par Brisecous (Mathieu) » 28 Avr 2016, 12:12
[Salut Fabien,
Je vais moi aussi faire un aparté car le débat que tu soulèves m'intéresse beaucoup. Je n'ai pas ton recul ni ton expérience ni tes compétences sur cette question. En cela, je représente un peu le français moyen, et je pense que mon avis peut être intéressant car relativement représentatif.
Je ne me considère pas comme sexiste. Il me semble pratiquer dans ma vie personnelle et dans ma vision du monde, une égalité scrupuleuse entre hommes et femmes. Il me semble même que le sexe de la personne en face de moi n'influe pas sur mon comportement ou mon positionnement, dans les limites de mon conditionnement hormonal et du fait que je sois hétérosexuel.
Pourtant, je suis heurté par le terme féminisme. Pour moi, le féminisme c'est le droit des femmes. Je suis un homme, donc par définition, le féminisme ne me concerne pas. Je suis conscient que la définition que je donne du féminisme est très limitante, que ce n'est pas la "vraie définition". Mais dans féminisme, il y a "femme". Et ce raccourci, je pense que beaucoup de gens le font.
La plupart des gens n'ont pas de recul sur la plupart des choses, nous n'en avons que sur les domaines pour lesquels nous avons une expertise acquise (par le milieu professionnel, par les études, par notre cercle social, nos loisirs...). Les gens font des raccourcis. Et le terme féminisme, subit le même genre de raccourcis. De la part des hommes, comme des femmes.
Je vous donne pour étayer mon propos une anecdote de ma vie personnelle. Je discutais droit des femmes et notamment inégalité de traitement entre hommes et femmes au travail avec une de mes collègues. Selon moi, l'inégalité de traitement n'est pas majoritairement due à un véritable sexisme. Elle est due à un double facteur pragmatique :
- Les chefs d'entreprise maintiennent l'inégalité "de tradition" de payer moins les femmes parce qu'ils en ont la possibilité. Ils paieraient moins les immigrés, les hommes, les vieux ou les personnes peu diplômées, s'ils le pouvaient.
- Les femmes sont moins bien payées que les hommes parce qu'il y a une contrainte réelle à recruter une femme par rapport à un homme : la durée du congé maternité/postnatal. C'est d'autant plus marqué quand on recrute une femme jeune (25-35 ans). Statistiquement, on peut estimer que la femme aura 2 enfants, soit 2 congés maternités/postnataux dans les premières années de sa stabilisation professionnelle.
Mon discours était donc de dire que pour atteindre une égalité de traitement homme-femme, il fallait supprimer toute forme de contrainte à recruter une femme, en allongeant le congé maternité/postnatal des pères à l'identique de celui des mères, en obligeant les hommes à prendre ce congé (beaucoup ne le prennent pas).
Ma collègue était farouchement opposée à ce discours. Elle se revendiquait féministe, et elle avait le sentiment (pas forcément argumenté) que cette démarche lui ôtait quelque chose en tant que femme. Comme si le gain d'un droit pour les pères la dépossédait de son droit de mère, ou de sa primauté de mère. Que ce gain puisse éviter d'autres inégalités aux femmes ne compensait pas selon elle la perte de la reconnaissance officielle d'une supériorité des femmes à s'occuper de leurs enfants. Ce qui est également une forme de sexisme.
Je ne remets pas en question les féministes hommes et femmes actuels, ni tout ce que le féminisme a apporté par le passé. Le terme est cependant largement galvaudé aux yeux du grand public, son étymologie même entraîne une différenciation des genres, et les gens en font pour beaucoup une interprétation négative, parce que le terme prête à interprétation. Chez les femmes comme chez les hommes. De mon point de vue de citoyen lambda, la question du droit des femmes est dépassée (même si les inégalités persistent). Il est temps de lutter pour l'égalité des droits sur un plan plus général, de parler d'humanisme, d'égalité, de lutte contre les discriminations, plutôt que de féminisme. Malgré toute son histoire, le féminisme est excluant. Il sert de prétexte à beaucoup d'hommes et de femmes pour ne pas sortir de leurs préjugés, car rester dans l'acquis est plus confortable. D'où l'importance du terme quand il manque peu de choses pour faire effet de bascule dans l'opinion des gens. Selon moi, L'objectif du terme employé (féminisme/humanisme/etc) n'est pas la reconnaissance historique d'un groupe qui a beaucoup apporté à l'égalité hommes-femmes, c'est plutôt la vision pragmatique des moyens de poursuivre la réalisation de cette égalité.
Je ne prétends pas avoir raison dans mon analyse. Je trouve intéressant de vous partager ces arguments, ne serait-ce que pour faciliter le démontage de mes éventuels préjugés.]
@Guylène : effectivement, Watchmen est à la fois un exemple pour le traitement de certains de ses personnages masculins, et un contre-exemple dans l'érotisation de son personnage féminin. Il y a je pense un constat malheureux et pragmatique à faire : le cul fait vendre, bien plus facilement que l'originalité ou l'éthique.