- une présentation du jeu de rôle (appelé ici jeu de rôle « papier »)
- les premières vingt minutes de la première partie
- un univers médiéval fantastique « à l'ancienne »
- un jeu très traditionnel, où le meneur raconte les effets des actions des personnages (voire les actions des personnages eux-mêmes) et oriente leurs choix, l'action se déroule tour par tour
- 5 hommes autour d'une table
Je ne me reconnais pas du tout dans cette représentation du jeu de rôle et je n'ai pas envie d'être représenté comme ça. J'ai l'impression de voir une caricature de jeu de rôle comme on le pratiquait quand j'étais ado (et encore).
Je sors d'un week-end prolongé où j'ai joué 5 parties de 5 jeux différents, aucune d'entre elles ne ressemblaient à cela. Si je pense à mes 5 dernières années de jeu de rôle, aucune de mes parties ne ressemble à cela. Mais peut-être est-ce ma pratique personnelle trop différente des pratiques majoritaires du monde rôliste (j'en doute tout de même, les rôlistes sont plus curieux que ça).
L'excuse de dire qu'on présente le jeu de rôle comme il serait « classiquement » ne me convainc pas: il me semble que sont (involontairement) accumulés ici des clichés sur le jeu de rôle qui ne correspondent plus du tout à sa réalité (même si oui, parfois ça arrive de faire du jdr très tradi, parfois ça arrive de jouer dans un jeu à l'ancienne, parfois ça arrive de ne jouer qu'entre hommes alors qu'on est cinq). Je sais bien qu'on ne peut représenter le jeu de rôle dans toute sa diversité en une seule fois, je ne demande à personne de le présenter immédiatement avec Les Cordes Sensibles de Frédéric Sintes, mais pourquoi avoir choisi spécifiquement cette image ? (oui, je sais qu'on ne choisit pas toujours les gens avec lesquels on joue, mais ils avaient au moins la main haute sur l'univers et le système)
Bref, je suis vraiment déçu. Ce n'est pas comme ça que je veux être représenté. Je ne crois pas que ce soit le jeu de rôle tel qu'il est pratiqué en majorité, ce n'est pas notre jeu de rôle à tous.
Mais à nouveau, en soit, la vidéo est ce qu'elle est, avec ses limites. Si cela correspond sincèrement à leur pratique, pourquoi pas.
Ce qui m'interroge vraiment c'est l'accueil enthousiaste du monde rôliste et le peu de critiques (même bienveillantes). Évidemment, je suis content que quelqu'un d'aussi en vue dans la culture pop que le JdG fasse parler de notre loisir et j'imagine que non seulement ça doit demander un sacré travail d'organisation (surtout pour le meneur), mais en plus le logiciel limite les possibilités. Mais je regrette que les rôlistes ne soient pas plus exigeants sur la représentation de leur propre loisir. Oui c'est bien qu'on parle de nous, c'est encore mieux si on nous représente sous notre meilleur jour. Au fond, est-ce que nous avons tellement peu confiance de notre loisir que toute publicité est bonne, quel qu'elle soit ? Est-ce que vos expériences de jeu ne sont pas plus enthousiasmantes que celle qui est présentée ici ?
Cet anecdote illustre donc cœur de mon interrogation: les rôlistes manquent-il de confiance en eux ?
Pour ma part, je crois que c'est le cas.
Je crois que nous pourrions être nettement plus fiers de notre loisir. Nous devrions affirmer qu'il nous apporte énormément (j'avais beaucoup aimé cette initiative, trop peu suivie d'effets), qu'il peut être élevant, enthousiasmant, nous mener là où nous ne pensions pas aller et peut nous amener à des réflexions profondes sur nous mêmes sans perdre de plaisir de jeu. Je crois que nous pouvons affirmer que nos pratiques ont évolué et se sont enrichies, grâce à des auteurs exigeants, à des éditeurs de qualité comme John Doe et à tous les meneurs et joueurs qui partagent leurs expériences et leurs pratiques (entendons-nous bien, je n'adhère de loin pas à tous les conseils et pratiques, mais je constate que ça aide beaucoup de gens à se développer et à s'épanouir). Le jeu de rôle grandit et c'est une excellente chose.
L'autre versant de cela, c'est d'exiger plus de nos pratiques et de nos jeux. Exiger qu'ils abordent de nouveaux univers (y compris des cultures de l'imaginaire, qui sont bien plus vastes que celles que le jeu de rôle aborde aujourd'hui), qu'ils proposent d'autres expériences de jeu que celles auxquelles nous sommes habitués, vouloir explorer de nouveaux territoires ludiques. Cela suppose de prendre le temps de découvrir de nouveaux jeux, de risquer de s'ennuyer occasionnellement pour trouver des pratiques et des jeux qui nous plaisent plus et de sortir de ce que nous connaissons déjà. Il nous faut nous méfier de notre nostalgie et du ressassement de nos propres « classiques » pour découvrir d'autres continents.
Le jeu vidéo, né à peu près en même temps que le jeu de rôle et aux publics proches, a su prendre ce tournant il y a un moment, et offrir des jeux et des expériences ludiques nouvelles, audacieuses et s'affirmer comme un loisir et un média à part entière (sans que ça inquiète le moins du monde celles qui existaient déjà). Certes il lui reste du chemin pour atteindre la profondeur du cinéma ou de la littérature, mais il est en bonne voie de les rejoindre.
Le jeu de rôle, me semble-t-il, a beaucoup plus de mal à faire ce tournant. Bien sûr, la comparaison est fausse, le jeu vidéo est d'une taille infiniment plus grande que le jeu de rôle (à la fois en termes de nombre de pratiquants et de taille de marché économique). Mais la taille modeste de notre communauté ne devrait pas nous empêcher d'être fiers d'être rôlistes et exigeant envers nos pratiques. Cette comparaison devrait au moins nous inviter à réfléchir au problème.
Ma petite théorie pour la France est que nous ne nous sommes toujours pas remis de la crise du milieu des années 1990 et la mauvaise image donnée par Mireille Dumas et consorts. Bien que cette crise ait disparu, nous avons intégré l'envie de paraître inoffensifs, de ne pas faire de vagues, de limiter le jeu de rôle à un divertissement d'ado sans conséquences. Nous avons intégré la critique qui a failli nous détruire.
Je crois que nous méritons mieux, je crois que le jeu de rôle mérite mieux.
Au plaisir de vous lire. Je me doute bien que le sujet est sensible, je compte sur chacun pour conserver une lecture charitable des autres.