Encore une fois, j'ai le plaisir de présenter un compte rendu de partie de mon projet Terres de Sang. Cette fois, c'est une version de travail plus ou moins figée. J'ai testé plusieurs fois et le jeu semble tourner. Je ne vais donc plus faire de modifications majeures sur cette version. Je vous présente donc une des sessions qui illustrent le mieux le projet, en espérant soulever la curiosité et l'intérêt. Je souhaite également montrer une démarche qui s'appuie sur les diverses discussions mener ici, sur les Ateliers Imaginaires; et poser quelques ultimes questions qui me brûlent les lèvres.
Code couleur:
- La fiction en bleu
- Les détails sur le système en vert
- Ce qui a changé de marquant depuis la dernière fois en violet
- Le retour des joueurs et mes analyses en noir
- Mes questions aux membres de l'Ateliers, mes interrogations, bref ce qui ouvre la discussion avec vous en rouge
Joué le 10/05/16
Nombre de Joueurs : 2
Pas de meneur
Durée de la partie : 1h
0. Un mot sur le jeu
Dans Terres de Sang, vous jouez des explorateurs, des pionniers, qui arpentent les terres étranges, exotiques et dangereuses du Nouveau Continent. Envoyés par le Grand Royaume, et bénis des Dieux par le Saint Ordre, vous foulez un sol inconnu en quête de gloire, de connaissance ou de rédemption. Cartographier, pacifier et coloniser les terres sauvages: voilà votre mission. Mais votre chemin est long et semé d’embuches. La jungle torride trouble les sens. Pourquoi les feuilles semblent-elles murmurer à votre oreille d'anciens souvenirs oubliés ? Pourquoi l'atmosphère semble d'une langueur moite ? Qui sont ses indigènes hérétiques qui peuvent lire au plus profond de votre être ? Que sont ces ruines gigantesques et désolées qui parsèment la forêt ? Est-ce que les rumeurs sur l'incroyable Arbre de Vie sont vraies ?
Et si vous trouviez autre chose sur le Nouveau Continent ? Et si vous trouviez votre nature la plus profonde sur ces landes inconnues ?
Et si explorer ces terres sauvages, c’était explorer votre propre âme ?
Bienvenue sur une lande sauvage et inattendue. Bienvenue sur les Terres de Sang.
Ce qui a changé:
- Le pitch a légèrement évolué pour mieux refléter l'ambiance du jeu. Au départ, j'étais plutôt parti sur une ambiance d'aventure pure et au fur et à mesure des tests, il s'est trouvé qu'il était plus satisfaisant de donner un sens métaphysique à l'exploration. Je l'inscris donc dans le contexte du jeu afin que les joueurs sachent quel genre de partie sera produit.
1. Les Personnages
- Licia de Siffleval, une noble à la recherche de frissons et d'aventures.
Augures: Le Berger qui guide les égarés / Le Taureau inébranlable
Ancrage: Le monde est régit par les forts qui se doivent de guider les faibles. C'est ainsi que va le monde.
- La Borgne, une brute au grand coeur, suivante de Licia
Augures: Le Char qui change les saisons / Le Marteau qui bâtit le monde
Ancrage: L'artisanat et le travail des ressources de la terre sont les deux seuls témoins de la Civilisation. C'est ainsi que va le monde.
Un mot de la création de personnage:
- Les Augures sont tirés au hasard. Elles reflètent les aspects du personnage que les Dieux ont bénis le jour de la naissance.
- L'Ancrage est une maxime qui correspond au mode de pensée du personnage. L'Ancrage découle de l'éducation du personnage et des Augures qui lui ont été prédits.
Ce qui a changé:
- On ne décrit plus les Dieux dans la base. Le setting n'est plus que suggéré et non décrit longuement. Les Augures ne correspondent plus à un panthéon de Dieux. L'intitulé des Augures est laissé volontairement imprécis et sujet à interprétation.
Question:
Dans ce topic, Fabien énonce la difficulté de faire découvrir la cohérence interne d'un univers personnel.
La difficulté c'est que dans un univers que l'on découvre, comme le tien, cette cohérence n'est pas toujours claire, on peut même franchement chercher à la découvrir (j'ai eu le même problème dans Monostatos que j'ai cherché ensuite à résoudre dans Sphynx).
De manière très similaire, Frédéric dit dans ce topic:
J'observe des difficultés côté joueurs, avec tout type de jeu :
[...]
- Des jeux où l'on doit être parfaitement en phase avec le canon esthétique du groupe (j'en ai rencontré aussi).
