Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

De la gibecière des grands Veneurs et des milles et milles merveilles qui inspirent iceux.

Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Luke » 14 Jan 2015, 16:56

Évolution du danger du jeu de rôle avec le partage de responsabilité narrative.

Avant propos
Le post qui va suivre n'a pas pour but de déterminer si oui ou non le jeu de rôle est dangereux. C'est un autre débat qui est bien trop polémique pour ce lieux il me semble. Non, je pars du postulat qu'il y a un danger et j'ouvre le débat pour discuter de l'évolution de ce danger du fait des jeux où la responsabilité créative est partagée avec les joueurs.

Propos

Je fais du jeu de rôle depuis… ça me fait mal de compter, mais c’est une époque où il n’existait que D&D. Je vous laisse faire le calcul. Toujours est-il que depuis mes premières parties de cet ancêtre j’ai été conquis par cette discipline qui consistait à résoudre les problèmes posé par le maître du jeu. Il nous posait un donjon et nous à coup de dés on tachait d’en venir à bout en cherchant à être le plus malin possible. Plus tard, j’ai vite été frustré par le manque d’apport créatif du joueur (autre qu’une belle description de l’action conditionnée par le jet de dé), j’ai donc opté pour le rôle de MJ. Je vous passe mon parcours exhaustif, ce n’est pas le propos.

Suite à une dépression, d’origine extérieure au jdr je précise, je me suis penché sur mon hobby préféré et j’ai identifié un problème récurrent dû à la pratique en tant que joueur. Le fameux danger du jeu de rôle dont je parle plus haut. Notez que je parle ici des jdr dis « traditionnels ». Je ne connaissais pas encore l’existence du partage de responsabilité narrative.

Donc, un joueur de jdr fais vivre son personnage, il l’incarne, s’immerge dans sa peau pour vivre à travers lui. En tous cas c’est comme ça que je pratique. Il lui fait donc faire des actions, résoudre des problèmes, accomplir des taches plus ou moins ardues. Mais à aucun moment, puisque c’est autour d’une table et avec des dés, il ne paye le prix physique de son action. Pour accomplir quoi que ce soit en jdr il lui fallait juste, déclarer son intention, jeter un dé et écouter le MJ décrire la scène. Hors une fois revenu dans le monde réel, un fossé s’était creusé et tout ce qu’il cherchait à entreprendre devenait soudain dur et rébarbatif comparé à ce qu’il venais de vivre avec ses personnages.

Voilà donc le danger que j’ai identifié. Un joueur peut être découragé de la vie réelle parce qu’elle lui semble trop dure comparée à cette vie simulée qu’il vit en jdr. l’immersion d’un jdr rendant cette problématique plus intense que dans d’autre media (ciné, jeux videos).
On risque donc un repli sur soi, une aggravation de dépression, etc.

Une fois que j’ai eu identifié ce danger, j’y ai fait attention et j’ai continué ma pratique sereinement. Rien n’est exempt de danger, surtout pas les choses qui procurent du plaisir. En avoir conscience c’est avant tout apprendre à s’en protéger. Mais je diverge.

J’ai découvert il y a un ou deux ans le partage de narration, alors que j’avais plus ou moins abandonné le jdr, pas assez de temps pour maîtriser correctement et jouer aux jeux dit "traditionnel" m’ennuyait un peu. Et la elbj m’a parlé un soir du GNS et m’a envoyé sur PTBPTG ou j’ai commencé à lire les traductions de The Forge. J’ai ensuite découvert la Cellule et Frédéric Sintes à qui j’ai acheté Prosopopée. Ce fut une révélation pour moi qui n’avait jamais connu que le jdr à sens unique. J’étais accroché.

Peu après, j’ai ouvert Apocalypse World de Vincent Baker. J’ai été plus que conquis juste à la lecture, je lisais les règles que mon groupe de jdr utilisait à moitié sans le savoir. Je venais de réaliser que le système à son importance et que surtout on pouvait avoir un système de résolution qui supportait le propos… Mais je m’égare sur mon épiphanie tardive.
C’est ensuite que je me suis plongé plus profondément dans le game design et que je me suis mis à lire tout ce qui me tombait sous la main. Et au détour d’une discussion avec elbj, je me suis rappelé de mon vieux démon du jdr, le danger dont je parle plus haut.

