J’étais Lui, Gaël était Elle.
Voici ce qu’il s’est passé.
Scène de rencontre :
Pendant un concert, elle voit un type collé entre des chaises empilées et un baffle, les yeux fermés, comme en transe. Elle de son côté se trouve au milieu du pogo. En sortant du pogo, elle lui rentre dedans. Il ouvre les yeux, la voit repartir. Elle s’éloigne et discute avec d’autres personnes. Il décide de traverser le pogo en se faisant bousculer dans tous les sens, l’air de dire “mais qu’est-ce que je fous là”. Puis il finit par la trouver. Ils échangent deux mots, puis il disparaît à travers la masse humaine et revient avec deux bières. Ils discutent encore un peu et puis il lui dit “tu veux voir la mer ?”. Elle semble dubitative. Il la saisit par le poignet et l’emmène sur un escalier métallique jusqu’à une mezzanine d’où ils voient la masse des spectateurs formant une véritable marée.
1e photo : intérieur d’une voiture en marche de nuit.
Lui : Ils partaient en virée le soir sur de longs trajets sur un simple coup de tête. Aller voir des amis à 50km de là. Puis c’est arrivé de moins en moins.
2e photo : vase d'orchidée brisé dans un sac plastique transparent.
Elle : Une fois alors qu’on marchait dans la rue, il portait le vase d’un orchidée, il a réussi à la faire tomber. On s’est disputés assez fort cette fois-là. Mais je pense que je n’étais pas en colère à cause du vase.
Psychotechnicien : D’où venait le vase ?
Elle : Je me souviens du sourire du vendeur qui les a emballées.
3e photo : fête foraine.
Lui : À 40 ans on allait toujours manger une barbapapa et monter dans la grande roue.
Elle : J’y allais pour lui faire plaisir, mais ce n’est plus de notre âge. Je préfèrerais aller à Rome et boire du bon vin.
4e photo : aquarium avec des poissons et des requins.
Elle : ce qui me frappait, c’était son regard d’émerveillement lorsque nous étions dans ce bateau qui permettait de voir la faune sous marine. Il était aussi fasciné par les poissons que par le dispositif du bateau.
5e photo : musée.
Lui : Elle a commencé à m’emmener voir des vieux tableaux de moines vivant dans des grottes. Ça m’a tellement gonflé que j’ai fini par me barrer.
Elle : on a essayé de faire des choses différentes, certaines ont bien fonctionné. Cette fois j’ai voulu faire quelque chose qui me tenait à coeur. J’ai failli continuer la visite seule.
6e photo : masques et statuettes africaines.
Elle : J’ai emménagé chez lui, ma déco le faisait mourir de rire.
Lui : Elle devait penser la même chose de ma déco.
7e photo : panneau limitation de vitesse sous l’eau.
Lui : Cette fois-là elle s’est arrêtée, elle a piqué un panneau sur le bord de la route, puis elle est allée le jeter à la rivière plus loin, juste comme ça, pour se marrer. On s’est imaginés les inspecteurs de police rechercher les coupables et on pouvait jouer à ça toute la nuit.
8e photo : Lâcher de lampions. (On n’a joué qu’avec 5 photos chacun dont on a laissé une de côté, parce que je n’ai eu les dernières règles qu’après qu’on a fait notre sélection).
Elle : On a fini par aller à Rome, mais en voyant l’émerveillement dans ses yeux, j’ai compris que je n’avait plus ce même émerveillement. Elle aimerait bien pouvoir revenir à cette époque.
Débrief :
On était assez d’accord sur le fait qu’ils ont été heureux, mais qu’elle a changé. Ils ont essayé de faire des efforts tous les deux sans succès (ça m’a rappelé l’histoire vraie d’un ami, ou lui et sa copine de lycée, plutôt marginaux, ont rompu quand elle a préféré “rentrer dans le rang”). Ils n’auront pas de seconde chance, c’est irrémédiable.
Scènes finales :
Il se tient sur l’estrade dans la salle de concert et regarde la marée humaine.
Elle est à Rome, elle travaille dans une galerie d’art. Elle a une vie épanouie, mais il lui manque quelque chose.
Commentaires
- Il y a pas mal de finesses dans le texte du jeu sur la façon dont le jeu et les règles sont expliquées, ça nous a frappé.