A ce titre, j'aimerai avoir des retours plus détaillés sur vos expériences.
- En particulier, Fabien, comment et quand dans ton processus de développement as-tu pointé cette difficulté. Comment y as-tu remédié ? Quels sont les éléments qui te permettent de te dire que tu seras compris dans ta transmission de ton univers ? Quels outils peut-on utiliser (j'ai cru comprendre par exemple que Sur la route de Chrysopée utilise les illustrations pour suggérer plutôt que raconter) ?
- De même Frédéric, peux-tu donner des exemples de jeux/parties pour lesquels tu as ressenti cette contrainte forte ? Qu'est ce qui a produit cet effet ? Quel est l'influence de l'animateur ? Du support ?
- De manière générale: A partir de quel degré de finesse peut-on dire que l'on a transmis la cohérence du canon esthétique et comment s'assurer que la réception de celle-ci est satisfaisante ?
2.La Partie
Je ne relate que le début de la partie, pour illustrer comment la fiction se crée à partir des règles.
On joue sans meneur. Les joueurs sont chacun à leur tour Guide de l'expédition. Le Guide:
- Peut ajouter un élément marquant à l'univers: cet élément est vrai à partir de maintenant. Le Guide met en scène cet élément.
Puis, le Guide choisit:
- Soit il demande au joueur en face de lui de cadrer une scène de conflit. La scène de conflit permet de mettre le personnage face ses convictions et à tester jusqu'où il ira pour agir conformément à celles-ci. L'idée est de confronter l'Ancrage du personnage à une situation en demi teinte.
- Soit il cadre une scène intimiste (flash back ou moment intime) qui permet non seulement de se ressourcer et se guérir mais aussi d'approfondir la psychologie du personnage. Après une telle scène, un personnage peut modifier son Ancrage ou en écrire un nouveau.
Les personnages se réveillent sur la plage. Autour d'eux, des planches de bois explosés jonchent le rivage. Des corps déchirés colorent le sable en rouge. Licia et la Borgne se lèvent, meurtries, avec le constat amer qu'elles ont fait naufrage et qu'elles sont les seules survivantes de la catastrophe. Après avoir rassemblé leurs affaires et fait une prière aux Dieux, elles n'ont d'autres choix que de remplir leur mission: explorer les terres sauvages pour trouver un moyen de repartir. Peut-être qu'en trouvant l'Arbre de Vie, elles pourront trouver une solution. Si les rumeurs sont vraies, cet Arbre est capable de choses extraordinaires. Alors pourquoi pas les reconduire au Royaume, couvertes de gloire ? Décidées, les héroïnes se mettent donc en route.
Licia prend les devants s'enfonce dans la jungle à grand coup de sabre. Très vite, les exploratrices tombent nez à nez avec une tribu indigène. Les deux groupes se toisent un instant. Les membres de la tribu sont frêles et plutôt longiformes. Ils ne possèdent pas d'armes, ni d'outils en particulier. Ceci conforte Licia dans l'idée qu'avec son armure et son épée familiale, elle a l'ascendant car elle est la plus forte. Elle dégaine donc son épée et la pointe vers le ciel en ordonnant aux indigènes de se prosterner devant le fer. Les indigènes regardent Licia avec perplexité. Il faudra utiliser la force pour les faire plier car ils ne semblent pas comprendre que l'épée de Licia est dangereuse. L'un des indigènes touche la lame de Licia et se blesse. L'exploratrice enfonce le clou en tranchant une branche avec son arme. La tribu finit par s'agenouiller, terrorisée.
La Borgne, plus pragmatique, s'inquiète de la nuit qui commence à tomber. Aidée par Licia, elle emmène la tribu, toujours terrorisée, vers un endroit où elles pourront faire un feu de camp et se reposer. Bientôt, les exploratrices découvre une grotte où se réfugier pour la nuit. La Borgne regroupe de quoi faire du feu mais la jungle n'offre que du bois humide, dont la découpe est d'autant plus difficile que l'exploratrice ne possède qu'un sabre. Elle commence donc un dur labeur pour ramener de quoi s'éclairer et se chauffer la nuit. Cela lui importe peu: en effet, elle aime modeler les ressources de la terre. Aussi, après un long moment, elle revient les bras chargés de bois fins et le plus sec possible. En arrivant, elle retrouve une flamme qui ne brûle à partir d'aucun matériau, flottant au milieu de la grotte. Licia lui explique qu'un des indigènes a spontanément allumé un feu en pointant du bout des doigts l'espace, l'air, comme par magie. La Borgne lâche ses bouts de bois avec dépit et résignation.