Je me suis posé la question suivante : Est-ce que la pratique qui consiste à partager la responsabilité créative d’un jeu de rôle avec les joueurs modifie l’intensité de ce danger ? Est-ce que ça diminue cet effet pervers ?

J’ai réfléchis à deux réponses contradictoires :

Le fait d’engager le joueur dans la création, le place dans une posture différente de la vie réelle. En effet, il n’est plus en réaction des évènements qu’on lui propose mais il a du contrôle sur l’environnement. Cela transforme le jdr en une expérience à part qui ne peut plus être comparé à la vie réelle et qui donc balaye le danger.
L’immersion et l’implication du joueur sont beaucoup plus fortes quand la responsabilité créative est partagée. La tentation de se réfugier dans ce nouvelle univers ou le contrôle est exacerbé est également plus forte.

Je penche personnellement pour la première réponse. L’intensité du jeu ne pouvant pas être vu comme un défaut. J’en viens donc à la conclusion que le développement du partage de responsabilité créative est bénéfique pour notre passion.

Je poste cet article ici pour avoir votre avis sur cette réflexion. Qu’en pensez vous?
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Re: Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Romaric Briand » 14 Jan 2015, 18:58

Je suis d'accord ! Et en plus, sur le papier, il limite les rapports de domination malsains qui peuvent exister entre un meneur et ses joueurs (notez déjà comme cet occurrence de "ses" est malsaine). Je t'invite à lire cet article qui présente, en gros, ma vision des choses sur ce point : http://leblogdesens.blogspot.fr/2013/03/le-systeme-du-jeu-de-role.html

Tu peux retrouver cet article, revu et corriger, dans le Maelstrom pour la modique somme de...

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Re: Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Frédéric » 14 Jan 2015, 19:41

Hum, c'est une question très épineuse que tu nous poses là Luke. Je vais me contenter de témoigner au sujet de ma propre expérience.

Depuis que je joue à des jeux indés (des scènes de The Forge, Silentdrift et les Ateliers Imaginaires), j'ai complètement abandonné la posture "le joueur est son personnage et le personnage est le joueur" pour une plus orientée "le joueur défend les intérêts de son personnage, mais on fait très bien la différence entre les deux".
Mes pratiques du JdR sont du coup apaisées. Je suis toujours surpris de voir d'ailleurs qu'en convention ou en asso, quand quelqu'un interrompt notre partie, il s'excuse toujours platement [d'interrompre tel un vil parasite la partie sacrée du Dieu MJ], alors que pour moi, c'est toujours "pas de pb, je suis bien content d'avoir un café" ou "pas de pb vous pouvez discuter de qui garde la clef du local pour la semaine prochaine" avec le sourire, décontracté. Et puis je me souviens qu'il n'y a pas si longtemps, j'aurais pesté contre toutes sortes d'interruptions.
Et je suis persuadé que le fait de ne plus être le garant de la qualité de la partie (mais tout le monde et les règles du jeu) fait que je suis beaucoup plus décontracté. De plus, le fait de pouvoir se reposer sur tout le monde et sur de bonnes règles fait que je suis sûr que même si on est tous claqués, la partie tournera.

Tout ça pour dire : de l'implication j'en ai plus que jamais, mais de la pression par contre beaucoup moins. Et surtout, je n'appréhende plus le JdR sous un angle "sacré" ou "mystique" ou dans une exigence d'immersion absolue et contrainte.
Et je m'éclate beaucoup plus, autant en tant que MJ que joueur. Mais c'est tout à fait personnel.


L'autre point, c'est que les questions de "facilité d'obtenir quelque chose" sont assez différentes par rapport au JdR tradi : le type de mécaniques qu'on utilise le plus fonctionnent comme ça : tu peux obtenir A, si tu sacrifies B. Et tout ce qui ne constitue pas un conflit majeur (cad souvent contre un PNJ), on s'en balance.
Tandis qu'en JdR tradi on a plus tendance à mettre à l'épreuve toutes sortes d'actions (selon la sensibilité du MJ).

