessaire pour obtenir ce qui est nécessaire pour arriver à ses fins. En règle générale, j'ai pas mal jonglé avec le système dans la campagne des Sels de Millevaux.
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Valentin T. » 18 Août 2016, 02:57

Ces remarques m'ont donné à réfléchir, et après un test récent je me suis rendu compte d'une particularité du jeu moral.
La mécanique de base de Minima est une alternative du type:

1. Avancer en direction de la quête et payer le prix
VS
2. Renoncer à la quête pour ne pas avoir à en payer le prix

Comme Thomas le dis en A, ce schéma présuppose que l'option 2 est valable. Ce qu'il dit en C indique que le renoncement n'est pas tout le temps valable lorsque l'on commence à construire une quête dans la durée (d'où le raffinement que je propose ou les techniques des Sels de Millevaux). Dans les jeux moraux que je connais, on est souvent dans une structure de type Minima:
- Mais seulement si de Polaris
- Séduire ou Manipuler d'Apocalypse World
- Les Sacrifices de Démiurges
- Escalader à Dogs in the Vineyards


Mais on pourrait généraliser la formule proposée et considérer le jeu moral comme une structure de type:

1. Option indésirable
VS
2. Autre option indésirable

J'ai le sentiment que cette structure générique est relativement sous-exploitée en JdR, et que l'on retombe souvent dans le premier type de structure. Il y a néanmoins quelques jeux qui adoptent la seconde structure sans utiliser la première:
- La répartition des dés à Bliss Stage
- Le choix final de Les Petites Choses Oubliées
- Les "Choix Difficiles" d'Agir face au danger d'Apocalypse World (très dépendant de la situation)
- Les choix fictionnels face aux rencontres "compliquées" à Démiurge (pas sûr pour celui-là, mais j'y crois)

Personnellement, il se trouve que je suis beaucoup plus sensible émotionnellement aux choix issus la seconde structure. D'après-moi, la première souffre d'un double problème.
a. Un problème d'engagement (commitment en anglais). Le principe est le suivant: étant donné que j'ai annoncé socialement vouloir A, j'ai maintenant plus de mal à y renoncer quand on m'en donne le choix (par dissonance cognitive). Cette tension m'amène à ne plus considérer de manière symétrique les deux options, et à plutôt pencher pour l'option 1: avancer en direction de la quête et payer le prix. C'est d'ailleurs ce que je remarque pendant mes parties de Minima: le renoncement est très rare, malgré des prix à payer très élevés.
b. Un problème d'évitement du vide. J'en ai déjà parlé dans un post plus haut, mais le renoncement est parfois synonyme de creux dans la partie. Je sais que cette caractéristique a beaucoup d'influence sur moi: je choisis bien plus souvent l'option du prix à payer car j'ai envie de voir ce qui va arriver plutôt que de renoncer. Je passe en jeu esthétique, et l'émotion est bien moins forte.


Du coup, je me rend compte que le patch que je propose est une manière de passer de la structure de Minima classique à la seconde structure. On ne fait que des alternatives d'égales mesures, jusqu'au choix final qui est aussi une alternative d'égales mesures puisque l'arc de la quête se termine de toutes façons.

Si cela vous inspire des remarques, vous êtes les bienvenus. De plus, si vous connaissez des mécaniques et/ou des que vous jugez efficaces et qui adoptent la seconde structure, je suis avidement preneur!
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Thomas Munier » 19 Août 2016, 15:52

Tu noteras qu'on peut aussi formuler l'option 2 par deux choix desirables, comme lors de notre partie de marchebranche, ou ton personnage devait choisir entre son amoureuse amnesique et son double horla. Marchebranche est d'ailleurs axé sur les choix de priorités avec le principe de devoir choisir entre plusieurs missions
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Valentin T. » 22 Août 2016, 00:05

Oui effectivement, mais j'ai remarqué que je suis bien plus sensible aux alternatives qui imposent des contreparties indésirables qu'aux alternatives qui proposent deux situations souhaitables. Dans la partie de Marchebranche, j'ai eu le sentiment que chaque option impliquait d'abandonner quelque chose, et c'est ce point qui a été le plus émouvant pour moi.

A la suite de l'Incarnation n°5, nous avons beaucoup parlé de jeu moral. J'ai un projet en développement basé dessus, et Simon est en train de finaliser son jeu Terres de Sang. A la suite de quelques tests, nous avons dégagé plusieurs points que je re-détaille ici à la demande de Simon.

  • La forme générale d'un choix moral est:
    Option 1 VS Option 2
    Le joueur doit choisir quelle option il adopte pour son personnage, sachant qu'aucune n'est meilleure qu'une autre.
  • En pratique, cette formule peut être jouée de nombreuses façons. Ici, A et B sont deux attaches différentes du personnage, ou deux facettes de la même attache:
    - Continuer à avancer en payant un prix VS Renoncer à sa quête (Conflit Simple d'Inflorenza Minima)
    - Conserver A sans pouvoir en profiter VS Abandonner A
    - Obtenir A mais renoncer à B VS Obtenir B mais renoncer à A
    - Perdre A VS Perdre B
    - ... (la liste peut s'étendre)
  • Il y a des règles importantes à respecter pour s'assurer de la puissance du choix moral:
    - Il faut tout faire pour connaître ce qui est important pour le joueur, et non pour le personnage
    - Il ne faut pas déposséder un joueur des pensées de son personnage
    - Il faudrait proposer un choix le plus éclairé possible
    - L'incertitude fictionnelle des conséquences d'un choix n'est pas un problème si elle est présentée comme telle
  • Il est beaucoup plus acceptable d'avoir à faire un choix moral lorsque l'on doit surmonter un problème présent au préalable dans la fiction que lorsque l'on doit surmonter un problème placé par le meneur à dessein. (Ce point est celui que je trouve le plus intéressant!)
  • On peut envisager le jeu moral comme Option 1 VS Option 2 VS Option 3 etc... à la manière des missions de Marchebranche.
Si vous voulez des précisions ou si vous voulez en discuter, je suis à votre disposition!
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Thomas Munier » 24 Août 2016, 12:05

Très cool ! Rappelons-nous également que le jeu moral, en plus d'être un jeu sur le choix entre plusieurs priorités, est aussi un jeu de positionnement et de jugement moral.
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Re: [Inflorenza Minima] Rapport de parties

Message par Thomas Munier » 29 Août 2016, 22:09

Je me permets un rappel, peut-être hors-sujet :

Dans Inflorenza Minima, la joueuse peut toujours proposer un prix à payer alternatif à la Confidente. S'en rappeler est important pour comprendre la dimension des choix et des prises d'initiatives qui sont laissées à la joueuse par les règles.
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