La nuit tombe et des grognements féroces retentissent à l'extérieur de la grotte. Une pluie battante s’abat sur la jungle tandis que les exploratrices et les indigènes se massent autour du feu éthéré. Licia tente de communiquer avec les autochtones, en expliquant qui elle est et pourquoi elles sont là. Alors qu'elle raconte son histoire, et qu'un indigène la regarde intensément, les murs de la grotte semblent s'effacer. La mémoire de Licia prend forme autour d'elle. On y voit une séance d'entrainement avec son maître d'arme, dur, froid et mécanique. On voit Licia, encore adolescente, pleurer après son entrainement tant ce dernier a été difficile. Elle pense à toutes ces choses que les petites filles font, ce qu'elles ont. Elle n'y a jamais goutté, car elle est née parmi les forts, ceux qui sont fait pour guider les autres. On la voit enfin battre son maître d'arme, des années plus tard, avec un regard froid et déterminé. Elle était devenue plus forte. C'est pour cela qu'elle avait vaincu... au prix de son innocence perdue.
Ici, l'Ancrage de Licia a été changé:
- Le monde est régit par les forts qui se doivent de guider les faibles. C'est ainsi que va le monde.
- Le monde est régit par les forts qui se doivent de guider les faibles. Mais la force a un prix, parfois très douloureux. C'est ainsi que va le monde.
On n'efface jamais les itérations des Ancrages car à la fin de la partie, on doit pouvoir retracer le cheminement de pensée du personnage.
Lorsque les mémoires de Licia s'effacent et que la réalité se matérialise à nouveau, le soleil s'est levé. La Borgne et Licia se trouvent toujours dans la grotte, mais seules. Les indigènes ont disparu et il n'y a pas de traces d'eux. La pluie a effacé leurs pas. Il faut maintenant aller de l'avant. La Borgne, toujours aussi volontaire, s'engage dans la jungle à nouveau à grand coup de sabre.
Je passe le reste de la fiction car je pense que vous avez compris comment elle se déroule et comment les mécaniques de jeu la supportent.
3. Les Retours
La partie a été très agréable. La fiction créée est conforme à l'esprit que j'avais en tête. Nous sommes partis sur un trip plus onirique/contemplatif et j'en suis très satisfait.
La joueuse qui a participé avec moi est assez satisfaite également mais souligne la difficulté d'entrer dans l'univers. Le démarrage a été un peu compliqué car il n'est pas toujours aisé de trouver à la volée des situations qui questionnent l'Ancrage du personnage. Par ailleurs, il faut rendre la résolution du conflit intéressante et proposer des choix impactant, ce qui peut être difficile sur le moment.
Discussion:
- Dans des jeux comme Inflorenza Minima ou Polaris, la résolution est faite par compromis. Dans un cas, il s'agit d'un prix à payer. Dans l'autre, il s'agit d'avancer un élément de la fiction qui "handicap"/"désavantage" le personnage. Dans ces deux jeux, je n'ai jamais eu de soucis pour proposer des choix intéressants.
Pour Inflorenza, il y a les thèmes sur lesquels on peut se reposer. Il y a également le D.E.U.S. E.X.Machina qui présentent des techniques de maîtrise pour proposer des situations moralement difficiles.
Pour Polaris, je ne saurai pas vraiment dire: lorsque j'y ai joué, les "si et seulement si" sont venus très facilement, presque instinctivement. C'est le génie de Ben Lehman, je crois. L'univers est très porteur d'inspiration et le canon esthétique du jeu poussent les joueurs dans un certain type de proposition. Avez-vous une analyse plus satisfaisante que la mienne ? Quels éléments dans Polaris vous inspirent le plus pour la propositions des choix de résolution ?
Dans tous les cas, la satisfaction qu'on tire des jeux réside, je pense, dans la difficulté du choix, l'acceptation d'éléments défavorables, le sens du sacrifice. Cela ne pose-t-il pas un poids excessif sur les épaules de participants ? De manière plus général, avez-vous déjà ressenti une sorte de pression, d'exigence de qualité, au moment de proposer des choix de résolution dans ce genre de jeu ?
4. Conclusion
Il reste encore beaucoup de détails à régler et pleins de tests à effectuer. Je me pose maintenant la question de la transmission: faire jouer des gens qui n'ont pas les mêmes habitudes de jeu que moi. Cela sera le vrai test, l'épreuve de feu ! Nous verrons bien ce que cela donne.
Merci pour votre temps.
A bientôt.
Simon