- Avant de commencer l’introduction du jeu, je ne savais pas vraiment comment aborder ma narration. Voir que l’exemple était à la 3e personne m’a aidé. Ne serait-ce pas une règle du jeu ou un conseil à donner ?
De même, lorsqu’on invente les souvenirs, le joueur dit “je” et parle de l’autre en disant “il” ou “elle”. Ça me semble un élément important, j’ai beaucoup apprécié la “posture” que ça crée. - Faire durer l’intro est une très bonne idée, comme vous en parliez dans le podcast. Ça nous a permis d’explorer plus que les “j’aime”, “j’aime pas” (j’appellerai ça des “traits” pour ce fil), avec des anecdotes et des tentatives d’aller vers l’autre, de le séduire.
D’ailleurs, les traits m’ont paru un peu artificiels. Certes ça donne de la couleur, mais au bout de 3 narrations, je me suis rendu compte que Gaël et moi étions plus concentrés sur le fait de les décrire que sur les interactions entre nos personnages, qui se sont avérées bien plus forts pour la situation. De plus, une fois qu’on a mis nos “traits en scène, j’ai eu l’impression qu’il n’y avait plus rien à faire, alors que c’est là que le meilleur est venu. - Chose marrante, j’ai noté comme trait “aime les ondes de la basse qui parcourent son corps”, Gaël a noté exactement l’inverse. ^^
- J’aime beaucoup les options disponibles pendant le récit des souvenirs, à celui qui raconte et à celui qui réagit. C’est riche en interactions et ça crée du sens.
- J’ai trouvé que nos souvenirs se répondaient bien et créaient une petite structure dramatique intéressante, je craignais que ça ne soit pas le cas. Ça me paraît une très bonne chose, ça nous épargne le sentiment de raconter souvenir sur souvenir sans direction précise.
- J’ai trouvé que le jeu avait une dimension psychanalytique importante tant on a tendance à mettre de soi dans les descriptions, même quand on ne cherche pas à le faire.
- J’ai adoré la discussion finale et je la trouve vraiment appropriée à ce jeu. À l’époque où j’écrivais les premières versions de Psychodrame, je voulais que les joueurs discutent des événements de la fiction après la partie. Puis je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas lieu de le faire car l’histoire était suffisamment claire et si les joueurs devaient en discuter après (comme ça nous arrive fréquemment), ils le feront.
Dans le cas de LPCO, il y a beaucoup de non-dits, de sous entendus et d’éléments laissés en suspens, donc discuter à deux de ce qu’ils deviennent tombe sous le sens et les questions aident bien à le faire. - Dans le même ordre d’idée, le jeu ne pousse pas à expliquer tout ce qu’il se passe façon “psychologie de comptoir”, c’est juste une tranche de vie. Et c’est un point fort pour le jeu.
- Le jeu m’a fait l’effet d’un court métrage, d’un petit bout d’histoire. Si on devait reproduire la quantité d’événements et la complexité d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, ça demanderait un jeu plus complexe et des parties plus longues. Là c’est comme ci on prenait juste un bout du film. À la fois ça se suffit et ça donne un petit côté poétique au jeu. J’ai le sentiment que sa simplicité et son partage de Responsabilités un peu systématique ne conviendraient pas pour des parties plus longues et plus complexes (il n’y a pas de jugement là derrière, juste une réflexion à haute voix).
- Encore une réflexion à haute voix : j’ai eu un moment intense émotionnellement dans le jeu. C’est lors de la 3e scène, quand Gaël a donné un autre point de vue sur le souvenir à la fête foraine. Le reste était plutôt soft, mais bon aussi. Peut-être que si on voulait quelque chose de plus grave, on pourrait creuser davantage l’aspect “difficile” de la relation. Les scènes intenses seraient peut-être plus fréquentes du coup. En même temps c’est déjà très bien comme ça.
- Dans la très grande majorité des cas, les JdR reposent sur les actes de personnages fictifs (qui créent une histoire ou qui font avancer une histoire préparée à l’avance). Là ce n’est pas le cas et je craignais qu’on se sente “auteur” tout le long. Je ne l’ai pas ressenti comme ça.
Je ne me vois pas y jouer plus d’1h30 (durée approximative de notre partie, il faut dire qu’on lisait les règles au fil du jeu), mais je trouve ça très bien comme c’est. C’est une gageure d’après moi d’avoir réussi à sortir à ce point de la structure basique du JdR sans laisser un arrière-goût de saucisse. ;)
Mille bravos.