Je rejoins Romaric sur la relation MJ-Joueur. Je me rends compte que par exemple on joue (souvent) des histoires d'amour à nos tables et qu'elles sont beaucoup plus saines que quand je jouais en JdR tradi, parce que les participants sont davantage sur un pied d'égalité, il n'y a plus le rapport de force entre MJ et joueurs qui pouvait déteindre sur ce type d'histoires.
Ça me rappelle certaines réactions quand j'ai commencé à parler des Cordes Sensibles sur d'autres forums, où tous les "dangers" qu'envisageaient les rôlistes étaient liés à leur transposition à une pratique tradi des thèmes de LCS, qui n'ont pas cours dans ce jeu étant donné que tout le monde est égal à la table (comme me l'a fait remarquer Fabien) et que chacun garde un certain contrôle sur son propre personnage.

C'est à peu près tout ce que j'ai pu identifier jusque-là pouvant apporter des pistes de réflexion à ton sujet. Après, je ne peux pas savoir si ça te conviendra vraiment à toi.
Ça ne répond probablement pas directement à ta question, mais en même temps elle mériterait une étude psycho-sociale. ^^
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Re: Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Luke » 14 Jan 2015, 21:54

Romaric > J'ai eu la chance de recevoir le Maelstrom pour mon anniversaire (fin d'année dernière). Je le recommande chaudement, il fait gamberger sévèrement.
Je ne trouve pas que le rapport d'un MJ et de sa table soit malsain. Après tout c'est lui le dieu pendant la partie c'est donc effectivement Sa table. Le fait que ça soit malsain dépends de la personalité du MJ. Mais en fait, un jdr qui donne le droit de veto sur tout à un MJ n'est pas forcement une dictature dans les fait. Avoir le droit de veto ne veut pas forcement dire qu'on l'utilise. Donner de la possibilité créative dans un jdr tradi est possible, c'est juste de la volonté du MJ. Mais beaucoup de joueur ne savent pas que partager cette créativité rend le jeu plus sain et plus amusant. A mon avis c'est important de communiquer sur ça. Il faut dire au joueur qui ne veulent pas essayer les jdr à responsabilité créative partagée (il faut vraiment trouver un autre terme...) sous prétexte que "non ce n'est pas du jdr..." (c'est du vecu) qu'il peuvent continuer à jouer à Star wars ou à Vampire ce n'est pas ça qui compte. Reprendre un peu de responsabilité dans la création du jeu c'est possible! surtout dans un jdr tradi qui ne l'explicite pas dans la base. Et une fois qu'il y auront goûter ils viendront tester ce qui se fait ici et la parce qu'il se rendront compte que oui la pratique change un peu mais pour le meilleur.
Mais on me dit dans mon oreillette qu'un jeu devrait sortir cette année, qui illustre exactement ce propos : la reconquête de la responsabilité créative. Mais pas de spoiler... (Non je n'en suis pas l'auteur, je ne suis qu'un étudiant de première année moi :) )

Frédéric > je parle de l'absence de relation physique dans le jdr sur table. Même dans le jdr tradi il peut y avoir des choix cornéliens, car comme le propos est très vague et les règles facultatives, avec un bon MJ et une table adéquate on peut jouer narativiste sans soucis.
je témoigne ici d'un ressentit très fort de découragement devant l'effort, accentué par la pratique du jeu de rôle. Par le fait que tu peux tout accomplir juste avec ta volonté, sans effort réel. Ce n'est pas une généralité, mais c'est un risque, qui pour ma part une fois identifié m'a permit de jouer plus sereinement.
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Re: Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Romaric Briand » 15 Jan 2015, 11:29

Je ne trouve pas que le rapport d'un MJ et de sa table soit malsain.


