Eugénie : merci d'avoir développé ton point de vue.
J'arrive à comprendre que des joueurs parviennent à prendre plaisir en prenant des décisions détachées de la "volonté" de leurs personnages. Mais ce n'est pas ce pour quoi je joue. Je joue pour que mes décisions aient du sens.
Pourtant, quand je joue à Bliss Stage, je me régale d'écouter ce qui se passe pour les autres quand je ne joue pas de personnage.
Pour moi il y a deux cas :
Dans Prosopopée, on raconte plein de choses hors de la volonté du personnage, mais au final, tout converge vers les objectifs des PJ. Si j'ai décrit un fruit, ce fruit servira peut-être plus tard à soigner des villageois atteints d'une curieuse maladie. Donc on continue de jouer pour défendre les intérêts des personnages (leur mission dans ce cas précis). Du coup nos décisions comptent (et c'est un jeu où l'on joue des personnages altruistes).
Et puis il y a les jeux où l'on raconte des trucs pour raconter des trucs, comme Chronicles of Skins, Perfect Unrevised, Microscope et bien d'autres. Où les intérêts des personnages ne comptent pas vraiment. Les intérêts sont souvent externes à ceux des personnages (parfois forcés par la mécanique). C'est ce que j'appelle le
mode auteur et pour moi c'est d'un ennui profond. J'ai cru comprendre que ceux qui aimaient ce genre de jeux aiment l'impro pour la performance, se tirer la bourre, faire une démonstration de créativité.
SI je dois me forcer à inventer une histoire, je préfère en improviser une à ma fille, plutôt que de me réunir avec des amis pour ça. C'est un effort et pas vraiment un plaisir (sauf quand c'est pour ma fille).
Si on me propose de gagner ou de perdre, en tant que joueur je vais trouver ce choix sans intérêt. Personne ne fait de tels choix. Si on me demande ce que je préfère entre perdre la vie ou voir la personne que j'aime mourir, là il y a un vrai enjeu.
Je joue au JdR parce que je peux défendre les intérêts de mon personnage. Je n'aime pas les jeux de plateau, les soi-disant "storygames" et les jeux vidéo (pourtant j'en ai passé du temps dessus). Ce qui m'intéresse, c'est la connexion avec un personnage de fiction, avoir de l'empathie pour lui et pour les autres, prendre des décisions qui comptent, ressentir toutes les émotions possibles. J'aime aussi voir mes personnages souffrir. Mais si je les mets moi-même dans la mouise, c'est contraire à défendre leurs intérêts (sauf s'il y a une contrepartie, auquel cas ça peut devenir un dilemme et redevenir intéressant).
Et quand on me pose comme choix : accepter une violence ou la refuser, je considère ça vide de sens.
Et c'est la mécanique du jeu (enfin, de certains jeux) qui, quand elle est transparente et qu'elle se base sur des décisions et pas juste un jet de dés, me donne l'assurance que mes choix vont compter et que ce ne sera pas le MJ qui choisira arbitrairement ce qui va m'arriver. Et c'est ce fait qui me permet de savoir que mes décisions vont compter.
Je pense que c'est complètement désolidarisé avec le fait de prendre un plaisir onaniste et destructeur à la table de jeu. Puisque si le jeu est bien fait, on partage tous la même démarche et donc les choix individuels construisent le jeu commun (et c'est à ça que sert un système de jeu : créer une synergie sociale et créative, s'il fait autre chose, on peut le jeter).
En revanche, j'ai vu pas mal de tables (en JdR tradi bien entendu) où la recherche de plaisir individuel pourrissait la partie. Certains s'amusaient à faire des conneries, d'autres tentaient de jouer sérieux, d'autres encore tentaient d'optimiser à tout va. Personne ne parvenait à assimiler à son propre jeu ce que les autres faisaient. Ça n'arrive plus à mes tables depuis que l'on joue avec de véritables
démarches créatives. Et les démarches créatives, c'est (aussi) une question de game design.
Néanmoins, il existe des jeux sans mécaniques de résolution et qui sont formidables, mais c'est parce qu'ils ne se centrent pas sur la combativité (le fait d'obtenir ce que l'on souhaite ou de se protéger de ce que l'on ne souhaite pas) :
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Les Petites Choses Oubliées- Under My Skin d'Emily Care Boss (qui se joue en semi-grandeur nature).
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Happy Togetheretc.
Ayant joué au premier et au troisième, ils me conviennent parfaitement parce qu'on y défend quand même les intérêts de nos personnages. Mais ces enjeux sont d'un autre ordre que dans un jeu comme Sens ou Apocalypse World.
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EDIT : hum, j'espère que le ton de ce message ne paraîtra pas péremptoire, ni sur la défensive, ce n'est pas du tout le cas. J'ai le sentiment que plusieurs choses se mélangent dans ton argumentaire, Eugénie. Donc j'essaie de détacher certains concepts pour la suite de la conversation.