par Frédéric » 29 Jan 2015, 00:19
Je crois que l'intention d'un auteur est forcément trouble et sujette à caution. Qu'elle est toujours soumise à interprétation de la part du receveur (spectateur/lecteur/joueur ^^).
Néanmoins, je crois que la cohérence interne d'un œuvre et la connaissance du contexte de sa production sont de forts indices sur l'intention et la démarche de l'auteur.
Par exemple, en situant Madame Bovary de Flaubert dans le courant de littérature Réaliste, ça rend plus évident l'intention derrière la confrontation entre le sacré, le noble d'un côté, et le prosaïque, le charnel et la pourriture de l'autre.
Le réalisme en littérature étant une rupture avec la littérature de la période romantique. Sans cette lecture, un texte de cette époque peut paraître moins intéressant (euphémisme), d'une certaine façon pour des lecteurs de notre époque, biberonnés aux intrigue survitaminées et au cinéma.
Or, une partie de la valeur d'une œuvre d'art est imperceptible sans connaître le contexte de sa création et une partie de l'intention ou de la démarche (possible) de l'auteur.
À ce sujet, Flaubert a eu un procès pour atteinte aux bonnes mœurs et à la religion, pour "peinture lascive" et parce que son personnage principal est jugé comme "trop libéral" (pour rappel, Madame Bovary a été publié en 1857).
Et ce qui est formidable, c'est que dans l'édition que je possède du roman, à la fin sont consignés les procès verbaux des plaidoiries du procureur et de l'avocat de la défense. Et les deux montrent une interprétation très divergentes de l’œuvre. Et clairement, les deux plaidoiries manquent cruellement de bonne foi (puisque l'enjeu est de condamner ou de faire acquitter Gustave Flaubert).
On se doute aujourd'hui que les provocations de Flaubert (citées dans le procès par le procureur) sont probablement voulues et c'est en partie ce qui fait l'audace de l’œuvre. Mais l'avocat de la défense, qui vante les mérites de l'ouvrage, met en avant nombre de ses points forts (la qualité du style, notamment), mais minimise énormément sa dimension scandaleuse.
Cela me fait penser que l'idée que l'on ne puisse avoir d'interprétation juste de la démarche d'un auteur à partir de son œuvre est fondé. Mais quelque part, tout le jeu d'appréciation et de compréhension d'une œuvre repose sur les indices qui s'y trouvent, parfois évidents, parfois dissimulés. Donc je ne dis pas que l'on ne peut pas connaître l'intention et la démarche de l'auteur, mais que si on veut s'en approcher, il faut probablement un sacré travail derrière, ou une culture historique de l'art ou de la littérature, et que l'on ne sera jamais certains de les posséder totalement. C'est pour ça que je vois cela comme un jeu. Que l'intention de l'auteur disparaisse complètement quand un récepteur appréhende son œuvre, ça ne signifie pas grand chose pour moi.
Et pour les œuvres contemporaines, bien que les enjeux politiques soient plus évidents, les enjeux historiques le sont paradoxalement souvent beaucoup moins.
Après, je n'ai pas lu les textes de Roland Barthes à ce sujet, donc peut-être me laisserais-je convaincre du contraire si je le faisais.