Je suis d'accord, ce n'est pas essentiellement le cas. ^^ Mais l'absence de règles strictes sur son rôle a pu engendrer des situations épineuses. Si les livres avaient inscrits leurs règles, pour le système de jeu, dés le départ, ces situations épineuses ne ce seraient pas produites ou, en tous cas, lorsqu'elles se seraient produites, nous aurions pu dire "ceci n'est plus du jeu de rôle", c'est du sadisme, ou de l'emprise, ou une secte, etc. en tous cas ce n'est pas dans les règles du jeu. ;)

Je ne réponds pas à Fred parce que je suis totalement d'accord avec lui. Même si, autrefois, j'ai pu soutenir des propos inverses, sur l'immersion notamment. Mais j'ai finalement compris que ma pratique n'était pas forcément celle des autres.
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Re: Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Frédéric » 16 Jan 2015, 02:48

Luke : tu comprends bien que ce que je cherche à identifier, c'est tout ce qui entoure cette question de difficulté ou d'effort à agir et à obtenir ce que l'on souhaite. Je pense avoir bien compris ce dont tu veux parler.
La relation joueur-MJ est complètement liée au sentiment de difficulté/frustration/facilité à obtenir des choses, la mécanique du jeu aussi. Et à ce niveau-là, je ne sais pas du tout si le partage de responsabilités large est meilleur que le partage serré (a priori on fait encore plus facilement ce qu'on veut tant que ce n'est pas un conflit ou une épreuve importante, on limite la frustration due à l'arbitraire des jugements du MJ ou du "passage en force" des éléments du scénario fréquents dans les pratiques plus tradi).
Les questions sur la relation joueur-personnage aussi, et là, le JdR à partage de responsabilité large s'en sort mieux que le partage serré, puisqu'on se décentre plus volontiers du personnage.

Pour tout te dire, je joue une fois par semaine au mieux, donc la pratique du jeu de rôle ne prend pas tant de place que ça (contrairement au jeu vidéo qui peut rapidement occuper de grandes plages horaires quotidiennement). Si la création elle m'occupe l'esprit 24h/24, son processus est souvent complexe, demande beaucoup de travail et me semble externe au problème que tu soulèves.

Si l'on regarde du côté du jeu vidéo, certaines études font le lien entre l'addiction et le rythme de récompense. Les sujets plus sensibles à ce genre d'addictions sont généralement en souffrance dans leur vie quotidienne : études, boulot, vie familiale et le rythme des récompenses fait que la pratique du jeu vidéo sur-stimule les fonctions du plaisir (dopamine). Mais ce n'est vrai qu'en cas de pratique excessive. Voir : http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20 ... logie.html
(pour le rythme des récompenses, je n'arrive pas à retrouver l'article où j'ai lu ça, si je le retrouve je le posterai dans un autre message).

Et pour avoir un peu bossé dans l'industrie, les jeux vidéos sont conçus pour être addictifs. Je ne pense pas, à moins de jouer tous les jours au JdR qu'il y ait quoi que ce soit de comparable.

En revanche, le propos qui suit n'a rien de scientifique, mais j'ai entendu dire (par des personnes du milieu de la psychothérapie/psychiatrie ou par des personnes suivant une thérapie) que le JdR pourrait être une activité problématique, pour des personnes souffrant de certains troubles psychologiques (il n'y a pas d'études sur le sujet, il ne s'agit donc que de préconisations par association avec d'autres activités approchantes, où l'imaginaire prend une part très importante). Donc, à prendre avec des méga-pincettes. Et là, partage de responsabilités large ou serré n'y change sans doute rien.
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Re: Le danger du jeu de rôle et la responsabilité narrative

Message par Schultz (Jérôme S.) » 21 Jan 2015, 00:32

Par rapport au MJ, je pense qu'il/elle est lui/elle-même concerné par la question posée par Luke dès le premier post.
Pour moi, et presque par expérience personnelle, le MJ peut se perdre autant, sinon plus que les joueurs, dans un univers qu'il contrôle et lui permet d'éviter de penser à la réalité.
Du coup je rejoins pas mal d'autres avant moi sur ce fil, pour dire que le partage d'autorité aide à se distancier d'une certaine façon de voir les choses et de voir la chose différemment (est-ce un concept à rapprocher du concept de Fred de la posture d'auteur ? Je pose la question)
Finalement, je me demande si les "rapports malsains entre MJ et joueurs" dont parle Rom' ne viennent pas autant sinon plus du MJ que du comportement des joueurs et de leur soumission présumée. Encore une fois je ne sous-entends rien, c'est une vraie question.

(et attention à sciences&avenir, c'est loin d'être des cadors non plus ;) )
Podcasts amateurs et pleins de spoilers sur Sens : http://desrolistesdanslacave.fr/
Schultz (Jérôme S.)
 
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