En l'absence de charte précisant les contours de tes sous-forums, je me permets de me poser ici pour ouvrir mon sujet sur l'horreur.
Il fait suite au
podcast que tu as enregistré avec Romaric et Flavie sur ton jeu, S’Échapper des Faubourgs. Vous y concluiez que l'horreur en JDR ne pouvait être qu'externe, amenée par les autres joueurs. L'idée étant qu'un joueur ne peut pas avoir peur des éléments qu'il a lui même créé. Cela implique notamment pour toi que l'on ne joue plus à un JDR horrifique quand on joue un bourreau et non une victime.
Pour ma part je n'en crois rien, je pense que l'horreur gagne au contraire à être pensée comme un processus frankensteinien. Ce qui, moi, peut m'inquiéter en JDR c'est la confrontation avec mes propres créations narratives. Écouter les apports des autres joueurs ne suffit pas.
Du coup je vais donner trois exemples de ces processus d'horreur interne et les expliquer.
Exemple 1 : Unknown Armies
Il s'agit d'un jeu traditionnel et j'étais le MJ. Cela m'amenait à incarner un PNJ, le Marchand, qui était le méchant de mon scénario. Un marchand occulte sans scrupule, caricature du commercial bien habillé, calculateur et ex-étudiant en école de commerce. Un homme ne pensant qu'en termes de bénéfices, de flux financiers et de plus-values.
Il s'agissait de plus d'un homme extrêmement vulgaire, et je m'amusais régulièrement à mettre des expressions particulièrement graphiques dans sa bouche. Cela participait à en faire un personnage à la fois assez détestable et en même temps produisant un effet comique à ma table.
Mon scénario tournait autour d'un artefact que les PJs cherchaient à récupérer lors d'une vente aux enchères organisée par le Marchand. On pouvait payer en dollars, en euros ou en années de vie. Dans les acheteurs potentiel se trouvaient le père d'une petite fille malade qui avait besoin de l'artefact pour survivre.
Les enchères montent petit à petit, et finalement le père ne parvient plus à suivre en se contentant de mettre des euros sur la table. Il continue malgré tout à faire monter les enchères : "20 ans de vie !".
Là mon personnage de Marchand lui répond sur un ton ricaneur un très violent : "Vous croyez vraiment avoir 20 ans de vie devant vous ?". Plusieurs années après je me souviens encore avec un petit frisson de cette scène, même en tant que MJ je me souviens avoir soudainement haï ce personnage.
Ce qui fonctionnait pour moi c'était cet effet frankensteinien, mon PNJ m'échappait, lui qui n'était qu'un méchant cynique et assez drôle dans ses excès, devenait soudainement un monstre. Je n'avais pas planifié cet effet en lâchant ma phrase lapidaire mais cette dernière était d'une implacable cohérence, elle était la suite logique de la scène.
Ici l'horreur vient du fait qu'entre un personnage comique et un monstre de cynisme il n'y a que quelques pas logiques à faire. On créé un personnage que l'on pense maîtriser et, après quelques micro-décisions cohérentes concernant son comportement, on se rend compte que notre personnage n'est plus tel que nous l'avions conçu.
Exemple 2 : Perdus sous la pluie
J'ai déjà fait un
CR de la partie (qui correspond à une date en terme d'horreur rôlistique pour moi). Le contexte c'est un groupe d'enfants perdus dans une ville abandonné et attaqués par des créateurs monstrueuses.
Nos personnages sont dans une boulangerie abandonnée et j'ai expliqué que mon personnage vole des bonbons. Je fais par la suite apparaître un monstre, un boulanger obèse, sans jambes apparentes, qui se déplace en tirant son corps avec ses bras.
Nos enfants fuient.
Une joueuse reprend la main dans la narration et décide que le monstre nous repère à l'odeur des bonbons, il repère quelques traces de sucres à la commissure de mes lèvres et rampe vers moi.
Deuxième effet frankensteinien mais ici avec rebond. Si ma créature m'échappe c'est parce qu'une autre joueuse a surenchéri. L'horreur racontée a une vie propre, tout ce que l'on peut apporter à la fiction peut nous revenir à la figure et nous dévorer.
Efficacité maximum pour ma part.
Exemple 3 : Phase Terminale
Un JDR de Fabien où l'on incarne des individus touchés par une grave maladie dans un Paris mis sous quarantaine.
La maladie a des symptôme particulièrement horribles. J'en cite un : la peau sous les aisselles commence à partir en lambeaux.
Je suis amené à décrire ma réaction aux symptômes, je raconte comment je me gratte les aisselles, mes doigts commençant à plonger sous ma peau, je sens que si je les retire je vais commencer à me vider. Fabien surenchéri et ajoute que le liquide qui sort est gluant et orangeâtre.
Description très efficace, à la fois pour le jeu de ping-pong entre moi et Fabien, ce dernier ne me laissant pas le luxe de décrire seul et donc de contrôler ma description. Et surtout parce que décrire me force à une visualisation de symptômes qui n'étaient jusque là que des mots, en prenant la parole je passe de la seule oralité au visuel.